David Cohen, l’homme à la tête de l’antiterrorisme au département du Trésor américain estime que la campagne militaire américaine contre l’organisation Etat islamique commence à faire des dégâts dans les revenus du groupe.
C’est nécessairement à partir de spéculations et d’estimations qu’on imagine comment l’organisation se finance, mais des chercheurs commencent à voir plus clair dans les comptes du groupe. Eckart Woertz, un membre du Centre for International Affairs de Barcelone livre un résumé utile de ce qu’on l’on sait des bouées de sauvetage financières de l’organisation. Les revenus du groupe varient probablement entre un et cinq millions de dollars par jour. Un membre du renseignement américain a raconté au Guardian un peu plus tôt cette année que ses actifs avaient gonflé de 875 millions à plus de deux milliards de dollars après la chute de Mossoul.
Pétrole, pillage et rançons
La plus grosse partie vient du pétrole. On estime que l’organisation Etat islamique contrôle six des dix champs de pétrole de la Syrie et qu’elle en fait de même en Irak. Le groupe s’appuie sur des réseaux de contrebande, dont certains datent de l’embargo de l’ONU contre Saddam Hussein dans les années 1990. Un article paru en septembre dans le Financial Times suggérait que sur le marché noir, le pétrole est souvent raffiné depuis des usines du Kurdistan irakien. Ceci signifie que l’organisation Etat islamique expédie son pétrole en passant par des territoires ennemis.
Une autre partie de ses revenus vient du pillage de nouvelles zones conquises –bien que le butin ait parfois été exagéré– et de taxes, et extorsion des personnes qui vivent sur le territoire de l’EI. Il y a aussi l’immobilier (les réfugiés qui fuient ces territoires laissent derrière eux des logements qui peuvent être loués). Et puis, bien sûr, il y a les rançons payées par certains gouvernements qui acceptent de négocier contre le retour de leurs otages.
L’organisation Etat islamique a également reçu des financements de la part de riches donateurs, beaucoup venant des pays du Golfe, particulièrement à ses débuts, même si selon Eckart Woertz, les montants n’ont jamais atteint ce que l’on croit.
La plupart de ces sources de revenus n’est peut-être pas viable. L’EI continue de gagner du terrain, mais plus lentement et à un coût plus important qu’il y a encore quelques mois, quand il balayait tout sur son passage dans les bandes dégagées d’Irak. Le meilleur exemple, c’est Kobané, en Syrie, que ses défenseurs surnomment désormais «Stalingrad».
L’Etat islamique peut toujours exploiter ceux qui vivent dans les régions sous son contrôle, mais il se méfie. Son prédécesseur, al-Qaida en Irak, avait fait face à une révolte populaire au milieu de la dernière décennie quand les habitants en ont eu assez de son joug.
Fermer le robinet
L’organisation Etat islamique détient toujours des milliers d’otages, mais les épouvantables morts de James Foley, Steven Sotloff et Alan Henning pourraient amener moins de citoyens occidentaux (dont les gouvernements paieront des rançons plus importantes) à se rendre dans la région.
Il y a également des preuves que d’anciens soutiens de l’organisation commencent à revenir sur leur position, alors que le groupe s’agrandit.
Ceci rend le rôle du pétrole encore plus critique. Etant donné qu’il faudra peut-être attendre un an avant que l’armée irakienne ne soit en état de lancer une contre-attaque majeure, et vu le manque de coordination entre les rebelles syriens modérés et leurs soutiens internationaux, empêcher l'EI de récupérer l'argent du pétrole est peut-être la chose la plus productive que les Etats-Unis et leurs alliés puissent faire pour arrêter la progression du groupe.
Si on rangeait l'EI dans les «Etats», il serait au niveau de la RDC ou de l'Afghanistan
Les frappes aériennes, les sanctions ciblées, et les mesures de répression sur les routes de contrebande font partie de cet effort. Le fait que les alliés saoudiens de Washington semblent accepter de fixer des prix bas pour le pétrole est également utile. Tout cela pourrait changer si l’EI parvenait à prendre possession de plus de champs de pétrole en Irak, mais beaucoup sont dans les territoires kurdes, dans le nord et dans les zones chiites, dans le sud –pas vraiment du gâteau.
Eckart Woertz remarque que les revenus de l’organisation Etat islamique –même s’ils viennent à être réduits par rapport à leur niveau actuel– sont «important pour un groupe terroriste, mais pas pour une organisation qui veut diriger un Etat et imposer sa loi sur un territoire étendu».
Comme le pointe Hayes Brown, si l’on classifie l’EI comme «l’Etat» qu’il clame être, ses 875 millions de dollars d’actifs le mettent «plus ou moins au niveau de la République démocratique du Congo et de l’Afghanistan, deux pays pas vraiment connus pour leurs importantes dépenses publiques».
En d’autres mots, si l’Etat islamique prévoit de continuer à agir comme un Etat, il pourrait avoir un sérieux problème de trésorerie dans un futur proche. S’il change de tactique et agit plus comme un réseau terroriste traditionnel, qui veut plus infliger des dégâts à ses ennemis plutôt que de construire des institutions locales, il devrait pouvoir s’appuyer sur ses réserves pendant encore un moment.