Sciences

Des otaries à fourrure violent-elles vraiment des manchots royaux?

Temps de lecture : 4 min

Dans une récente étude, des scientifiques ont fait état de «harcèlement et coercition sexuels» de la part d’otaries à fourrure et la presse a rapidement titré sur le «viol». Mais comment définir un «viol» chez les animaux?

Une otarie à fourrure à Salisbury Plain / Liam Quinn via FlickrCC License by

«Godillant d’un air amical, un violeur en série repéré près de l’Antarctique», «Des phoques accusés de viol sur des pingouins». Peut-être avez-vous lu un des ces articles cette semaine. En réalité, des otaries à fourrure antarctique (ou otarie de Kerguelen, à ne pas confondre avec les phoques) tenteraient désormais d’avoir des relations sexuelles avec une autre espèce, les manchots royaux (à ne pas confondre avec les pingouins).

C’est en tout cas le constat de scientifiques de l’université de Pretoria en Afrique du Sud. Dans une étude appelée Multiples exemples de manchots royaux (Aptenodytes patagonicus) harcelés sexuellement par des otaries à fourrure (Arctocephalus gazella) et publiée dans le journal Polar Biology, l’équipe de cinq chercheurs a détaillé quatre situations de ce genre, entre 2006 et 2012.

Si la première tentative de relation sexuelle de 2006 avait surpris les scientifiques, ils ne s’attendaient pas à ce que cela arrive de nouveau. Mais en 2008, 2011 et 2012, de jeunes otaries à fourrure mâles ont reproduit le même schéma, avec dans un des cas une pénétration constatée avec certitude.

« A chaque fois, une otarie poursuit un manchot, l'attrape et tente de copuler à plusieurs reprises, à chaque fois pendant des périodes de 5 minutes entrecoupées de période de repos», explique l’étude. Dans un autre cas, une otarie a fini par tuer le manchot et à le manger en partie.

Attention, la vidéo qui suit peut-être très perturbante.

Il faut savoir qu’à aucun moment dans leur étude les scientifiques sud-africains n’évoquent les mots «viol» ou «agression sexuelle» («rape» ou «sexual assault» en anglais), mais privilégient les expressions «harcèlement sexuel» et «coercition sexuelle».

Comme nous l’explique Nico de Bruyn, l'un des responsables de l’étude sur les manchots et les otaries, il faut aussi bien distinguer «harcèlement sexuel» et «coercition sexuelle», «le premier étant considéré comme moins sévère que la coercition, et ne finissant pas forcément par une copulation». Le constat selon lequel le harcèlement sexuel existe aussi chez les animaux n’est pas nouveau. En 1995, le New York Times se faisait l’écho de publications scientifiques sur le sujet et évoquait des cas de harcèlement chez des espèces comme les abeilles, les loutres de mer ou encore les chimpanzés.

Seulement voilà, à la sortie de l’étude, certains médias ont décidé d’utiliser le mot «viol» («rape»), «violeur», ou «agression sexuelle» en France mais aussi chez nos voisins anglo-saxons.

La définition du «viol» a mis du temps à se mettre en place, et aujourd'hui, l'article 222-23 du code pénal le caractérise de la manière suivante:

«Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol.»

Mais existe-t-il une définition du «viol» qui correspondrait aux pratiques sexuelles des espèces animales?

Toujours en 1995 était publié dans la revue Animal Behavior une étude intitulée Sexual coercion in animal societies (Coercition sexuelle dans les sociétés animales). Tim Clutton-Brock et Geoff Parker, deux chercheurs des universités de Cambridge et Liverpool avaient déjà tenté de définir ce genre de comportement sexuel agressif. Ils y promeuvent le terme de «coercition sexuelle» en expliquant que «dans de nombreuses espèces, les mâles contraignent les femelles pour avoir une relation avec elles, que se soit en les forçant physiquement, en les harcelant jusqu'à ce qu'elles cèdent ou en punissant les refus répétés». Aujourd'hui encore, ce genre de comportements est difficilement interprétable par la communauté scientifique.

Sur le site du Plus, la journaliste scientifique Peggy Sastre (qui travaille aussi à Slate) précise par ailleurs que ce genre d'agressions n'est «pas si rare que ça» chez les pinnipèdes (mammifères aquatiques à nageoires).

«Les femelles sont bien plus petites que les mâles [et] la violence sexuelle est courante. Une telle violence se manifeste à la fois de manière intrasexuelle –les mâles se tapent dessus pour accéder aux femelles– et intersexuelle –les mâles tapent sur les femelles pour les féconder.»

En revanche, le terme «viol» est à éviter quand on parle du monde animal, nous explique Nico de Bruyn:

«C'est un terme anthropocentrique, mais qui peut être vu comme synonyme de coercition sexuelle finissant en copulation. Le mot "viol" est un terme attrape-l'oeil pour faire les gros titres, un terme que tout le monde comprend, à l'inverse de "coercition".»

Selon Isabelle Autran, docteur en sociologie et auteure d'une thèse Les animaux ont-ils une sexualité? Anthropologie, fantasme et imaginaire, le terme de «viol» n’a pas de sens d'un point de vue éthologique:

«Ce terme est utilisé ici comme une figure interprétative, comme un raccourci imagé pour signifier la contrainte. De façon plus générale, on ne peut pas parler non plus de "perversion", de "nudité" ni de "pudeur" dans le monde animal. Ces notions font référence à l’érotisme. Personnellement, je ne sais pas si une otarie peut avoir un comportement érotique.»

Le problème viendrait en réalité de la capacité de l'homme à demeurer trop nombriliste dans sa vision du monde qui l'entoure. «Même si on essaye de ne pas le faire, ajoute Nico de Bruyn, nous utilisons la morale de l'homme, ses émotions, et les règles de notre société pour décrire le comportement des animaux.» Et il cite l'exemple de certaines lionnes en chaleur qui viennent frotter leur corps contre celui du mâle.

«La copulation qui s'ensuit peut paraître brutale, mais cela arrive souvent et est considéré comme consensuel.»

Il faudrait donc, à l'avenir, et tant que la sexualité des animaux reste aussi mystérieuse à nos yeux, ne pas employer le mot «viol» et sortir de notre vision du monde un peu trop anthropocentrée...

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