Boire & manger / Société

La cuisine francaise se prend en main

Temps de lecture : 6 min

Deux associations de chefs et hôteliers-restaurateurs veulent mener un combat militant pour défendre le goût des vrais produits et des plats signés.

A l'école Bocuse, en décembre 2013. REUTERS/Robert Pratta
A l'école Bocuse, en décembre 2013. REUTERS/Robert Pratta

«Le Fait Maison ne peut garantir la qualité d’un restaurant», souligne Alain Dutournier, chef deux étoiles au Carré des Feuillants (75002 Paris). «Sans des artisans passionnés et engagés, les cuisiniers, très préoccupés par les matières premières, ne peuvent exercer leur mission de nourrir les humains de façon honnête et pérenne.»

Ce sont les chefs stars Alain Ducasse et Joël Robuchon, multi-étoilés, fondateurs du Collège Culinaire de France (800 restaurateurs adhérents en 2014 dont 16 chefs trois étoiles), qui ont pris l’initiative de lancer, le 18 novembre, au Salon Equip’Hôtel, une nouvelle appellation: «Producteur Artisan de Qualité».

La première sélection de 120 professionnels millésime 2015 a été présentée aux membres du Collège, décidés à soutenir collectivement toutes celles et ceux qui se battent au quotidien pour le meilleur de leurs fournisseurs, qu’ils soient éleveurs de poulardes, de jambons basques, producteurs de foie gras, de fromages, d’agneaux de lait, de légumes, de lentilles vertes, bouchers, mareyeurs, fumeurs de saumons, chocolatiers, boulangers, vinaigriers… Bref, le Collège de toqués au palais affûté a sélectionné la crème de ces agriculteurs, paysans, charcutiers, volaillers et autres négociants en truffes et champignons sans qui les cuisiniers, même les plus fameux, ne sont rien, ou pas grand-chose.

En fait, il s’agit de privilégier les circuits courts et d’éviter les grands marchés type Rungis pour «travailler avec les produits qui nous entourent et surtout avec les gens de notre environnement», selon le judicieux conseil du regretté Jean Troisgros, le maestro de Roanne.

Tout au long de cette prise de contacts de grands chefs, Anne-Sophie Pic, Marc Haeberlin, Thierry Marx, certains Meilleurs Ouvriers de France comme Eric Briffard, Michel Roth, ont pu rencontrer quelques-uns de ces «best» artisans comme Magali Kauffmann et son mari Guillaume qui extraient une remarquable huile d’olive (nature ou aromatisée à l’ail) au Moulin du Partégal à la Fadèle près de Toulon, ou l’agriculteur japonais de la Ferme Yamashita à Chapet dans les Yvelines, un génie des légumes de saison, ou encore Gilles Vérot, prince des charcutiers à Paris (75006 et 75015), l’Einstein du pâté en croûte. Ce sont là des acteurs reconnus du patrimoine artisanal et culinaire de notre pays.

Collège Culinaire de France au Salon Equip'Hotel

Toutes les grandes régions françaises, de l’Alsace à la Côte d’Azur, ont été passées au crible par les chefs locaux, chacun ayant livré au Collège ses adresses incontournables comme Lionel Durot, élaborateur du saumon bio irlandais ou du saumon sauvage d’Ecosse à Arradon dans le Morbihan.

Voilà un combat noble, porteur de savoirs et de traditions face à l’industrialisation galopante de la restauration et à la standardisation des goûts. Grâce à la mise en valeur, à la promotion de ces artisans du bien manger, chefs et restaurateurs renforcent leur créativité, leur gestuelle, leur répertoire: un poulet de Bresse, c’est quand même le nec plus ultra de la volaille de ferme (2% de la production en France, c’est peu).

Cela dit, les producteurs sélectionnés –et heureux de l’être– s’engagent à:

  • Transmettre la passion et le savoir-faire de leur métier.
  • Utiliser les méthodes artisanales de fabrication et de culture.
  • Cultiver les goûts originels et authentiques des produits.

Tout est bénéfice pour cette élite d’artisans de bouche qui seront mis en exergue et cités par les chefs du Collège.

Cette démarche originale, pionnière du Collège Culinaire de France, rejoint le Manifeste des Relais & Châteaux édité à l’occasion du 60e anniversaire de la chaîne française qui rassemble 530 hôtels-restaurants dans 60 pays dont la Chine et le Japon.

Au cours d’une vaste conférence à l’Unesco le président élu de la chaîne, Philippe Gombert, et Olivier Roellinger, chef étoilé à Cancale (Ille-et-Vilaine), vice-président en charge de la Table et de l’Hospitalité, ont dévoilé, le 18 novembre également, un ensemble de vingt engagements concrets destinés à guider l’action quotidienne des maisons affiliées aux Relais & Châteaux, une marque mondiale.

