Les Républicains américains viennent de remporter une grande victoire. Ils se sont emparés du Sénat et ont gagné de nouveaux sièges à la Chambre des représentants.
Or, ils ne sont pas arrivés à ce résultat en faisant campagne à droite. Ils y sont parvenus, assez curieusement, en adoptant des idées et des repères de gauche. Je ne parle pas du mariage gay, sur lequel les Républicains ont cédé, ou de la contraception, dont ils ont fait de la vente libre en pharmacie un sujet de débat à l’échelle nationale. Je veux parler du cœur même du programme de gauche: l’égalité économique.
Voici quelques-uns des thèmes déclinés par les Républicains lors des campagnes pour élire gouverneurs et sénateurs cette année:
1.La pauvreté
Les Démocrates sortants ont beaucoup parlé de création d’emplois, de croissance économique et d’autres chiffres qui vont dans la bonne direction. Leurs challengers républicains ont combattu ce message en se concentrant sur les gens d’en bas. De la Californie à la Géorgie en passant par la Virginie, ils ont mis le doigt sur les taux de pauvreté élevés ou en augmentation.
2.Les minorités
Les Républicains ont aussi soulevé la question des noirs et autres populations défavorisées. En Louisiane, le candidat de droite Rob Maness (battu) a souligné que «le taux de chômage des jeunes hommes noirs dans cet Etat est trois fois supérieur à celui de tous les autres». En Géorgie, le gouverneur républicain Nathan Deal (réélu) a mis l’accent sur les progrès fait dans l’Etat vers la réduction du nombre d'hommes noirs en prison.
3.L'égalité des salaires
Les Républicains ont enquêté sur les salaires des conseillers des élus démocrates. Tout élu qui payait moins les femmes s’est vu interpeller, quelles que soient les circonstances. Les Républicains ont eu recours à cette tactique dans cinq Etats au moins: le Colorado, l'Illinois, la Louisiane, le New Hampshire et l’Oregon.
4.Le revenu médian
L’un des meilleurs moyens d’illustrer l’illégalité consiste à mesurer l’économie, non pas en fonction des agrégats ou du revenu moyen, mais du revenu médian. Les Républicains ont martelé ce chiffre Etat après Etat, de l’Oregon à l’Arkansas en passant par la Géorgie et le Connecticut. «Ces dernières années, le revenu médian des ménages de cet Etat a diminué de plus de 4.000 dollars», a asséné Cory Gardner, élu sénateur du Colorado. «En réalité, les salaires des classes moyennes n’ont pas évolué depuis 1999.»
5.Le chômage réel
Si les Démocrates en place se sont vantés d’avoir fait baisser le chômage, les républicains se sont empressés de souligner que leurs chiffres n’incluaient pas les personnes si découragées qu’elles avaient cessé de chercher du travail. Cet argument a servi au parti républicain dans l’Arkansas, le Colorado, la Géorgie, le Kentucky, l’Oregon et la Virginie. Voici comment l'a formulé Dan Sullivan, le candidat républicain au Sénat pour l’Alaska, en bonne position pour être élu selon les résultats partiels:
«Nous voyons bien ces chiffres de baisse du chômage, mais ce qu’ils cachent, c’est qu’ils ne sont pas dus à un accroissement significatif du nombre d’emplois. La raison en est que des Américains quittent en réalité la population active. Le taux de chômage baisse lorsque les gens arrêtent de chercher du travail. Nous n’avons jamais eu autant d’Américains sortis de la population active depuis la fin des années 1970.»
6.Le sous-emploi
Plusieurs Républicains et libertariens ont soulevé cette question, du Montana à la Géorgie en passant par la Virginie. «Dans cet Etat, la moitié des gens qui travaillent sont en réalité surqualifiés et probablement sous-payés», a observé Jeff Johnson, candidat républicain (battu) au poste de gouverneur du Minnesota.
7.L'Amérique à temps partiel
Kevin Wade, candidat sénatorial républicain (battu) pour le Delaware, a dénoncé la «division de l’Amérique en deux Amérique: une Amérique à temps plein et une Amérique à temps partiel». Il a souligné que presque tous les emplois créés en juin étaient des temps partiels. D’autres républicains ont repris le même argument, de la Louisiane à la Caroline du Sud en passant par le Maine.
8.La mobilité sociale
Rick Snyder, gouverneur républicain réélu dans le Michigan, en a fait le point central de ses programmes de formation professionnelle et d’éducation. Greg Orman, candidat des indépendants pour le Sénat au Kansas (battu), l’a mis au cœur de son programme social. Johnson en a fait son cri de ralliement dans le Minnesota. Et en Virginie, le candidat républicain au Sénat Ed Gillespie, au coude-à-coude avec le sortant Mark Warner, l'a utilisée en introduction de chacun de ses débats. «J’ai peur que nous soyons en train de perdre ce genre d’opportunité économique et de mobilité sociale», a déploré Gillespie.
