Monde

Berlin veut réaliser le rêve de Chirac de nager dans la Seine

Temps de lecture : 3 min

Un projet fou prévoit de bâtir la plus grande piscine du monde en plein centre-ville, dans un bras de la Spree, la rivière qui traverse la capitale allemande.

Jacques Chirac en aura trahi des promesses. Mais il y en a une que personne n'a oublié: «Dans cinq ans, on pourra à nouveau se baigner dans la Seine. Et je serai le premier à le faire», lançait-il en 1988, enivré par une campagne électorale. La baignade dans la Seine est devenue une bonne blague qu'on se refile depuis 25 ans en regardant passer les bateaux-mouches.

Il n'y a pas de fleuve à Berlin mais la Spree, une imposante rivière qui n'a pas spécialement la réputation d'être plus propre que sa cousine parisienne. La baignade y est interdite depuis 1925 et, de toute façon, personne ne s'y risquerait.

Un collectif de Berlinois prévoit pourtant d'y installer une piscine géante, la «Flussbad», dans un bras canalisé de la rivière, en plein centre-ville. Un bassin de 750 mètres de long qui donnerait sur la célèbre Île aux Musées, où convergent tous les touristes qui visitent Berlin. Un peu comme si le bras de Seine qui entoure l'Île de la Cité à Paris, longeant Notre-Dame, devenait un bassin de natation. En hiver, les eaux gelées seraient transformées en patinoire.


Les quelques images du projet partagées sur Internet ont longtemps ressemblé à un fantasme d'architectes, un peu comme cette photo de piscine dans une station de métro abandonnée avancée par NKM pendant sa campagne. De l'urbanisme taillé pour Tumblr.

Mais les Allemands ont les moyens de leurs délires: le 19 novembre, Flussbad a gagné un appel à projet urbanistique national, récoltant 2,6 millions d'euros de l'État fédéral, auxquels s'ajoutent 1,3 million d'euros promis par la ville-État de Berlin. Le collectif estime pouvoir ainsi mener à bien ces travaux préparatoires jusqu'à 2018, avant d'attaquer la construction pour laquelle de nouveaux fonds, nettement supérieurs, seront nécessaires. Aucune date de finalisation du projet n'est avancée.


Le projet est pharaonique: pour rendre la Spree propice à la natation, Flussbad prévoit d'en filtrer les eaux. Le bras de Spree serait coupé en 3, reconfigurant totalement un quartier: la piscine en amont; et en aval, un bassin de filtrage naturel de l'eau avec des roseaux; plus haut, une zone naturelle, bordée d'un parc.

Paris devrait arrêter de rire de la blague de Chirac. Les piscines urbaines sont dans l'air du temps et se construisent un peu partout dans le monde. C'est Copenhague qui a initié le mouvement au début des années 2000 avec sa piscine installée dans les eaux sulfureuses du port. Rotterdam prépare pour 2015 une vague artificielle pour surfer sur les eaux de son canal. À New York, le projet «+ Pool», financé sur Kickstarter, prévoit d'installer en bas des gratte-ciel une piscine recyclant les eaux de l'East River.

Berlin s'y connaît d'ailleurs déjà en matière de piscine urbaine. Depuis 2004, on peut nager (ou presque) dans la Spree dans un des bassins les plus cools du monde, la Badeschiff, posée sur la rivière mais qui ne profite pas de son eau.​

Nul ne sait si la Flussbad finira ou non par être construite. Mais son financement par l'Etat fédéral est en soi un petit événement, qui revitalise un urbanisme local en berne. Aucun des projets portés par la Ville-État de Berlin, sans audace et plutôt portés vers l'immobilier de luxe, ne recueilleraient un centime sur Kickstarter. En mai dernier, les habitants de Berlin avaient infligé un camouflet à l'administration locale en repoussant lors d'un référendum d'initiative populaire un vaste projet immobilier sur l'aéroport abandonné de Tempelhof.

Il est significatif que Fussbad ne soit pas porté par la Ville-Etat mais par un collectif de citoyens, (architectes, urbanistes, publicitaires...). Pour Denis Boquet, professeur à l'École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg, et spécialiste de l'urbanisme berlinois, c'est un contrepied à la municipalité:

«Le collectif remet en question l'urbanisme conservateur tel qu'il apparait généralement dans les projets menés par le Sénat berlinois. Ces images de piscine sont aussi un témoignage politique: Berlin n'est pas seulement une ville-musée en phase avancée de gentrification! On revient à cette tradition berlinoise d'urbanisme doux, d'agitation civique et d'esprit d'initiative des habitants.

Il est intéressant de noter que Flussbad n'est pas porté que par des architectes, mais aussi par des personnalités du milieu des start-ups et de cette culture branchée berlinoise qui savent parfaitement faire prospérer le projet sur Internet et dans les médias. On peut aussi voir Flussbad comme une opération de contre-marketing urbain.»

Le gouvernement français se désespère que Berlin ne mette pas assez d'argent sur la table pour relancer son économie, mais au moins, l'Allemagne finance ses rêves.

«En France, on peut toujours réclamer quelques milliers d'euros à la mairie ou au ministère de l'Ecologie pour réfléchir à un projet urbanistique, remarque Denis Boquet. Mais on ne recevra jamais des millions comme Flussbad. De telles sommes pour une réflexion et une étude de faisabilité, c'est une vraie spécificité allemande»

Angela Merkel doit avoir une furieuse envie de se baigner. Ça tombe bien, elle habite au 6 Am Kupfergraben, dans un logement qui borde la future piscine.

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