France

Henri Guaino: «Quand la politique et le bonheur se mêlent trop, cela finit toujours mal...»

Temps de lecture : 9 min

Suite de notre série sur le bonheur en politique avec Henri Guaino. Incapable de ne pas mettre de lui-même dans son action politique, l'ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy parle du bonheur comme d'un «contentement de soi». Se reposer, c'est presque mourir selon lui. Un véritable nietzschéen en somme.

Henri Guaino à l'Assemblée nationale en juillet 2014. REUTERS/Charles Platiau
Henri Guaino à l'Assemblée nationale en juillet 2014. REUTERS/Charles Platiau

Pendant longtemps, Henri Guaino a cru qu'il y avait dans chaque ville «une mairie, une Eglise et... des arènes». Son enfance à Arles, en Méditerranée, sont comme des années de pélerinage. Elles lui ont fait aimer le soleil, la mer et Albert Camus. «L'orgueil du pauvre, ça me parle», lance-t-il, le visage accompagné de tics et d'un léger sourire en coin.

Mais ces années lui auront aussi certainement transmis un tempérament sanguin, celle d'un orphelin de père qui s'est inscrit dans les pas de chefs politiques charismatiques aux tempéraments ombrageux, comme Charles Pasqua ou Philippe Séguin, dont il fut le compagnon de route:

«Je ne suis pas à la recherche du père. Je n'en ai pas eu, j'ai fait avec. J'ai déjà du mal à être père moi-même...»

Dans son Camus au Panthéon (Plon, 2013), dans lequel il imagine le discours qui accompagnerait l'entrée du Prix Nobel de Littérature 1957 –l'année de naissance d'Henri Guaino– aux côtés des Grands Hommes de la Nation, il a écrit des pages sublimes sur cette absence:

«Celui qui n'a pas été privé de père, qui a eu au moins le temps de connaître le sien, ne peut pas imaginer l'immensité de ce vide, de cette absence, jusqu'à la fin de sa vie. Celui qui n'a pas ressenti cette absence obsédante du père pourrait-il jamais saisir le sens profond de ces mots: “Personne ne l'avait connu que sa mère qui l'avait oublié. Il en était sûr. Et il était mort inconnu sur cette terre où il était passé fugitivement, comme un inconnu”?»

Les freudiens de bazar soliloqueront sur ce manque de sédimentation paternelle qui lui fait emprunter des chemins courbés et l'entraîne à se lancer dans des combats perdus d'avance où il n'a que des coups à prendre. Ce n'est pas comprendre qu'Henri Guaino est un sentimental. Il n'y a qu'à observer sa relation tumultueuse avec Nicolas Sarkozy, dont il est si différent.

Dernier combat (et cible) en date: le juge Gentil, «dont le seul but est de salir».

Ou encore, juste avant, l'indeminité de mandat des députés, qu'il ne juge pas exhorbitante, moquant par la même occasion la baisse de salaire des ministres décidée par François Hollande:

«Je pense que l’indemnité de mandat des élus, que l’on empêche de plus en plus de gagner leur vie par ailleurs, c'est plutôt un sacrifice qu’un privilège. Si l’on mettait tous les élus au smic et même si on ne les payait pas du tout, il n'y aurait pas moins de chômage, pas moins d’injustices.»

Exacts sur le fond, ses constats sont intenables dans une société où l'opinion publique est reine et peut défaire les rois. «On peut me critiquer, m'insulter, me traîner dans la boue, essayer de m’intimider en m’envoyant devant un tribunal, on ne me privera jamais de mon droit à l'indignation. Personne ne me fera taire», indique Guaino, qui s'emporte.

Mais ces combats disent surtout quelque chose de la sensibilité d'un homme pour qui la politique est tout, quitte à englober la vie elle-même. Et la vie privée.

«Oh, il n'y a pas grand-chose à dire de ma vie privée. Précisément elle est privée! Mais aujourd’hui, pour salir, l’imagination est sans borne, on trouvera toujours n'importe quoi pour salir. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut plus protéger sa vie privée, surtout quand on fait de la politique. Quelqu'un vous prend en photo dans la rue, ou vous enregistre sans que vous le sachiez, et tout ça va sur Internet en quelques secondes. Tout cela contribue à l'hystérisation de la vie politique.»

Etait-ce bien différent avant, du temps de Pompidou, de Mitterrand, ou même de Mazarin, dont on se moquait allègrement dans les gazettes du temps, déjà, de la Fronde (les fameuses mazarinades)?

