France / Société

Roybon: Les Zadistes se trompent de terrain de combat

Temps de lecture : 7 min

Là où les zadistes se battent, leur vision du monde ne peut pas être réconciliée avec celle des locaux qui veulent avant tout penser à la vie (voire la survie) économique de leurs territoires.

Le village de Roybon vue de l'ouest (vallée de la Galaure) par Daniel Postic, via Wikipedia, License CC
Le village de Roybon vue de l'ouest (vallée de la Galaure) par Daniel Postic, via Wikipedia, License CC

Roybon, bourg isérois de 1300 habitants, sur la route du Vercors, qui espérait bien assurer sa survie et celle des vallées voisines avec la création prochaine, par le groupe Pierre et Vacances, d’un village de loisirs, regroupant plusieurs centaines de cottages et de zones d’animation, a appris cette semaine de Noël que la justice suspendait les travauxle groupe se pourvoit en cassation. Après le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, après Sivens, ce Center Parc est la nouvelle bataille en rase campagne de certains écologistes qui y occupent, depuis fin octobre, une nouvelle «Zone à défendre». En cause, là aussi, les atteintes à une zone humide (76 ha) et du déboisement (150 ha, soit 0,42% du bois des Avenières), dans le massif forestier des Chambaran.

Le 6 décembre au soir, une marche aux flambeaux réunissait plusieurs centaines de militants hostiles au projet de parc de bungalows, à la suite de laquelle quelques dégradations de véhicules et d’engins ont été relevées. Mais dès le lendemain, près de deux mille «contre-manifestants» empruntaient à leur tour la petite route menant au bois, élus en tête, professionnels et particuliers de Roybon et des environs, bien décidés à voler la vedette médiatique du week-end à leurs prédécesseurs, et à faire valoir un autre point de vue.

Le pressant besoin d'emplois

Ce qu’ils expliquent, depuis des semaines, dans des débats, par des banderoles, des affichettes chez les commerçants, dans le centre du bourg, est devenue la rengaine lancinante d’une France éloignée des grandes villes, qui vieillit et s’amenuise.

A 64 kms de Lyon, 38 de Grenoble, Roybon vit un nouvel exode territorial. Son collège a fermé, et les seuls emplois salariés dépendent désormais de la maison de retraite locale; les commerces mettent la clé sous la porte, et sa jeunesse quitte peu à peu ses paysages préalpins.

C’est pourquoi, signé par l’ancienne municipalité, soutenu par le conseil général, l’accord avec le groupe Pierre et Vacances, tient à leurs yeux du miracle. Le Center Parc pourrait en effet rapporter à la commune des impôts locaux à hauteur de 3,2 millions d’euros et fournir jusqu’à 627 emplois. «Même des postes de femmes de ménage à temps très partiel» feront l’affaire, rétorque le maire UDI, Serge Perraud à ceux qui lui affirment que le promoteur immobilier ment sur la qualité des emplois promis.

Contestation idéologique

Dans la contestation anti-Center Parc se profile bien sûr une hostilité plus culturelle, dont Pierre et Vacances pourrait devenir le bouc-émissaire. En gros, une telle offre de loisir permettrait surtout de bronzer idiot, et ne concernerait que des «bobos aimant découvrir une nature aseptisée avec faux lacs et sapins artificiels». Ce que Charlie-Hebdo, dans sa livraison du 3 décembre résume ainsi:

«un projet touristique qui passe par la destruction d’une zone humide, exactement comme dans le Tarn. Pour mettre à la place une bulle tropicale à 29 degrés et une rivière "sauvage" en plastique bleu ».

Cet aspect idéologique du conflit pourrait encore prendre de l’ampleur si une nouvelle ZAD anarcho-écolo devait se fixer en Seine-et-Marne, sur le site où le groupe immobilier entreprend de dresser, à une encablure de Disneyland, son futur navire amiral, le méga Village Nature, dont Manuel Valls a posé la première pierre, le 11 décembre. Un lac artificiel chauffé par géothermie, à terme 5500 logements sur 500 ha… sept fois le Center Parc de Roybon… Il risque d’y avoir de quoi nourrir les chroniques de Charlie-Hebdo. Déjà, les élus Europe-Ecologie-Les-Verts (EELV) d’Ile de France, par la voix de leur chef de file, Mounir Satouri, dénoncent une entreprise «inutile qui gaspille des terres agricoles, naturelles et forestières».

La solution selon Hollande

L’avenir de la planète ou le présent d’habitants soucieux de voir se créer des emplois autour d’eux? Un accord entre ces deux temporalités, et par là, entre des groupes de citoyens qui s’opposent désormais frontalement, est-il possible? A l’ouverture de la troisième conférence environnementale, le 27 novembre, François Hollande a bien proposé une solution, qu’il pense simple et de bon sens, qui risque toutefois de faire apparaître rapidement un paradoxe. «N’ayons pas peur de recourir à un référendum local pour débloquer une situation» a-t-il expliqué.

