France

Comment la préface du livre «Sarko s'est tuer» a volé la vedette à son épilogue

Temps de lecture : 3 min

Le déjeuner impliquant François Fillon et Jean-Pierre Jouyet est devenu la vedette d'un livre pourtant consacré à Nicolas Sarkozy et aux affaires

Jean-Pierre Jouyet, alors président de l'AMF, le 10 juillet 2012. REUTERS/Jacky Naegelen.
Jean-Pierre Jouyet, alors président de l'AMF, le 10 juillet 2012. REUTERS/Jacky Naegelen.

C’est l’histoire d’un déjeuner où vous n’étiez pas (ni moi d’ailleurs) et dont toute la presse parle depuis la publication, le 6 novembre dans les pages du Nouvel Observateur, des bonnes feuilles de Sarko m’a tuer, ouvrage signé des deux journalistes d'investigation du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Ce déjeuner, qui s’est tenu le 24 juin entre François Fillon et l’actuel secrétaire général de l’Elysée Jean-Pierre Jouyet, en présence d'Antoine Gosset-Grainville, l'ancien directeur adjoint de cabinet de l'ex-Premier ministre, est au centre d’une intense activité médiatique pour savoir qui a dit quoi à qui, et quand.

Fillon aurait incité l’Elysée à «taper vite» sur Sarkozy en faisant pression sur la justice pour ne pas «le laisser revenir». Dans un premier temps, les auteurs, qui narrent l'anecdote dans la préface de Sarko s'est tuer, écrivent qu'elle leur a été «confirmée en septembre 2014 par la présidence de la République». Une façon de sourcer «off» tout en étant le plus proche possible du «on», puisque les deux auteurs n'emploient pas l'habituelle formule «source proche du dossier» – cela signifie, pour les initiés, que leur source est haut placée à l'Élysée, sans vouloir en révéler le nom.

Jeudi, lorsque les bonnes feuilles sont publiées, les intéressés démentent avoir abordé ce sujet lors de leur déjeuner –dont en revanche, ils ne contestent pas qu'il a eu lieu.

Commence alors un jeu étrange, qui révèle à la fois la tendance à la feuilletonisation des enquêtes et les tentatives désespérées de «communication de crise» pour gagner quelques jours avant d'être rattrapé par les faits. Les journalistes et leur éditeur annoncent le lendemain, le vendredi, qu'ils possèdent un enregistrement de la conversation avec Jean-Pierre Jouyet, dont la teneur est publié dans le Monde le samedi. Ce n'est que le dimanche que le secrétaire général de l'Elysée admet la teneur des propos rapportés par les journalistes du Monde, sans reconnaître (autrement qu'à demi-mot) que François Fillon lui a demandé d'accélérer le cours judiciaire de l'affaire. France 2 confirmait également le dimanche qu'il s'agissait bien de la voix de Jean-Pierre Jouyet sur l'enregistrement que sa journaliste avait pu écouter, et l'AFP vient également de confirmer les propos du secrétaire général aux journalistes après avoir écouté l'enregistrement.

Comment l'intéressé a-t-il pu penser que démentir lui serait d'un quelconque secours, alors même que selon ce que rapporte la journaliste de France 2, les journalistes avaient posé un dictaphone bien en vue pendant l'entretien? Désormais coincé par la volte-face de Jouyet, François Fillon a choisi jusqu'à maintenir de maintenir sa version et de voir dans les accusations dont il fait l'objet «un scandale d'Etat» visant à lui nuire.

Voilà qui explique comment cette information a pu accaparer l’attention médiatique durant une semaine, dans le cas d'un livre portant exclusivement sur les affaires judiciaires dans lesquelles l’ancien président Nicolas Sarkozy est impliqué. N’est-ce pas au final Sarkozy qui s’en tire à fort bon compte, puisqu’un livre à charge contre lui se transforme en accusation de collusion entre la gauche au pouvoir et l’opposition du président à l’UMP incarnée par son rival Fillon?

Extrait des bonnes feuilles dans le Nouvel Observateur du 6 novembre 2014. Les intertitres sont de la rédaction du Nouvel Obs.

Pourtant, dans cette préface, immédiatement après le passage consacré à la rencontre Jouyet-Fillon, les auteurs reviennent à leur véritable sujet, écrivant:

«Mais l’essentiel reste ailleurs, bien sûr. Car ce que révèle surtout cet épisode, c’est cette inégalable propension, chez Nicolas Sarkozy, à rendre fous ceux qu’il côtoie, à se créer des ennemis mortels, jusque dans sa propre famille politique, donc. Mais aussi plus généralement, cette faculté proprement fascinante à creuser sa propre tombe.»

Les journalistes du Monde détaillent alors tout au long du livre pas moins de onze affaires auxquelles l’ancien président est lié de près ou de loin, à différents stades judiciaires.

Quitte à publier un passage provocant, on aurait pu aussi citer ce paragraphe de l'épilogue du livre, autrement plus glaçant que les pressions supposées d'un ancien Premier ministre. Il s'agit de considérations de Nicolas Sarkozy lui-même sur les deux journalistes qui avaient déjà, en 2011, publié Sarko m'a tuer, recueillant les témoignages de 27 personnes ayant subi la colère de l'ancien président:

«Surtout, on nous rapportait régulièrement des scènes, des phrases, ses explosions de colère à notre endroit... Comme ce jour où celui qui était encore chef de l'Etat entraîna dans un salon de l'Elysée Xavier Niel, fondateur de Free, mais surtout, en l'occurrence, actionnaire principal du Monde, rencontré à l'occasion d'une remise de décoration. Faisant allusion aux articles du Monde sur les “affaires” le concernant, il lâcha à Xavier Niel: “C'est dangereux ce que fait Le Monde, vous savez. Il y a de quoi se retrouver avec des couteaux plantés dans le dos sur un bout de trottoir..."»

Malheureusement, il n'y a pas d'enregistrement à l'appui de cette anecdote. En tout cas pas pour l'instant!

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