Berlin
Vingt-cinq ans après la chute du Mur, celui-ci continue d'exister sous la forme de petits cailloux passés à la bombe de peinture et vendus à des prix onéreux (un morceau de la taille d'une noix coûte environ dix euros en 2014) dans les lieux touristiques de Berlin. Alors qu'en 1989, le Mur courait sur une centaine de kilomètres et avait un poids total d'environ 250 tonnes, de nombreux morceaux de béton vendus aujourd'hui aux touristes n'en seraient pas issus.
Dans un des laboratoires de l'Institut de géologie de l'Université libre de Berlin, Ralf Milke étale devant lui quelques souvenirs glanés sur les stands de vendeurs à la sauvette, mais également dans les boutiques de souvenirs et dans les musées: morceaux de béton présentés dans des boîtiers en plastique, glissés dans des pochettes accompagnées de prétendus certificats d'authenticité, ou encore réduits en gravier coloré commercialisé dans des petites bouteilles de Schnaps. Sur les six échantillons testés, seul l'un d'entre eux provient d'un des pans du Mur de Berlin:
«Si je devais conseiller quelqu'un dans l'achat d'un morceau de Mur, je lui dirais d'acheter un de ces jolis morceaux qui sont fixés dans un support de plexyglas. Tous ceux que j'ai analysé jusqu'ici étaient authentiques.»
Ralf Milke
«L'empreinte digitale» du Mur
Spécialiste en minéralogie et en pétrologie, Ralf Milke ne s'était jamais intéressé au Mur de Berlin avant que des journalistes allemands ne le consultent il y a quelques années pour s'enquérir de l'authenticité des morceaux de béton vendus sur les lieux touristiques berlinois. Lui-même n'en possédait pas. «Je ne savais absolument pas si cela était réalisable, mais je trouvais la possibilité de pouvoir faire ce test si géniale que j'ai dit oui», explique le géologue. En 2010, il élabore une méthode pour identifier ce qu'en scientifique soucieux de se faire comprendre du plus grand nombre il appelle «l'empreinte digitale» du Mur:
«Chaque structure cristalline possède un modèle qui lui est propre. Ce béton, mis à part quelques variations de sa teneur en calcaire, est toujours le même, car le Mur sous la forme qu'il avait dans les années 1980 a été fabriqué par une seule et même entreprise.»
Pour pouvoir analyser la structure du béton du Mur, Ralf Milke a lancé un appel auprès de ses collègues de l'Institut de géologie pour savoir lesquels d'entre eux se trouvaient à Berlin la nuit du 9 novembre 1989 et avaient eux-mêmes extraits quelques morceaux du Mur à coups de marteau. En prélevant de petits échantillons sur ces morceaux, réduits en poudre puis placés dans un diffractomètre, un appareil qui permet de mesurer des cristaux aux rayons X, le chercheur a pu déterminer ce qui caractérise ce béton sur les diagrammes obtenus, comme il l'explique:
«Il a toujours un pic caractéristique à un endroit précis, qui correspond à un minéral de type silicates de calcium hydratés qui est présent dans la composition du Mur de Berlin. Cela permet donc de dire si le béton est le bon.»
Facilement reconnaissable à l'oeil nu
Observé à l'oeil nu, le béton qui a servi à construire le Mur de Berlin est d'ailleurs déjà assez facilement reconnaissable: il a une couleur assez claire, parsemée de petits cristaux de couleur noire et sable. Quand il s'agit d'un morceau présentant une face lisse, issu de la surface d'un des pans de bétons, les cinq premiers millimètres sont généralement un peu plus foncés, en raison du vieillissement plus rapide de la partie du béton exposée à l'air et à la pluie.
Depuis qu'il est devenu «la seule personne au monde» capable de reconnaître le Mur de Berlin, comme il le dit lui-même, Ralf Milke reçoit chaque année plusieurs demandes d'authentification des quatre coins de l'Allemagne. Des particuliers curieux de savoir si le morceau qu'ils possèdent provient bel et bien du Mur. Mais jamais un seul vendeur de souvenirs ne l'a contacté. Il accomplit cette mission de manière gracieuse, demandant seulement une obole équivalente au prix d'un petit morceau de Mur parfois vrai, parfois faux, vendu dans le commerce, à ceux qui désirent recevoir un certificat d'authenticité.
Ralf Milke compare volontiers ce qui est devenu pour lui une sorte de hobby ces dernières années au travail d'analyse effectué par les gemmologues qui différencient les diamants naturels des diamants synthétiques:
«Ce que je fais, c'est la version satirique des recherches sur les diamants. Le vrai et le faux béton. Tout compte fait, ce n'est qu'un morceau de béton, mais nous l'associons au Mur de Berlin. Il y a une quête d'authenticité, car nous mettons quelque chose de métaphysique à l'intérieur de ces morceaux de béton.»
Même lui possède désormais un petit bout du Mur dans sa collection de pierres.