9.L'inégalité des revenus
James Lankford, nouveau sénateur républicain de l’Oklahoma, a ouvert un débat par cette déclaration:
«Nous souffrons d’une inégalité de revenus. Nous avons une foule de problème à résoudre en tant que nation. Il est crucial de prendre vraiment ces choses au sérieux et de... travailler ensemble pour obtenir de vrais résultats.»
Certes, Lankford a prédit que les solutions conservatrices seraient les plus à même de fonctionner. Mais il a adopté la définition progressiste du problème.
10.Le travail contre le capital
Monica Wehby, candidate (battue) au Sénat pour l’Oregon, a déploré que «Wall Street ne se soit jamais aussi bien porté» tandis que «les revenus de nos familles des classes moyennes ont chuté de 3.000 dollars par an». Bill Cassidy, au coude-à-coude avec la sortante démocrate en Louisiane, s’est indigné de «l'augmentation des inégalités de revenus» car tandis que les actionnaires engraissent, «le salaire du cinquième des personnes aux plus bas revenus a souffert». Tom Cotton, élu sénateur de l’Arkansas, abonde dans son sens:
«Si vous gagnez votre vie grâce à vos biens ou à vos investissements, comme des actions ou des obligations –ce qui est le cas des 5% les plus riches sur la totalité des personnes ayant des revenus–, alors vous n’avez pas de souci. Vos revenus augmentent. Mais si vous gagnez votre vie en travaillant, si c’est votre travail qui vous permet de nourrir votre famille... alors vos revenus baissent.»
On s’attendrait à entendre ce genre de discours dans la bouche de Démocrates, voire de socialistes. Mais Wehby, Cassidy et Cotton sont Républicains.
11.Le salaire minimum
Nombre de Républicains ont traîné des pieds sur la question, mais certains ont cautionné une augmentation du salaire minimum. Il s’agit notamment de Rick Snyder, d’Asa Hutchinson de l’Arkansas, de Bruce Rauner de l’Illinois, de Shelley Moore Capito de Virginie Occidentale et de Charlie Baker, du Massachusetts.
12.La réduction des impôts sur le revenu
Plusieurs républicains, dont Baker, Gardner et le sénateur Mitch McConnell du Kentucky, ont prôné cette solution pour donner un coup de pouce aux travailleurs modestes. McConnell l’a qualifiée de «meilleur moyen de cibler les personnes à bas revenus» ayant besoin d’aide.
13.La taxation progressive
Les riches paient plus d’impôts, et ceux sont donc eux qui profitent le plus de la position anti-taxes du Good Old Party. Mais pendant ces élections, les républicains se sont concentrés sur les impôts des citoyens ordinaires. Thom Tillis, élu sénateur en Caroline du Nord, n'a eu de cesse de déplorer que son rival ait imposé une taxe sur la vente qui «nuisait aux familles pauvres et laborieuses plus qu'à quiconque». Le gouverneur Tom Corbett, battu en Pennsylvanie, n’a pas dit autre chose.
Dans le Massachusetts, Baker a critiqué les démocrates pour avoir augmenté les taxes sur l'essence, sur les services publics et les droits d'enregistrement quotidiens, qui toutes frappent les classes moyennes. Dans l’Illinois, Rauner a affirmé que les taxes sur la vente devraient cibler «des services davantage orientés vers les entreprises plutôt que vers les familles à revenus modestes qui travaillent». Dans l’Arkansas, la formule d’allègement fiscal d’Asa Hutchinson visait ceux qui gagnent 75.000 dollars ou moins par an. Certains candidats républicains et libertariens, notamment le gouverneur de droite Sam Brownback dans le Kansas, ont appelé à la suppression des impôts sur le revenu pour les plus bas salaires.
Les Républicains ont décliné d’autres idées progressistes. Ils ont rabâché les thèmes de l'injustice de la réduction de Medicare, de l’importance des opportunités scolaires incarnant «un grand facteur d'égalité» et de la folie de jouer l'argent des retraites sur le marché boursier. Ils ont admis que le système des soins de santé était un droit fondamental, tourné en ridicule les riches posant comme la «classe moyenne» et défendu le système du «midnight basketball» [dispositif datant des années 1990 consistant à proposer des activités comme le basket aux jeunes traînant la nuit dans les rues pour lutter contre la délinquance].
Non, les républicains ne se sont pas transformés en progressistes. Ils sont toujours allergiques aux impôts et imputent tout ce qui va de travers au président Obama, à l’Obamacare et au big government. Mais leur intérêt pour la stagnation des salaires et la stratification des classes sociales reflète le climat économique et social actuel. Or, lorsque vous utilisez des repères égalitaristes pour mettre l’opposition en accusation, ces repères perdurent.
Lors des prochaines élections, les Républicains aussi seront jugés à l’aune du revenu médian, du chômage des Noirs et de la manière dont ils paient les femmes. Ils devront rendre compte du taux de pauvreté, de la charge fiscale qui pèse sur les petits revenus et du fossé croissant entre investisseurs et travailleurs. Ce sont ces repères de base, et non la composition partisane du Congrès, qui indiquent la direction fondamentale empruntée par le pays.