Jérusalem
Impossible d’ignorer l’avertissement placardé à l’entrée de la passerelle des Maghrébins, qu’empruntent les non-musulmans pour accéder à l’esplanade des Mosquées, dans la vieille ville de Jérusalem. «En accord avec la loi de la Torah, il est strictement interdit d’aller sur le mont du Temple en raison de la sainteté du site», est-il écrit en lettres blanches sur fond brun. L’injonction provient directement du grand rabbinat d’Israël, soucieux de la pureté de ses ouailles.
Une photo de 1978 d'un panneau interdisant l'accès du mont de Temple aux juifs. Via Wikimédia Commons.
Pourtant, une fois arrivé sur ces lieux où, selon la tradition juive, se dressait le deuxième Temple jusqu’à sa destruction en 70 après J.C., mais qui hébergent aussi à la fois, chez les musulmans, la coupole dorée du Dôme du rocher et la mosquée al-Aqsa, il suffit de quelques pas pour tomber nez-à-nez avec une dizaine de juifs religieux. En pantalons noirs et chemises blanches, les membres du groupe se déplacent sous protection policière. Une escorte qui en dit long sur les tensions régnant sur ce site religieux, le plus disputé de Jérusalem.
Pendant longtemps, «l’ascension» du mont du Temple est restée le fait d’une simple poignée de juifs messianistes. Mais ces dernières années ont été marquées par une évolution spectaculaire: quelque 11.000 visites ont été recensées en 2013, un record. Pendant les dernières fêtes juives de Roch Hachana et Souccot, cet automne, on en dénombrait jusqu’à plusieurs centaines par jour. Au même moment, la police israélienne restreignait l’accès des fidèles musulmans à l’esplanade, déclenchant des heurts violents dans la vieille ville.
Cocktail explosif
Tous les ingrédients semblent désormais réunis pour un cocktail explosif. Depuis l’été et l’opération militaire à Gaza, une atmosphère de guérilla urbaine a envahi certains quartiers de Jérusalem. Mercredi 21 octobre, un Palestinien de Jérusalem-Est a précipité sa voiture sur des passants, tuant un bébé de trois mois.

Dans ce contexte d’escalade des tensions, la bataille qui se joue au mont du Temple –appelé Haram al-Sharif ou «Noble Sanctuaire» par les musulmans– pourrait bien être l’étincelle susceptible de faire tout s’enflammer. «Si lors d’un incident violent sur l’esplanade, un Palestinien mourrait, apparemment en défense d’al-Aqsa, cela pourrait être perçu comme un outrage national, au risque de provoquer une vague de violence très difficile à contenir», prédit Ofer Zalzberg, chercheur à l’International Crisis Group et auteur d’un rapport sur le point de paraître sur la poudrière du mont du Temple. Or, juge cet expert qui, pour son enquête, a longuement rencontré des responsables politiques et religieux des deux côtés, «la situation s’est détériorée de façon incroyable ces trois derniers mois».
Le site, troisième lieu saint de l’islam après La Mecque et la mosquée du Prophète à Médine, a été conquis en 1967 par Israël, qui en a confié l’administration aux autorités religieuses jordaniennes. Mais la police de l’Etat hébreu continue d’y jouer un rôle de premier plan, surveillant et filtrant les visiteurs selon ses critères de sécurité. Chez les fidèles musulmans, la crainte grandit de voir bientôt remis en cause le statu quo selon lequel aucun non-musulman n’est autorisé à prier ostensiblement sur l’esplanade.
Puissants relais dans l'arène politique
Il faut dire que la mouvance du Temple compte de puissants relais dans l’arène politique. «Là [sur le site du dôme du Rocher, ndlr], j’aimerais voir le troisième Temple. J’espère le voir de mon vivant», déclarait cet été à la télévision le ministre du logement Uri Ariel, du parti nationaliste religieux le Foyer juif. Les députés de droite et d’extrême-droite sont toujours plus nombreux à insister sur les droits du peuple juif «sur son lieu le plus saint»: Moshe Feiglin, vice-président de la Knesset et membre du Likoud, réclame même l’entière «souveraineté» des juifs sur le site.
Sans aller jusque là, une proposition de loi portée par la députée Miri Regev (Likoud) prévoit d’autoriser les juifs à y prier librement et pourrait être soumise au vote du Parlement dès novembre. «Mais il n’y a aucune chance qu’elle soit adoptée, assure Ofer Zalzberg. Un Premier ministre qui laisserait faire une telle chose perdrait immédiatement ses relations avec la Jordanie et l’Egypte et risquerait de déclencher une nouvelle intifada en Cisjordanie.»
La visite d'Ariel Sharon au mont du Temple, le 28 septembre 2000.
Il faut dire que certaines des pages les plus noires du conflit israélo-palestinien ont commencé à s’écrire sur l’esplanade des Mosquées. En octobre 1990, une fusillade sur les lieux fait 22 morts palestiniens, entraînant une vague d’attentats en Israël et dans les territoires occupés. Six ans plus tard, la découverte d’un tunnel percé par la municipalité le long de l’esplanade provoque des émeutes sanglantes qui se soldent par plus de 70 morts. Personne, surtout, n’a oublié la visite sur le mont du Temple, le 28 septembre 2000, d’Ariel Sharon, alors chef de file de l’opposition. Une provocation qui marqua le point de départ de la deuxième intifada, surnommée par les Palestiniens «intifada al-Aqsa».
Aujourd’hui, le premier ministre Benjamin Netanyahou assure vouloir s’en tenir au statu quo. «Mais la réalité des faits tend à prouver le contraire: à force de laisser la police israélienne faire la loi, d’autoriser des juifs fanatiques à monter en grand nombre tandis qu’on empêche des Palestiniens d’accéder au Noble Sanctuaire, on prend le risque d’une spirale dangereuse», met en garde Mahdi Abdel Hadi, directeur du centre de recherche palestinien Passia.
Les activistes ne perdent pas une seconde
En attendant, les activistes du Temple ne perdent pas une seconde. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre à l’Institut du Temple, à un jet de pierre du Kotel, le mur des Lamentations, le long de l'esplanade du Temple.
Cet établissement, fondé en 1987 par un ancien parachutiste et qui touche des subsides de l’Etat, se prépare activement à l’édification d’un troisième Temple. Derrière des vitrines sont exposés des vêtements de prêtres et grand-prêtre, des instruments de musique, des objets rituels du culte et même un autel de sacrifice. Un inventaire soigneusement reconstitué sur la base d’indications puisées dans les textes bibliques, comme l’explique notre guide. «Nous ne sommes pas ici dans un musée, tous les objets que vous voyez sont prêts à être utilisés dès que nous en aurons l’autorisation. Il y a déjà 45 personnes qui ont acquis l’habit de prêtre ordinaire et plusieurs d’entre eux ont commencé à se former à cette charge», précise la jeune femme prénommée Bathsheva, «comme l’épouse du roi David». Le désir de voir ressurgir le Temple après presque 2.000 ans ne serait contraire en rien à l’esprit du temps: «On pourra s’y rendre en tramway, et tout le personnel sera équipé du Bluetooth, s’enthousiasme Bathsheva. Ce sera un lieu de modernité et, ne l’oublions pas, de paix entre les nations.»
Un discours pacifiant à mille lieues du climat électrique qui entoure aujourd’hui l’esplanade. «Le mont du Temple est le catalyseur d’un conflit qui devient de plus en plus religieux, décrit Ofer Zalzberg. Il est temps que les responsables politiques de tous bords mettent en tête de leurs priorités la recherche de solutions propres à stopper l’engrenage.»