Santé / Monde

Un câlin contre Ebola: comment Obama a réussi là où Reagan avait échoué

Temps de lecture : 5 min

Retour sur la récente photo où on voit le président des États-Unis serrer dans ses bras une infirmière guérie de la maladie.

Barack Obama et Nina Pham dans le Bureau ovale à Washington, le 24 octobre 2014. REUTERS/Larry Downing.
Barack Obama et Nina Pham dans le Bureau ovale à Washington, le 24 octobre 2014. REUTERS/Larry Downing.

Le 24 octobre dernier, Barack Obama a accompli un acte exaltant, digne de son statut de leader. Il a d'un même mouvement promu la santé publique, combattu le fanatisme et contribué à apaiser une paranoïa galopante. Son geste héroïque? Il a serré une femme dans ses bras.

Nina Pham, la première personne à avoir été infectée par Ebola aux Etats-Unis, venait juste d’être déclarée guérie et de sortir du National Institute of Health. Obama est un homme rationnel, à l’esprit scientifique, il savait donc pertinemment qu’elle ne présentait aucun danger. Il ne lui a pas fallu beaucoup de courage pour la prendre dans ses bras.

Et pourtant, confronté à la même situation, un autre président moderne a lamentablement échoué. Devant la plus grande crise sanitaire de son administration, Ronald Reagan n’a pas été héroïque. Il s’est montré lâche et hésitant.

Un des épisodes les plus honteux de l’histoire américaine récente

La réaction haineuse, homophobe et raciste à la crise du sida est l’un des épisodes les plus honteux de l’histoire américaine récente. Les scientifiques ont su, quelques années après les premiers signalements de cas de sida en 1981, que la maladie était principalement transmise par les relations sexuelles, les transfusions sanguines et le partage des aiguilles.

Le savoir n’empêcha ni les préjugés, ni le colportage de peurs infondées. Les personnes atteintes du VIH furent renvoyées de leurs emplois, empêchées d’entrer dans le pays, expulsées de l’armée. Le pasteur fondamentaliste Jerry Falwell affirma que le sida était «le châtiment de Dieu, pas uniquement des homosexuels» mais aussi «d’une société qui tolère les homosexuels». Le journaliste conservateur William F. Buckley Jr. écrivit, dans un article très diffusé, que les gens à qui l’on avait diagnostiqué le sida devraient l’avoir tatoué sur les fesses. Des écoles refusèrent d’accueillir les enfants atteints du VIH. Lorsqu’un juge ordonna à une école de Floride d’accueillir les jeunes frères Ricky, Randy et Robert Ray, leurs voisins incendièrent leur maison.

D’autres firent preuve de noblesse. Le Center for Disease Control and Prevention ne perdit pas une minute pour s’atteler à la tâche, en lançant des recherches et de nouveaux programmes de veille et en publiant des mises à jour et des rapports aussi rapides que clairs. Au Congrès, un an après l’identification du sida, le représentant de Californie Henry Waxman organisa une séance sur la crise et orienta les financements destinés à la recherche sur le sida vers le National Institute of Health.

Le ministre de la Santé fit la promotion de l’éducation sexuelle et fit envoyer à chaque foyer américain un rapport clair sur la manière dont le sida se transmet ou pas. San Francisco mit en place de nouvelles cliniques et s’érigea en modèle de soin des patients atteints du sida. Le Shanti Project, Gay Men’s Health Crisis, ACT UP et d’autres groupes militèrent pour obtenir de meilleurs traitements, des tests plus rapides et davantage de financements. Des gens soignèrent les malades et les mourants. Ensuite, ils cousirent des édredons pour AIDS Quilt, le mémorial le plus déchirant de l’histoire de la civilisation.

