France

Le travail le dimanche, un débat de société? Chiche!

Temps de lecture : 4 min

L'opposition de Martine Aubry à l'extension de l'ouverture des magasins le dimanche est cohérente avec «la charte pour le progrès humain» récemment adoptée par le PS. Sa ligne: la vraie vie se situe forcément hors du travail.

Présentation de la «loi Macron», e 10 décembre 2014 àl'Elysée.  REUTERS/Lionel Bonaventure/Pool
Présentation de la «loi Macron», e 10 décembre 2014 àl'Elysée. REUTERS/Lionel Bonaventure/Pool

Martine Aubry sort de sa réserve pour «combattre» la loi Macron qui veut autoriser le travail le dimanche douze fois dans l'année au lieu de cinq actuellement. Elle le fait au nom d'«un projet de société». «La gauche n'a-t-elle désormais à proposer comme organisation de la vie que la promenade du dimanche au centre commercial et l'accumulation de biens de consommation?», demande-t-elle. Elle considère que le dimanche doit être «réservé à la vie», «à la famille et aux amis, à la vie associative, à la culture et au sport… valorisons l'être plutôt que le tout-avoir». De bien grands mots, mais des mots justes en apparence. Qui pense que la civilisation se résume à l'accumulation de biens matériels?

On peut trouver louche l'apparition de ce soudain combat. D'abord parce qu'il est disproportionné. La civilisation est bien fragilisée, aux yeux de Martine Aubry et de ses amis, si travailler sept dimanches de plus (voire cinq ou trois comme l'a accepté d'avance le ministre) la menace au point d'être «un moment de vérité»? Diable, en sommes-nous là? Ensuite, parce que le «combat» est trop visiblement destiné à préparer le terrain dans la perspective d'un congrès du PS qui, si on comprend bien, opposera la maire de Lille et le Premier ministre, Manuel Valls.

Il perd du coup en sincérité ce qu'il a gagné en éclat médiatique. Batailles de courants, coups fourrés et chausse-trapes comptent plus que les débats d'idées au PS.

Mais soit. Acceptons. Revenons aux beaux mots de «choix de société». La France est si perdue, si peureuse de l'avenir, son identité si malmenée, qu'elle a besoin en effet d'une affirmation d'un «projet» qui lui redonne des repères et qui la mobilise. Quel projet? Le Parti socialiste vient justement d'avancer «une charte pour le progrès humain» qui a fait l'objet d'«Etats généraux» et a été adoptée par le bureau national le 18 novembre.

Ce texte court (23 pages) appelle deux remarques sur le sujet qui nous occupe, le dimanche. Les socialistes «veulent une société du bien-vivre». «Une société où réussir sa vie ne consiste pas à tout avoir mais à être soi.» Ils sont «porteurs d'une critique culturelle» contre «le capitalisme qui place les valeurs économiques, le profit, la concurrence, au-dessus des autres». Cette conception «éclaire le combat historique pour l'extension du temps libre». On retrouve là Martine Aubry, la ministre des 35 heures et des RTT.

La première remarque est que ce socialisme désigne la vraie vie comme hors travail. Le travail est considéré comme un temps obligé, forcément pénible, perdu. On pourrait avoir une ambition plus large, penser que la vraie vie est au travail et viser, au contraire, un épanouissement au travail puisque c'est là que l'individu se réalise vraiment. Le socialisme français semble, curieusement, abandonner la partie.

La deuxième remarque porte sur l'individualisme. La charte peine à accepter et à tenir compte de cette évolution. Elle préfère «une société où chacun prend soin des autres» (le «care», autre principe avancé par Martine Aubry). Elle évoque bien l'«autonomie» de chacun, mais sans en faire le centre de son action, au contraire. Or, où est la liberté? Les gens peuvent préférer faire leurs courses le dimanche et le gouvernement, plutôt que de les protéger en l'interdisant, pourrait apprendre aux individus à être autonomes et sortir de leur aliénation.

Travail, individualisme: au fond, le socialisme français évite ces sujets pour se focaliser sur le temps libre, on devrait dire s'y restreindre. Cette fermeture, cette cécité justifient toutes les critiques qui voient dans le PS un parti devenu celui des bobos. Le cas parisien, où la maire veut interdire l'ouverture le dimanche des grands magasins du boulevard Haussmann, en est la caricature.

Cette impression se renforce à la lecture du reste du texte. Le socialisme version PS français propose une société gentille où tout le monde est gentil.

Les chapitres s'intitulent: émancipation, démocratie, égalité réelle, progrès, justice sociale, primat du politique. Qui est contre, en effet? La difficulté est qu'il s'agit d'une version bisounours du socialisme redistributeur des années 1970. L'Etat ne redistribue plus des allocations et des aides, il n'a plus les moyens, mais du temps libre, des vélos et un air pur. Le problème de la production des richesses est, autant qu'hier, évacué et réduit à d'autres mots gentils: «Nous voulons une croissance productive, qualitative, coopérative.»

Le socialisme version PS français propose une société gentille où tout le monde est gentil

Mais comment? Le mot d'entreprise n'est cité que dans cette phrase: «Nous encourageons les entreprises, TPE, PME, ETI, grands fleurons, pour qu'elles fassent la course en tête dans la compétition internationale.» Et de demander immédiatement que les droits des salariés «soient renforcés». Le seul ajout est: «La désindustrialisation est un drame […] La reconquête productive, et d'abord industrielle, est un impératif catégorique.» Il n'est pas proposé de solutions pour y parvenir, sauf des considérations, à nouveau, gentilles comme «il faut développer la recherche» et la mantra des députés «frondeurs» «il faut monter en gamme». Comme s'il suffisait de le dire…

Passer à sept dimanches travaillés de plus conforte les secteurs du tourisme, du luxe et de la restauration, qui sont tous trois des «avantages comparatifs» français. Il s'agit d'un «moment de vérité», en effet, mais dans l'autre sens. La réforme ne produira qu'un effet très mince sur le PIB, mais elle a pour principal avantage de montrer que la France sait bouger. Ne pas la faire démontrera au contraire que les socialistes français n'ont toujours pas pris conscience des dures réalités du monde, n'ont aucune réponse à la hauteur et qu'ils préfèrent se payer de mots.

Article également publié dans Les Echos

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