Il tranche:

«Jadis, les moyens d'inquisition étaient moins grands. Aujourd'hui, il y a une course effrénée à la transparence. Or, chaque individu a droit à son intimité, à ses petits et à ses grands secrets. Qu'on contrôle le patrimoine des élus, d'accord. Mais cela n’a rien à faire sur la place publique! Nous sommes traqués, surveillés, espionnés, déshabillés. Un vrai bonheur!»

Mais alors que pense-t-il de Mazarine Pingeot, la «fille cachée» du Président? «C'était le problème de Mitterrand, c'était sa vie...», relativise l'ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, qui mime le scandale à grands renforts de gestes spectaculaires:

«Oh, Mon Dieu, sa fille a vécu dans un immeuble où on loge les personnels de l’Elysée. C’est grave? C’était la famille du Président, il l’a protégée. C’est normal, je n’ai rien à redire. Il y a quelque chose de malsain et de mesquin à le lui reprocher...»

Je préfère quand même le vacarme des démocraties au lourd silence des dictatures

La «moralisation» de la vie politique, très peu pour lui.

«La morale, oui. Le moralisme, non.»

Voilà le cœur du syndrome Guaino. Celui qui, malgré son intelligence rare, fait de lui un homme étonnant, caricaturé dans les médias, à l'heure où les chaînes d'information en continu raffolent de ses déclarations à l'emporte-pièces. Henri Guaino est un homme de l'outrance, qui aime porter l'estocade et ne rechigne pas à la violence la vie politique, quitte à en tirer encore une fois des leçons originales que certains estimeront excessives:

«La violence politique, c'est la violence de la vie. Si les politiques ont effectivement leur responsabilité dans la violence que génèrent les crises, ceux qui les attaquent ont aussi la leur. La violence nourrit la violence et ne résout rien. Parfois, on se demande ce qu’ont dans la tête ceux qui accablent les politiques d’injures et de haine. Quelles que soient les faiblesses des hommes politiques, quand on a détruit la politique, quand on a décrédité les élus, quand on a démoli la démocratie que reste-t-il? La politique sous sa forme la plus hideuse, car le “tous pourris” mène toujours à la tyrannie. Mais, je préfère quand même le vacarme des démocraties au lourd silence des dictatures.»

Le cœur de notre série sur le bonheur et la politique se résume dans ce passage: derrière la montée terrifiante de la violence et de l'intolérance, la colère parfois aveugle des citoyens ne cible-t-elle pas trop facilement les politiques, affublés de tous les vices? Et cette violence ne touche-t-elle pas personnellement ceux qui sont ciblés, qui derrière leurs armures restent malgré tout... des êtres humains?

«Est-ce que je ressens cette violence personnellement? Oui, bien sûr, tranche Guaino, après un moment d'hésitation. Tout le monde se défoule et l'on ne peut pas rester insensible à ce déchaînement de haine.»


Pourtant, Henri Guaino n'a pas hésité à mettre en avant son cas personnel, notamment lors du débat sur le mariage pour tous, quitte à s'exposer et à recevoir une volée de bois vert de la part de la ministre de la Famille de l'époque, Dominique Bertinotti.

«Elle m'a dit que je n’avais pas le droit de généraliser à partir de mon cas personnel, raconte Henri Guaino. Mais si j'ai parlé de mon histoire, de mon père, de mes origines, c'est parce que j'en avais assez de recevoir des leçons de vie de la part de gens qui n’ont rien vécu. Et puis, je préfère la politique fondée sur des sentiments à la froide politique des idéologues.»

Les monstres froids, animés par la seule lumière de la Raison, de ceux qui bâtirent un culte à l'Etre suprême à la fin du XVIIIe siècle... «Vous savez qui a dit que le bonheur était une idée neuve en Europe?... C'est Saint-Just, pendant la Révolution», rappelle Henri Guaino, qui conclut:

«Quand la politique et le bonheur se mêlent trop, cela finit toujours mal. La politique s’occupe du bien-être, pas du bonheur...»

Pas avare de citation, l'ancienne plume de Nicolas Sarkozy (à qui l'on a demandé de redonner du souffle à une campagne pour l'UMP qui semblait en manquer) enchaîne:

«Le bonheur est l'idéal des imbéciles, avait dit de Gaulle, cité par Malraux. C'est un contentement de soi, une autosatisfaction.»

Et pour clôre le raisonnement, il joint le geste à la parole, encore une fois:

«Se battre pour quelque chose auquel on croit procure des moments de bonheur, des moments seulement, parce que le bonheur est fugace. Il ne peut donc y avoir que des instants de bonheur. Ils sont un peu rares ces instants dans le climat actuel de la politique. Dans le bonheur, il y a du contentement de soi. Etre toujours content de soi c’est un peu pathétique. Cela me rappelle un vieux sketch de Fernand Raynaud qui commençait ainsi: “Heu-reux! Je suis heu-reux!”.»


