Barack Obama en faveur d'une protection stricte de la neutralité du Net: l'information, relayée massivement par les médias américains, puis par l'AFP en France, est un peu partout en ce lundi 10 novembre.
Il faut dire que la Maison Blanche a mis le paquet pour faire la promotion du plan souhaité par le président américain et censé favoriser «un Internet ouvert, accessible et libre»: page spéciale sur son site, doublée de la copie d'un discours, ainsi que d'une vidéo d'Obama himself -accompagnée d'une petite blague sur le «buffering» qui s'affiche lorsque les tuyaux du Net sont encombrés, et que la vidéo «rame».
Que veut Barack Obama? Ni «blocage» des sites, ni «limitation de bande passante», ni «priorisation payante» pour les sites qui verseraient quelques subsides aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI), et une «transparence accrue» sur les points où s'interconnectent les différents acteurs d'Internet.
En théorie donc, de quoi réjouir tous les partisans de la neutralité du Net qui s'écharpent depuis des années, aux Etats-Unis comme en Europe, avec les équivalents des Orange, Bouygues, SFR, Free et compagnie, sur les règles à appliquer sur Internet, et la maintenance de ses tuyaux. Une bonne partie de ces FAI rêvent en effet de nouveaux modèles et usages pour Internet, comme le ralentissement de gros sites tels que YouTube ou Netflix, ou une plus large contribution financière de ces géants pour accéder à leurs tuyaux, plaidant que ces derniers coûtent chers à l'entretien.
Le diable est dans les détails
Du coup, en prenant publiquement position en faveur de la neutralité du Net, Barack Obama semble adresser une fin de non recevoir aux lobbyistes des opérateurs de télecommunications -et les réactions de Verizon, un FAI américain, tendent à le confirmer.
Mais en matière de neutralité, les dernières années ont montré que le diable se niche dans les détails. Et plus encore, dans les détails des détails. Difficile donc de crier victoire sur la base d'une simple annonce, laconique.
Bon nombre de personnalités ont déjà clamé leur amour d'un Internet «ouvert et libre»: Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d'Etat au numérique, avait déclaré en avril 2010 que la protection de «la neutralité des réseaux» était «vitale», avant de rendre quelques mois plus tard un rapport très critiqué sur le sujet; la précédente commissaire européenne en charge de ces mêmes sujets, Neelie Kroes, a elle aussi longtemps soufflé le chaud et le froid sur la question. Et les opérateurs eux-mêmes se disent régulièrement en faveur d'un Internet «ouvert et libre» (prenant le plus souvent bien soin d'éviter l'expression même de «neutralité du Net»)!
Bref, c'est peu dire que le débat est brouillé tant chacun de ses termes recouvre une réalité complètement différente. Et des zones d'ombre apparaissent déjà dans les affirmations de Barack Obama.
Ralentir vs. laisser se dégrader
Par exemple, quand il souhaite «que les FAI ne devraient pas ralentir intentionnellement certains contenus ou en accélérer d'autres»: comment alors réagir quand ces acteurs ne ralentissent pas volontairement un site qu'ils accuseraient par exemple d'encombrer leurs tuyaux, mais laissent volontairement la situation se dégrader, au détriment des internautes? Pour rappel, c'est exactement l'objet du bras de fer, en France, entre Free et YouTube.
De même, quand il affirme qu'«aucun service ne devrait être bloqué sur la "voie lente" parce qu'il ne paie pas de droits d'entrée» aux FAI, cela signifie-t-il aussi que les sites désireux de payer ces derniers pour avoir une meilleure qualité de service n'ont pas le droit de le faire?
Rappelons que Barack Obama admet l'aménagement de ces règles en fonction des exigences inhérentes à la maintenance d'un réseau, mais aussi en excluant d'emblée du dispositif «des services spécialisés», évoquant par exemple les services de santé. Or cette expression de «services spécialisés» (ou «gérés») est depuis des années suspectée d'être le cheval de Troie des FAI dans des textes présentés comme pro-neutralité.
Bref, difficile de se réjouir tout de suite, sans compter que, comme le note la presse américaine, le plan de Barack Obama vise à faire pression sur la FCC, l'agence gouvernementale qui a relancé en janvier dernier un grand chantier sur la neutralité du Net. Agence par ailleurs indépendante, comme n'ont pas manqué de le rappeler ses membres: en clair, la pression est avant tout médiatique et n'engage pas le Président à grand chose. Si ce n'est à lui apporter les voix des nombreux commentateurs qui ont appelé la FCC à protéger la neutralité du Net, notamment sous l'impulsion du présentateur vedette John Oliver aux Etats-Unis.
Mais pour les mêmes raisons, difficile aussi de critiquer d'emblée l'initiative. Sur ce sujet, l'appui, même via une simple camapgne de communication, d'un président américain, n'a rien d'anodin. On imagine déjà les débats en Europe: «Barack Obama, lui, a dit qu'il fallait protéger la neutralité!»