Pour son arrivée à mi-mandat, le président de la République s’apprête à être vu à la télé, ce 6 novembre. Après l’anaphore et la dislocation à gauche, qui en firent le chouchou des linguistes, voici quelques procédés littéraires supplémentaires pour lui permettre de muscler son discours et toucher le cœur des Français.
Ces quelques outils sont simples à utiliser dans un discours politique. Les définitions sont empruntées au Gradus (Bernard Dupriez, collection 10-18), bible des figures de style. Nous en ajoutons trois à éviter à tout prix.
1.L’aposiopèse
Il s’agit d’une «interruption brusque, traduisant une émotion, une hésitation, une menace». Idéal pour un hommage ému.
Question: «Il y a eu un mort, le 26 octobre, dans une manifestation contre le barrage de Sivens…»
François Hollande (peiné): «J’ai été très affecté par la mort de ce militant, enfin, euh…, ce jeune garçon, euh…? Hum… Comment s’appelle-t-il déjà? Ah oui: Christophe de Margerie. Ah! Ce pauvre Christophe…»
2.Le zeugme
Cette figure de syntaxe «consiste à réunir plusieurs membres de phrase au moyen d’un élément qu’ils ont en commun et qu’on ne répètera pas».
Le Président pourrait le détourner pour faire passer quelques allusions perfides.
Gaullien: «Voudrait-on que j’embrasse toutes les responsabilités de ma fonction et les casseurs du barrage de Sivens?»
Not gaullien: «Je fais de mon mieux toute la journée et du scooter la nuit.»
3.La prosopopée
Dans un discours politique, «mettre en scène les absents, les morts, les êtres surnaturels, ou même les être inanimés (pour) les faire agir, parler, répondre» est une manière de s’inscrire dans l’Histoire.
Enervé: «Franchement, Jaurès, j’aurais aimé t’y voir avec un Clemenceau à Matignon!»
Dédoublé: «Parfois, je m’adresse à lui et lui dis: "François, que ferais-tu à ma place?"»
4.La métastase
La métastase permet de rejeter la responsabilité sur autrui. François Hollande n’a que l’embarras du choix: l’Europe, les frondeurs, les patrons, les années 1930… Nous lui conseillons de parsemer son discours de quelques métastases bien senties.
Un grand classique de la politique française: «C’est pas ma faute! Le problème, c’est l’Europe!»
5.Le chleuasme
Evidemment, «ironie tournée vers soi», le chleuasme est plutôt un truc de maso, mais il peut s’avérer utile s'il amène l’interlocuteur à atténuer cette posture.
Le président: «J’ai relancé la croissance, réduit le chômage, apaisé le pays… Je sais, c’est idiot, ça ne sert à rien…»
Les journalistes: «Meuh non, pas du tout, m’sieur l’Président!»
Mais cette figure de style vaut surtout par son sous-entendu diplomatique: dans chleuasme[1], on lira d’abord Chleuh. Et ça plaît toujours aux oreilles françaises.
6.L'épanadiplose et l'épanalepse
Après la peu élégante dislocation à gauche, Hollande pourrait bien tenter une épanadiplose («lorsque de deux propositions corrélatives, l’une commence et l’autre finit par le même mot»). Notamment pour ses vertus pédagogiques:
Satisfait: «Ma réforme est votée. Elle est pas belle, ma réforme?»
«Mon gouvernement travaille. Il est trop bien, mon gouvernement.»
Et, si vraiment le public s’obstine à ne pas comprendre, il pourrait tenter quelques épanalepses («répéter un ou plusieurs mots, ou même un membre de phrase tout entier»), comme le fit jadis le général de Gaulle: «On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant "L'Europe! L’Europe! l’Europe!"»
Geignard: «Mais c’est quoi ces frondeurs qui font rien qu’à chougner "Gnagnagna gnagnagna, les cadeaux, les cadeaux, les cadeaux au patronat?"»
Ce qui ne le dispenserait aucunement d’une…
7.Triplication
Laquelle, comme son nom l’indique, est une triple répétition. Un outil indispensable pour le bourrage de crâne.
Convaincu: «La reprise est là, je la sens. La reprise est là, je la sens. La reprise est là, je la sens, ouh la la.»