Si un tel référendum avait été organisé, cet automne, autour de la forêt de Sivens, s’il avait concerné, au-delà des riverains du Tescou, la rivière qui doit supporter le barrage, et des villages voisins, la population résidant jusqu’à vingt kilomètres tout autour, la majorité des Zadistes –occupants de «la Zone à défendre»– qui campaient sur le site, n’aurait sans doute pas pu y prendre part, n’habitant pas la région proche, pas même, souvent, le département du Tarn. Les manifestants venaient de plus loin, en particulier de Toulouse, qui regorge de militants écolos et anarchistes ––même, désormais, d’un mixte des deux–, et qui poursuit une lutte en partie déclenchée par le décès de Rémi Fraisse, à l’université Toulouse- Jean Jaurès (ex-Le Mirail).

Comment les contestataires, devenus soudain illégitimes, au soir du référendum, auraient- ils réagi? Se seraient-ils inclinés devant le suffrage populaire ? Auraient-ils au contraire basculé dans la radicalisation?

Parce qu’illégitimes, ils le seraient de fait. A Sivens, comme à Roybon, comme en Seine-et-Marne. Leurs arguments en faveur de la seule préservation de la nature auraient été contrecarrés, le temps de la campagne électorale, par des raisons d’emplois ou d’animation locale, par toutes les raisons d’angoisse sociale que charrient désormais les «territoires» où la nature domine, qu’auraient avancées les habitants de la région. La chronique du barrage de Sivens montre que les militants écologistes ont été plus prompts à remettre en question le barrage que ses riverains et voisins à en défendre le principe. En particulier, les élus du Conseil général, pourtant à l’origine du dossier, et les milieux agricoles, intéressés au premier chef, qui ont tardé à se manifester.

D’où l’impression, répandue, d’abord, que ce barrage sur un ruisseau était une totale ineptie, en plus d’entraîner la destruction de quelques dizaines d’hectares de «zone humide», et que personne, vraiment, n’en avait besoin.

Deux visions du monde

Les referendums locaux de François Hollande ont toutes les chances de devenir les pierres d’achoppement, au cœur des mêmes territoires, de deux populations aux intérêts non réconciliables. Les argumentaires des uns sont inaudibles par les autres. Face à face, désormais, la sauvegarde sociale des «territoires», contre quelques dizaines d’hectares de «zone humide». Dans les discussions de plus en plus animées, autour de Roybon, un habitant a eu, ces jours derniers, cette réaction ulcérée en face d’un écolo qui mettait en avant «l’atteinte à une zone humide»:

«Une zone humide? Mais il n’y a que ça, ici, des zones humides!».

On pourrait ajouter, en forçant à peine le trait: faute d’habitants, au rythme où vont la mondialisation, les migrations intérieures et la désertification économique des campagnes, il n’y aura, un jour, plus que ça, des «zones humides», bien au-delà de Sivens, des Avenières et du lac à géothermie de Seine-et-Marne.

Mot magique, trésor des Templiers de l’écologie et de la biodiversité, ces fameuses zones humides sont devenues, en une saison, l’étendard de vitrine des luttes contre les projets d’aménagement en milieu naturel. Leur définition variant selon les différents rapports et sommets environnementaux, retenons celle du Code de l’environnement (article L211-1): «terrain exploité ou non, habituellement inondé ou gorgé d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année».

C’est dans ces endroits, généralement en sous-bois, autour des étangs et des estuaires, que se trouve la biodiversité la plus riche, mais aussi la plus fragile. La planète doit les protéger, et d’abord les répertorier, étude qui a commencé après la Convention de Ramsar (Iran), en 1971.

Ces mêmes différents rapports montrent aussi que la France, parce que l’eau y affleure partout, de lacs en rivières, a la chance de posséder un «parc» très important de «zones humides», souvent encore non répertorié, pour les plus modestes. 43 d’entre elles, de très grande superficie, sont internationalement distinguées, du lac Léman à la Camargue, de la baie du Mont Saint-Michel aux marais de Guérande. Une «zone humide»? De l’eau et des forêts. Les mêmes rapports confirment ce que tout le monde peut voir en traversant le pays: les arbres ont poussé partout sur le territoire hexagonal. Nos massifs forestiers occupent plus de 27% de la surface nationale, et quelques 15 millions d’hectares (la moitié, il est vrai, en Guyane). En outre, ils comptent pour 10% de la surface boisée européenne (derrière la Suède, la Finlande et l’Espagne).

S'attaquer aux villes

Les photos, les images de Roybon témoignent que ce bourg commande à des immensités naturelles. Passée la dernière maison, le silence, le vert des arbres et des pentes, jusqu’aux neiges éternelles des Alpes, barrant un horizon très lointain. Dès lors, il sera très difficile de convaincre les voisins des Avenières de renoncer à la perspective de salaires à demeure, à l’animation de leur bourg et à un apport touristique, pour préserver deux cents hectares de bois, dans un massif forestier, les Chambaran, qui couvre plus de 7000 hectares.

Le moment est peut-être venu de suggérer aux zadistes de se tourner plutôt vers les très grandes villes, polluées, encombrées, bétonnées, culturellement ou idéologiquement cyniques, et vendues à l’immobilier… Ne doivent pas manquer les projets à contester, les dossiers de corruption à traîner en justice, et les atteintes à ce qu’il y reste de milieu naturel. En plus, les militants écologistes recevraient sûrement le soutien de ceux de Sivens et de Roybon, indirectement victimes du magnétisme socio-économique exercé par ces mégalopoles.

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