Henri Guaino fait partie d'une longue lignée d'hommes et de femmes qui «spiritualisent leurs états de maladie», comme l'écrivait le philosophe Nietzsche. Ils préfèrent la mélancolie à la satisfaction, l'indignation à la félicité... qui mène bien trop vite à la facilité et au repos éternel: «L'insatisfaction est un moyen de se dépasser», explique-t-il, sans préciser que l'attitude doit l'érinter, lui et son entourage.

«De temps en temps c'est vrai il faut se reposer un peu.»

Dans son panthéon, Guaino met Pompidou, qui a réussi à «garder le meilleur équilibre» entre vie privée, bonheur et destin politique. Il y eut la maladie, l'affaire Markovic –dont il fut très atteint avec sa femme–, mais il parvint malgré tout à être heureux, à se réaliser, tout en conservant une certaine profondeur. Il avait une certaine vision de la politique.

A côté, les hommes politiques d'aujourd'hui paraissent bien pâles, bien moins spirituels, plus terre-à-terre, comme Nicolas Sarkozy par exemple, à qui Guaino envoie une légère pique sous couvert de le défendre:

«Il ne manque pas de défauts. Ce n’est pas un théoricien mais, il s’intéresse aux idées et il n'est pas dénué de profondeur.»

François Hollande, lui, est tout en surface:

«Tout lui glisse dessus. Il sert des clients. Bon, les clients sont contents? Alors, ça va. C'est sa vision de la politique et de la vie.»

On sent une forme de lassitude chez Henri Guaino, de résignation, bien que le ton soit enjoué, parfois lyrique, toujours très libre. Pourtant, bien qu'il soit élu depuis peu (il a été élu député des Yvelines pour la première fois en juin 2012), il n'en est pas à ses premières épreuves politiques. Des échecs, il en a vécu, sans que cela ne le rende vraiment triste. Lorsqu'il n'atteint pas les 10% des suffrages en 2001, quand il se présente avec Philippe Séguin à la mairie du Ve arrondissement :

«Je n’ai pas vécu cela comme une défaite personnelle, mais plutôt comme une rencontre qui ne s'est pas faite. Vous savez je suis stoïcien. Il y a ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Voilà, on va à la rencontre des gens, la rencontre se fait ou ne se fait pas. La politique se fait avec les autres.»

Il y a la politique de la bonne conscience et celle du cas de conscience. Je préfère celle du cas de conscience.

Mais la dernière fois que la tristesse l'a vraiment envahi, c'était après la défaite de 2012. «Elle ne me lâche plus», écrivait-il alors dans son livre La Nuit et le Jour (Plon), qui décrivait les épisodes de ses cinq années tumultueuses et obsédantes aux côtés de Nicolas Sarkozy. Avec le président de la République, il aura affronté la plus grave crise économique mondiale depuis les années 1930, ne cesse-t-il de répéter à ceux qui réclament un devoir d'inventaire du quinquennat précédent ou ironisent à tout bout de champ:

«Ce que ne comprendront jamais ceux qui savent tout le temps où est le bien c'est que la politique n'est pas affaire de bien ou de mal. Elle se déploie dans la zone grise qui est entre les deux.»

«En politique, on ne choisit pas entre le bien et le mal mais entre le préférable et le détestable», écrivait Raymond Aron. Henri Guaino opine:

«C'est comme dans la Tragédie grecque. L’instant tragique, c'est l'instant où vous êtes entre le bien et le mal où deux forces également légitimes s'affrontent: celle qui veut sauver les habitants de Benghazi et celle qui redoute le chaos en Libye, celle qui veut abattre le régime syrien et celle qui craint de faire le jeu des intégristes… “Comment ne pas douter?”, avait dit Sarkozy. Il y a la politique de la bonne conscience et celle du cas de conscience. Je préfère celle du cas de conscience. Comme Camus, je pense qu’Antigone a raison et que Créon n'a pas tort...»

A-t-il ressenti du bonheur dans ces moments d'enthousiasme mêlés à la peur, à l'angoisse, mais aussi au sentiment d'écrire une partie de l'histoire? «C'est comme si vous demandiez si les soldats de 14 avaient été heureux! J'ai fait mon devoir», répond-t-il.

«Suis-je content de moi?»

Gros soupir.

«Non!»

Henri Guaino n'est pas près d'être en paix, ni avec lui-même, ni avec le monde entier. Tant mieux pour lui.

Retrouvez tous les entretiens de notre série «Le bonheur en politique»

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