8.L'épiphore
C’est en quelque sorte l’inverse de l’anaphore (qui lasse tout le monde désormais).
Accablé: «On lui demande d’inverser la courbe, au moi-Président. On lui demande de faire un budget sincère, au moi-Président. On le remercie pour ce moment, le moi-Président. On lui dit d’aller faire la guerre dans les colonies, au moi-Président. Eh ben non, il peut pas tout faire, le moi-Président.»
Il pourrait même, en utilisant conjointement anaphore et épiphore, parvenir à l’acmé de son quinquennat: la symploque.
Martial: «Je suis le chef des forces armées, les manifs c'est moi qui gère, je vais vous en débarrasser au Kärcher. Je suis le chef des forces armées, alors les gauchistes sous acides, eh ben, je vais vous en débarrasser au Kärcher.»
9.L'hystérologie
«Dans un récit, la circonstance ou le détail qui devrait être après est situé chronologiquement avant.»
Ce n’est pas clair? L’exemple d’Ubu (Jarry) explique tout: «Je vais allumer du feu en attendant qu’il apporte du bois.» Le président, dans son incompréhensible dialogue avec le Medef, y trouverait une explication rationnelle (mais toujours aussi peu lisible pour le commun des mortels).
Pédagogue: «Les patrons, ils pourraient créer des emplois en attendant le CICE.»
Rond: «Moi je fais péter les milliards en attendant que les patrons, y créent des emplois.»
10.L'antilogie
L’antilogie exprime une «contradiction entre deux idées» ou une «contradiction entre les termes». On mesure tout le bénéfice potentiel d’un tel procédé.
En mode Rebsamen: «Ces chômeurs, ils pourraient bosser quand même!»
11.La gémination
Ce «redoublement de la syllabe initiale dans les formations de type bêbête, fifille…» pourrait être d’un grand secours pour renvoyer quelques adversaires à leur médiocrité.
«Les zozobrystes»
«Elle commence à me les brouter menu, mémère Kel»
«Elle est bonne fille, la fifinance»
Cela autoriserait une litote cornélienne:
«VaValls, je ne te hais point.»
Et, «doublées d’abrègement», certaines géminations n’en seraient que plus péjoratives:
«La politique menée ne serait pas la bonne? Qui dit cela?
— Les partisans de Martine Aubry, Monsieur le Président.
— Ah oui… les zozos…»
En bonus, trois figures de style à éviter à tout prix
1.L'épanorthose
C’est la figure que les politiques n’utilisent jamais, celle qui consiste à «revenir sur ce que l’on dit, ou pour le renforcer, ou pour l’adoucir, ou même pour le rétracter tout à fait». Certes, c’est ce qu’ils font, mais ils ne l’admettent jamais.
Tendre: «Soyons précis, j’ai dit que mon ennemi c’était la finance. Mais, en fait, je suis le président des bisous, alors j’ai que des amis, voilà.»
2.L'hyperpotaxe
Outre que cette figure («insérer des subordonnées en trop grand nombre») s’applique surtout au style proustien et serait peu adaptée à un passage à la télé, tout ce qui rappelle impôts et taxes doit être soigneusement évité.
3.La rocardologie ©
Non répertoriée par le Gradus, il s’agit d’une figure de style propre à Michel Rocard, qui tend à rendre n’importe quel discours incompréhensible pour le commun des mortels.
«Basée sur une redistribution qualitative de certaines exonérations de charges, les modalités d’une convention partenariale entre l’Etat et le socle industriel hexagonal peuvent durablement instaurer les conditions d’une reprise significative du taux de marge brute dont la dégradation soutenue se traduit par une optimisation territoriale des chaînes de production défavorable à notre pays.»
(«On ira tripoter le Medef jusque sous la couette.»)
«La mise en œuvre à l’échelle nationale d’un processus durable de transition énergétique ne doit pas conduire à négliger les opportunités offertes par le recours fructueux à des énergies fossiles traditionnelles, dans une perspective évidement temporaire, l’exploitation raisonnée des sables bitumineux pouvant ainsi se révéler un élément de diversification du mix énergétique particulièrement fructueux.»
(«Y a vraiment des brouzoufs à faire avec le mazout des pingouins!»)
Merci à Philippe Bottini pour sa relecture attentive.
1 — Qui se prononce «kleuasme». Retourner à l'article