Les restaurants de la chaîne doivent devenir des «sentinelles du goût» face à l’industrialisation alimentaire qui est en passe de détruire l’art du bien-vivre ensemble. L’état-major des Relais, très uni autour de son président hôtelier au Château de la Treyne dans le Lot, et de Jean-Robert Pitte, géographe, président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires ont souligné que les nourritures industrielles ont des impacts inacceptables sur l’environnement et la santé des consommateurs, les pratiques culinaires affectant le bien-être de chacun: les adjuvants chimiques, les cultures hors-sol, la surgélation à outrance font que le «frais» recule partout –dans les cantines scolaires particulièrement.

Les Relais & Châteaux qui surfent sur la crise sont à la fois des sentinelles garantes de ce que le terroir a de plus précieux et des éclaireurs ouvrant la voie à la cuisine de demain, créative, responsable et engagée.

«Nous avons pour cela à nous associer aux paysans et aux pêcheurs autour de la planète afin de protéger le garde-manger de l’humanité, sauvegarder la biodiversité des races animales, des poissons, des légumes et des fruits, respecter les saisons. Cela fait partie du Patrimoine de l’Humanité.»

En outre, les propriétaires des Relais veulent être acteurs d’un monde plus humain:

«L’expérience vécue chez nous doit être inspirante pour nos clients, nos fournisseurs, nos collaborateurs, nos partenaires locaux. Ainsi, allons-nous être les artisans d’un monde plus humaniste.»

La prestigieuse chaîne et ses membres veulent impulser un ré-enchantement du monde. Comment?

  • Grâce à une cuisine qui soit le reflet d’un environnement naturel, culturel et local, tout en préservant la diversité des produits et des traditions.
  • Grâce au sens de l’accueil, en amplifiant le caractère de chacun des Relais au travers des jardins, du patrimoine bâti, des arts de la table, des arts décoratifs et des rites d’accueil.
  • Grâce à un dialogue suivi avec les acteurs des filières agricoles et maritimes, en développant la conservation des espèces et des variétés rares (les poissons de rivière).
  • Grâce à la biodiversité marine et les méthodes de pêche responsable, en luttant contre la fragilisation des océans : le thon rouge en question.
  • En réduisant de façon drastique le gaspillage et le pillage alimentaires, en étant exemplaire sur au moins trois terrains : l’énergie, l’eau et les déchets.
  • En alliant les goûts à la nutrition et à la santé sans altérer les plaisirs de la table, il s’agit de partager la passion du beau et du bon.

Il est même question d’un 10e art, issu de la transmission et de l’enrichissement du Patrimoine immatériel de l’humanité. A quoi s’ajoutent l’honneur et le plaisir de servir, l’art de prendre soin de l’autre «pour lui faire passer un moment de vie unique, fraternel, ressourçant et inspirant».

En un mot comme en cent, il s’agit de rendre le monde meilleur par la table et l’hospitalité afin d’obtenir la reconnaissance des Arts de Vivre comme le 10e art.

Ce manifeste très sensé, riche de bonnes résolutions, va bien au-delà des règles de la restauration étoilée ou pas, de l’accueil et des prestations offertes dans les 530 Relais & Châteaux du globe. Il y a là un ensemble de principes éthiques, de conduites sociales et de vie, des valeurs ajoutées incitatives, rarement évoquées dans le cénacle des chefs et des propriétaires d’auberges, de châteaux, d’hostelleries, de demeures historiques (l’Oustau de Baumanière) ouvertes à un tourisme haut de gamme.

A l’Unesco, les Relais & Châteaux, tout comme le Collège Culinaire au Salon Equip’Hôtel, il y a eu une forte prise de conscience de la dégradation de l’alimentation dans la société française, et au-delà (voir les problèmes d’obésité). Les Relais invitent leurs affiliés et les fidèles des 530 maisons à «mieux ressentir le goût du monde». Oui, la gastronomie doit être une œuvre d’art, à partir des cadeaux simples de la nature comme l’œuf de poule fraîchement pondu. Quel chef s’applique à composer des omelettes baveuses? Michel Troisgros au Central à Roanne, en face de la gare (au superbe menu à 48 euros).

Le beau et le bon restent des objectifs majeurs. Le professeur Pitte, co-inventeur du Repas des Français inscrit au Patrimoine immémorial le dit clairement: «Bien manger est un droit fondamental des humains, veillons à ce qu’il soit respecté sur la terre des hommes.»

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