Depuis le début de sa campagne pour la présidence de l’UMP, on ne l’a vu qu’une fois piquer un coup de sang. Et encore, plutôt plaintif, plus navré qu’agressif. Mais ça a été plus fort que lui. Cette fois, après des dizaines de réunions au cours desquelles il a supporté qu’on lui parle souvent davantage de Nicolas Sarkozy que de lui-même, le très courtois Hervé Mariton s’est permis d’apostropher l’ancien chef de l’Etat.
Nicolas Sarkozy venait juste de lâcher le mot «abrogation», que son auditoire de Sens commun, mouvement anti-mariage gay associé à l’UMP, voulait lui arracher depuis qu’il avait pris la parole. Il descendait de la tribune où avaient été auditionnés les trois candidats à la présidence du parti, pour saluer le premier rang de la salle. Le visage d’Hervé Mariton était passé à l’écarlate.
Déjà, il avait confié à l’oreille de son voisin son agacement de l’intervention de son rival et maître, comme le rapporte Le Dauphiné libéré: «Je ne suis pas venu assister à un meeting de Nicolas Sarkozy.» Puis, une fois le mot «abrogation» concédé par l’ancien président à la foule des militants, il s’était plus énervé encore: «Vous avez vu avec quelle ambiguïté et quelle ruse il le dit!» Nicolas Sarkozy, lui, avait parfaitement remarqué qu’Hervé Mariton n’avait pas applaudi son discours, et qu’il s’agitait, au premier rang, alors il s’était dirigé droit vers lui.
L’échange entre les deux hommes avait été enregistré par l’une des caméras présentes.
NS : « Merci pour les applaudissements….
HM : Je ne suis pas d’accord, j’ai le droit… Bonne soirée…
NS : Tu peux ne pas être d’accord et avoir l’air de sourire… C’est ridicule.
HM : Je suis un garçon franc, c’est mon seul défaut ».
Puis Nicolas Sarkozy a planté là le député de la Drôme, le laissant, ulcéré et désemparé, au milieu des ruines symboliques de sa propre campagne électorale. Car c’est bien de cela dont il s’agissait. En concédant à Sens commun la promesse de l’abrogation de la loi Taubira, dans l’hypothèse d’une victoire de la droite en 2017, Nicolas Sarkozy ne venait pas seulement de se mettre à dos les politologues et une bonne partie de ses soutiens à l’UMP; pas seulement non plus de risquer de voir souligné son opportunisme électoraliste. Il dépouillait Hervé Mariton, le plus «petit» des trois candidats, de sa seule originalité.
«Déçu», un adjectif qui lui va bien
L’anti-mariage gay était jusqu’alors le royaume du plus discret, du moins médiatique des trois candidats à la présidence de l’UMP. Lequel estimait pouvoir compter au moins pour lui seul la majorité des adhérents UMP hostiles au mariage homosexuel et à l’adoption par des couples de même sexe. Les catholiques conservateurs, les fidèles de la filiation, tous ceux qui veulent conserver pour l’enfant le droit à un père et une mère… Hervé Mariton avait tant dépensé d’énergie et de conviction pour cette cause. Il avait été de toutes les «manifs pour tous», derrière la banderole des élus, répondant, comme à son habitude, avec un calme et une sérénité apparente qu’on dirait un peu bouddhique, aux questions les plus hostiles des médias. A l’Assemblée nationale, il avait été de toutes les séances, pendant les débats animés qui avaient précédé le vote de la loi, multipliant les amendements et les incidents pour retarder encore un peu l’inéluctable.
Tout au long de la campagne pour la présidence du parti, Hervé Mariton s’est dit persuadé que Bruno Le Maire refuserait jusqu’au bout que la droite se lance dans la promesse vaine d’une abrogation, arguant de l’évidence que les personnes homosexuelles mariées depuis 2013 ne pourraient pas être «démariés». Mais le même Mariton pensait aussi raisonnablement que Nicolas Sarkozy éviterait de s’engager sur ce terrain miné pour une opposition en mal d’unité. La cause familiale n’avait jamais paru passionner l’ancien président. Il y avait donc des chances qu’il laisse la porte ouverte à l’incertitude. Et voilà que les plus proches, les militants de «la Manif pour tous», venaient de pousser Nicolas Sarkozy dans ses retranchements, qui, du coup, le poussait, lui, dehors, qui se croyait le seul candidat légitime sur le sujet.
Il y a de quoi être déçu. Et «déçu», curieusement, paraît être un adjectif qui va assez bien à Hervé Mariton. Quand il ne se livre pas à l’humour, territoire vers lequel le mène souvent son esprit vif, son visage, ses yeux, très mobiles, derrière ses fines lunettes peuvent exprimer assez naturellement du dépit. Comme s’il aimait moins ce qu’il fait que les autres, à commencer par ses collègues de l’UMP. Ce qu’il voit dans son environnement, sauf peut-être, dans les travées de l’Assemblée, qu’il affectionne: le parti; la vie politique, ces dernières années ; Nicolas Sarkozy, autour duquel tout tourne, dans son camp, et auquel ce compagnon de Dominique Villepin à décidément du mal à s’habituer.
