Santé

Sida: la Sécurité sociale doit-elle rembourser le Truvada® à titre préventif?

Temps de lecture : 4 min

Ce médicament vient, en France, d’être déclaré efficace dans la prévention de l’infection par le VIH. Sa prise en charge par la collectivité soulève des questions inédites que le gouvernement devra trancher.

Virus HIV fixé sur un lymphocyte vu en microscopie électronique, via Wikimédia Commons.
Virus HIV fixé sur un lymphocyte vu en microscopie électronique, via Wikimédia Commons.

Utilisé dans le traitement du sida, le Truvada® consiste en une association de deux médicaments antirétroviraux fabriquée par la firme américaine Gilead Sciences. C’est aussi la première spécialité pharmaceutique qui a démontré une efficacité dans la prévention de l’infection virale lorsqu’elle est prise avant une relation sexuelle potentiellement contaminante.

Il soulève donc une question fondamentale d’un point de vue médical: peut-on user d’une thérapeutique médicamenteuse à des fins préventives? Non plus traiter l’infection par le VIH avec des antirétroviraux, mais utiliser ces mêmes antirétroviraux en prévention de l’infection lors de relations sexuelles tenues pour être potentiellement à risques?

Cette question avait déjà reçu plusieurs réponses positives. En juillet 2012, la Food and Drug Administration (FDA) américaine avait approuvé cette possibilité. L’Agence nationale française de sécurité du médicament (ANSM) avait alors aussitôt fait savoir qu’aucune demande d’autorisation de mise sur le marché dans cette indication préventive n’avait alors été déposée par le laboratoire qui commercialise Truvada® en France.

A la mi-juillet 2014, la question était tranchée dans le même sens par l’OMS. À la veille de la Conférence internationale sur le sida organisée à Melbourne, celle-ci «recommandait vivement aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes d’envisager de prendre des médicaments antirétroviraux en tant que méthode complémentaire de prévention de l’infection à VIH».

Le Truvada® venait ainsi officiellement s’ajouter aux autres recommandations préventives: le recours systématique au préservatif masculin en cas de situation à risque, la réduction du nombre de ces situations et, dans une certaine mesure, la pratique de la circoncision.

Essai «en double aveugle»

En parallèle de ces décisions, un essai français avait été officiellement lancé il y a deux ans, sous l’égide de l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS), pour étudier ce qu’il en était, concrètement, de l’efficacité de cette prophylaxie «à la demande». Dénommé Ipergay, il avait été lancé auprès d’homosexuels séronégatifs ayant des relations sexuelles tenues pour être à haut risque.

Il s’agissait d’un essai contre placebo dit «en double aveugle» (la moitié des participants prenaient une substance inactive et les médecins comme les participants ignoraient la nature du produit) dirigé par le Pr Jean-Michel Molina (Hôpital Saint-Louis, Paris). Les comprimés de Truvada® étaient fournis par le laboratoire Gilead et étaient pris, de même que ceux de placebo, au moment des rapports sexuels. Environ 400 volontaires devaient participer à ce travail à Paris et dans différentes villes en collaboration avec l’association Aides.

Ce travail devait encore durer deux ans mais il vient d’être interrompu. L’efficacité a, selon les responsables, été suffisamment démontrée. Ceux-ci expliquent «avoir constaté une différence d'incidence significative entre les deux groupes avec une réduction très importante du risque d'infection par le VIH dans le groupe Truvada®». Ce constat (les chiffres précis n’ont malheureusement pas été donnés) fait suite aux résultats positifs annoncés le 16 octobre en Grande Bretagne dans un essai comparable, l'essai Proud.

Les responsables de l’essai Ipergay ont aussitôt jugé nécessaire d’interrompre leur travail, pour des raisons éthiques. «Tous les participants de l’essai vont désormais pouvoir bénéficier de ce médicament», annonce aujourd’hui l’ANRS. «C'est une avancée majeure dans la lutte. Les résultats d'Ipergay devraient faire évoluer les recommandations nationales et internationales en matière de prévention contre le VIH», souligne le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l'ANRS.

Problématique spécifique à la France

Les questions scientifiques et médicales semblant ayant trouvé leurs réponses, une nouvelle problématique est soulevée, spécifique à la France du fait de son système de protection sociale qui, à l’exception des vaccins, ne prend en charge que la thérapeutique. Un médicament utilisé à des fins préventives doit-il être pris en charge par notre collectivité nationale? La Sécurité sociale doit-elle rembourser le Truvada®, qui coûte 520 euros les 30 comprimés, dans toutes ses indications? Et cela n’imposerait-il alors pas, en toute logique, la gratuité du préservatif utilisé à des fins prophylactiques?

Une question problématique à une époque où tout est fait pour faire des économies sur le chapitre médicamenteux, et qui n'est de plus pas la seule. La «prophylaxie pré-exposition» est loin de rencontrer un consensus au sein des spécialistes de virologie comme de ceux des maladies infectieuses et d’épidémiologie. De larges réticences demeurent pour qu’un médicament antirétroviral efficace soit utilisé à des fins préventives, «à la demande», et donc en dehors des formes habituelles de prescription médicamenteuse. Les médecins évoquent notamment le risque d’utilisations incontrôlées de nature à provoquer l’émergence de résistances.

C’est là une question d’autant plus sensible que le préservatif a amplement fait la preuve de son efficacité. «L'efficacité observée ne doit néanmoins pas faire oublier que le préservatif reste la pierre angulaire de la prévention. C'est en additionnant tous les outils de prévention qui auront fait leur preuve que nous serons en mesure de contrôler efficacement l'épidémie du VIH/sida», souligne pour sa part le Pr Jean-Michel Molina. De plus, en toute logique, épidémiologique et plus encore éthique, la nouvelle possibilité préventive médicamenteuse ne saurait être réservée aux relations à risque de nature homosexuelle. Comment, dès lors organiser la prescription du Truvada®, avec quelles indications précises?

En juillet, les responsables d’Aides avaient choisi d’en appeler à la ministre de la Santé Marisol Touraine. Ils lui demandaient de «sortir de l’immobilisme», c'est à dire, en pratique, de faciliter l’ouverture de l’accès au traitement préventif. Cette mesure ne pose guère de difficultés pratique: il suffit d’une «extension de l’indication au préventif» du médicament qui «permettrait la mise à disposition pour des personnes séronégatives». La ministre de la Santé n’avait pas répondu. La même question s’impose désormais à elle avec la fin et les conclusions de l’essai Ipergay.

Le Truvada® est actuellement disponible en France pour les personnes infectées par le VIH dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) et est remboursé à 100%. La firme Gilead Sciences va désormais pouvoir demander une extension d’indication et un remboursement. Si ce dernier n’est pas accordé, rien ne lui interdira de le commercialiser à un prix libre. Le gouvernement jugera-t-il que les personnes séronégatives prenant le risque d’une contamination sexuelle devront payer le prix de leur prévention? On attend sa décision et les raisons qui l’auront conduit à autoriser, ou non, sa prise en charge par la collectivité.

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