Reagan n'a pas levé le petit doigt

Et Ronald Reagan? Il n’a pas levé le petit doigt. Il était président lorsque les premiers cas ont été signalés. Il était président lorsque le Congrès, les National Academies of Science et tous ceux dont un proche était malade ou qui avaient simplement une conscience demandèrent au gouvernement fédéral d’en faire plus pour combattre cette crise sanitaire et sociale. Il a laissé son très condamnable porte-parole Larry Speakes, chargé de le représenter devant les médias, enchaîner les blagues sur le sida. Voici, via BuzzFeed, la retranscription partielle d’un point presse de la Maison blanche tenu en 1982:

Question: Larry, est-ce que le président a une réaction à l’annonce, par le Center for Disease Control d’Atlanta, que le sida est désormais une épidémie et qu’il y a plus de 600 cas?
MR SPEAKES: Le sida, c’est quoi?
Question: Plus d’un tiers des malades sont morts. On l’appelle la «peste gay». (Rires.) Non, mais c’est vrai. Je veux dire, c’est quand même assez grave qu’une personne sur trois ayant attrapé cette maladie soit décédée. Je me demande si le président en est conscient?
MR SPEAKES: Moi je ne l’ai pas. Vous si? (Rires.)

Reagan aurait pu prendre la parole pour éviter la panique et appeler à la compassion; c’était un homme qui savait très bien prononcer un discours fort. Il aurait pu étreindre une personne malade du sida, ou au moins lui serrer la main. Il savait (ou aurait dû savoir) que ce n’était pas dangereux –tout comme Obama savait que serrer dans ses bras une personne guérie d’Ebola ne présentait aucun danger. Et ça aurait fait une grande différence.

Au lieu de cela, Reagan n’a rien dit sur le sida pendant les six années qui ont suivi le début de la crise. Honte sur lui, il est resté silencieux à un moment où silence était synonyme de mort. Il a fallu attendre que 36.058 personnes soient diagnostiquées aux Etats-Unis et que 20.849 d’entre elles meurent pour qu’il fasse sa première intervention sur le sida.

Lutte contre les mythes obscurantistes

L’épidémie d’Ebola, surtout depuis que la maladie est apparue aux Etats-Unis, a ranimé certains des mythes les plus obscurantistes et dangereux de l’ère du sida. Une fois encore, des chefs religieux clament que la maladie –provoquée par un virus bien connu– est une manifestation de la colère de Dieu. Cette croyance est courante mais abominablement cruelle, tout particulièrement parce que cette maladie s'attaque à notre humanité en se transmettant à ceux qui s’occupent de manière désintéressée des malades et des mourants.

Une fois de plus, des élus alimentent les peurs dans un but politique, réclamant des interdictions de voyager et des quarantaines qui pourraient aggraver l’épidémie en Afrique. Des universités, bien placées pourtant pour faire preuve de bon sens, décommandent conférenciers et visiteurs qui ont voyagé en Afrique. Les théories du complot abondent, et des gens bien loin de la crise gobent tout rond une version complaisante des événements qui fausse les vrais dangers et met la santé publique en péril. Comme le souligne l'essayiste Roy Peter Clark, les fonctionnaires américains en charge de la santé publique et les membres des médias qui font preuve de responsabilité combattent deux des forces les plus puissantes de l'histoire humaine: le mythe du pestiféré et la peur de la Ténébreuse Afrique.

Quand la peur prend le pouvoir, la plus importante des choses que puisse faire un président c’est être calme, clair et compatissant. Voilà pourquoi une simple étreinte revêt de l’importance. C’était une photo calculée, faite pour montrer qu’il ne faut ni fuir, ni stigmatiser les personnes atteintes d’Ebola ou leur entourage. Cette maladie peut être soignée si nous agissons en nous basant sur la science plutôt que sur la superstition, la xénophobie, la panique ou en imputant la faute aux victimes. Cette étreinte était un message disant que nous devons, et que nous pouvons arrêter cette terrible maladie. Le genre de message que Ronald Reagan aurait dû envoyer il y a trente ans.

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