Son profil est pourtant ressemblant au portrait-type des anciens UDF passés à l’UMP. Brillantes études: Polytechnique, Sciences-Po et un diplôme de l’université de Paris-Dauphine. Ingénieur du corps des Mines. Une carrière politique traditionnelle, après un atterrissage dans la Drôme. Député avec régularité de la 3e circonscription, et sans interruption depuis 2002, et maire de Crest, un gros bourg de 8.000 habitants, dont il vante, en surplomb de la ville, le plus haut donjon médiéval d’Europe. Il a même fait partie d’un gouvernement Villepin, quelques semaines, en 2007, au secrétariat d’Etat à l’Outre-mer.
Campagne de moine errant
Ce qui le distingue, mais qui parfois voile son regard, c’est qu’Hervé Mariton se donne pour un homme sérieux dans un environnement qui, à ses yeux, ne doit pas l’être assez. En réaction aux soupçons pesant sur l’UMP, dans l’affaire Bygmalion, il a ainsi choisi de mener une campagne de moine errant. Faute de moyens personnels, mais aussi par hostilité aux errements financiers de son parti, il pris soin d’aller souvent loger chez l’habitant, pendant son tour de France électoral –des familles catholiques de la Manif pour tous. Il est le plus classique des candidats en lice. Décalé, même. Ceux qui négligent sa candidature ajoutent: «désuet». Malgré sa présence accrue dans les médias, ces derniers mois, et les progrès de sa communication, la politique paraît rester pour lui un métier à l’ancienne, si possible honorable, qu’on monte encore du pays vers Paris, et dont les héros sont moins habilités à prendre la lumière que les vedettes de cinéma. En cela, il apprécie d’en jouer, il est le parfait contraire de Nicolas Sarkozy, et même, désormais de Bruno Le Maire –qui apprend vite–, et espère toujours, un peu naïvement, que le fond finira par primer la forme.
Hervé Mariton a une marotte, qu’il a sans cesse servie à ses auditoires restreints, en province: «Le projet». Depuis longtemps, il attend que son parti ait une doctrine réfléchie et constante sur les 35 heures, les retraites, le système fiscal ou l’ISF. C’est dire s’il a dû être malheureux tout un quinquennat durant, et plus encore depuis l’échec de Nicolas Sarkozy, en 2012. Selon ses vœux sous la présidence de Jean-François Copé, il a été nommé «délégué général au projet». En pure perte, vue la tournure des événements.
C’est un pourquoi, le 5 juin dernier, il a annoncé sa candidature de témoignage à la direction de l’UMP. Pour que le parti se dote enfin d’un corpus. «Ce que les militants veulent d’abord, martèle-t-il, c’est un parti qui fonctionne avec un projet puissant et une organisation robuste.» Son argument de campagne devait être recevable, croyait-il, puisque raisonnable: seul un président de l’UMP non candidat, comme lui, aux primaires pour 2017, consacrerait un peu d’énergie au contenu thématique de la marche vers le pouvoir. «Si le président de l’UMP est candidat aux primaires, toute décision qu’il prendra sera critiquable, en raison de ses ambitions présidentielles, explique-t-il. La primaire sera soupçonnée, le débat sur le projet sera déformé, le travail pédagogique impossible.» Bien vu, mais inaudible désormais. Hervé Mariton en a «assez qu’on prenne le pouvoir sans y être préparé».
Son dépit risque fort de s’accentuer.
«C’est notre économie qui est en danger, pas la République»
C’est de bonne guerre, en période électorale, pendant laquelle il faut bien critiquer ses rivaux. Cependant, les avis négatifs du député de la Drome sur le précédent quinquennat sont connus depuis longtemps. Devant ses interlocuteurs, pendant la campagne, il les a plutôt modulés. «Tout le monde se souvient des promesses de 2007 non tenues», déclare-t-il tout de même au Parisien.
Ou à RTL: «Nicolas Sarkozy a fait un certain nombre de choses utiles et positives, mais le compte n’y était pas.» Parfois même, ses critiques sur le retour de Nicolas Sarkozy sont plus mordantes: «Que penser de ses longs dégagements sur la République en danger ? C’est notre économie qui est en danger, pas la République.»
Aussi a-t-il tracé, sur son blog, des tableaux comparatifs des différentes propositions des candidats à la présidence de l’UMP. Sa propre colonne est bien remplie d’un programme résolument libéral, en économie, et conservateur, sur les sujets de société, pour celui qui se décrit comme «un libéral pragmatique». La retraite résolument portée à 65 ans, avec suppression des régimes spéciaux; des franchises pour l’aide médicale d’Etat (AME); la suppression des 35 heures et la dégressivité des allocations de chômage; le droit du sang comme «principe directeur de la nationalité française, tout en permettant des naturalisations aux étrangers bien intégrés».
En face, la colonne de Nicolas Sarkozy manque encore de consistance. Il y a même des blancs. Sous-entendu de la démarche: le probable vainqueur de la direction de l’UMP, le 29 novembre, et futur candidat à la primaire manque encore de provisions pour la route. «Le projet», va répétant Hervé Mariton. Ce conseil répété depuis l’été de la campagne, devrait valoir, en tout cas, l’espère-t-il, peut-être près de 5% des suffrages à son auteur. Restera à le faire admettre à celui auquel il le destine sans se décourager tout à fait.