Culture

Lou Reed est mort il y a un an, mais ces dix albums perpétuent son héritage

Temps de lecture : 8 min

De Julian Casablancas à Mac DeMarco, ces artistes ont, ces derniers mois, sorti un disque qui reflète l'empreinte indélébile du leader du Velvet Underground.

Détail de la pochette de l'album «Transformer» par Mick Rock (1972).
Détail de la pochette de l'album «Transformer» par Mick Rock (1972).

Il y a un an, le 27 octobre 2013, Lou Reed disparaissait à l'âge de 71 ans. Un an plus tard, petit inventaire de ses héritiers assumés, artistes confirmés ou jeunes talents, tous marqués par son empreinte indélébile. Leur point commun? Avoir sorti un disque dans l'année suivant sa mort.

1.Étienne DahoPour le Lou Reed de Sunday Morning


L’intérêt que porte Daho à Lou Reed ne date pas d’hier: en 1986 déjà, il reprenait Sunday Morning pour la compilation Les enfants du Velvet. Il admire son exigence, sa liberté en tant qu’homme et artiste et, surtout, son art de la chanson. En 1993, il écrivait: «J'adore le Lou Reed –et le John Cale– de Songs for Drella. J'aime moins le Lou Reed sérieux et prétentieux qui demande qu'on entre dans ses albums comme en religion. Je le préfère les ongles noirs, et teint en blond. Période Underground.»

Si les mélopées de Daho se sont voulues plus synthétiques et accessibles que celles de Reed, il n’empêche que les paroles les plus légères du chanteur français peuvent s’avérer, quand on s’y penche de plus près, au bord du désespoir –comme en témoigne son Tombé pour la France. Son dernier album en date, Chansons de l’innocence retrouvée (2013), cultive une imagerie et une ambiance imprégnées de l’influence du Velvet Underground. Anecdote: Nico aurait du travailler sur l’album Pop Satori, mais le rendez-vous fut manqué, avant que le décès de la musicienne et actrice, en 1988, ne l'empêche définitivement.

2.HowlerPour le Lou Reed de The Blue Mask


Découvert avec America Give Up en 2011, le groupe originaire de Minneapolis cultive un rock expéditif bien plus réfléchi que l’on ne le pense au premier abord, nourri des idoles rockabilly des fifties comme du punk de la fin des années 70.

Son second opus, World of Joy, paru au printemps 2014, a confirmé cette bonne impression. Le chanteur, Jordan Gatesmith, ne cherche pas à imiter le phrasé de Lou Reed comme beaucoup de ses rivaux. En revanche, il cultive une tonalité désabusée, volontairement rugueuse, et des thématiques liées à l’adolescence –un des sujets de prédilection du rockeur new-yorkais.

Là où le groupe retrouve le plus son inspiration, c’est sur la critique à la fois acerbe et distanciée de la société américaine, entre électrochocs, drogues et mutisme. «On a tout dit, tout écrit sur Lou Reed, nous explique Jordan Gatesmith. Il nous impressionne énormément. De notre point de vue de fan, il ne restera pas seulement en mémoire comme le bad boy originel du rock’n’roll, mais comme un tourbillon fantastique de créativité et d’innovation, comme on n’en verra sans doute plus jamais.»

3.Julian CasablancasPour le Lou Reed de Rock'n'Roll Heart


Impossible de passer sous silence la filiation entre le Velvet Underground et les Strokes qui, au début des années 2000, ont ramené le rock new-yorkais cradingue (mais smart!) au goût du jour. Au chant, Julian Casablancas, aussi peu expressif qu’un Lou Reed en son temps, mondain mais de mauvaise humeur quotidienne et porté sur toutes les formes d’addictions. Pas mal de points communs, donc.

Depuis, les derniers albums des Strokes se sont dégagés de ce parrain trop encombrant et Casablancas s’est assagi. Mais il vient de publier un second disque solo pour le moins surprenant, où se bousculent punk, métal, musique africaine et électro-pop –quant aux textes, ils reflètent une certaine méfiance envers les politiques (et à peu près le reste du monde). Cela nous rappelle quelqu’un… Lors du décès de Reed, Casablancas s’est fendu d’un hommage ambivalent et sincèrement ému:

«Il était tout pour moi, c’est grâce à lui que j’ai commencé la musique, monté mon label… Sa mort est une injustice. Mais il n’était pas accessible. Honnêtement, je pense qu’il avait pris trop de drogues. Ce que j’aimais chez lui, c’était les concerts, où il ne cherchait pas à reproduire le même son. Il était en décalage. Je crois que c’est pour cela qu’il ne se rendait pas compte à quel point les gens l’aimaient. »

4.Marie-FlorePour le Lou Reed de Candy Says


Après des débuts de folkeuse guitare-voix, la chanteuse française (et anglophone) a choisi d’explorer davantage le terrain d’un rock vénéneux, à la fois analogique et synthétique. Sur son premier album By The Dozen, paru en septembre dernier, le morceau All Mine peut être considéré, sans surinterprétation aucune, comme un manifeste à la gloire du Velvet Underground et des premiers solos de Lou Reed, du phrasé aux riffs nonchalants.

Même si elle a été baptisée en hommage à Joan Baez, Marie-Flore revendique cette influence: «Lou Reed, c'est avant tout une manière de poser des mots sur ses morceaux, désinvolte, puis sa voix... La période Velvet reste la meilleure d’après moi: ce sont des classiques qui m'habitent toujours, certainement les albums que j'ai le plus écoutés –des démos presque inaudibles aux succès.»

5.Devonte Hynes (Blood Orange)Pour le Lou Reed de Street Hassle


S'il a dévoilé son émotion lors de l’hommage rendu à Lou Reed en décembre 2013 au Lincoln Center («J’ai pleuré trente minutes d’affilée»), c’est surtout aux autres de souligner le lien qui existe entre Devonte Hynes, 29 ans, et le leader du Velvet Underground. À l’écoute de Cupid Deluxe, sorti en novembre 2013 sous le nom Blood Orange (qui a succédé au projet Lightspeed Champion), le GQ américain disait de lui qu’il est «la réponse» actuelle à la musique de Lou Reed.

De prime abord, sa pop vénéneuse ne se réclame pas de l’héritage du leader du Velvet. Mais elle puise dans l’urbanité, un amour parfois contrarié de New York et une tendre fascination pour les travestis –ses deux pochettes témoignent également d’une forte influence de la Factory warholienne. «J'ai réalisé tout ce que son travail signifiait pour moi il y a environ cinq ans, écrivait-il à sa mort. J’ai alors commandé un livre compilant tous ses textes, et j’allais m'asseoir à Washington Square écouter Street Hassle en boucle.»

6.CrocodilesPour le Lou Reed de Shooting Star


Avec quatre albums d’indie rock sous influence garage, les Crocodiles pourraient former un groupe comme tant d’autres sur la scène alternative californienne. Sauf qu’ils manient le verbe comme peu d’autres (ils sont amateurs de poésie européenne et publient eux-mêmes leurs poèmes) et qu’ils n’ont pas hésité, comme Lou Reed en son temps, à s’exiler à Berlin pour l’album Endless Flowers, à la pochette controversée (on y voit un teenager androgyne descendre un escalier).

Après s’être rencontrés ados à San Diego, Brandon Welchez et Charles Rowell vivent désormais entre New York et Londres. D’après Welchez, le dernier album de Crocodiles, Crimes of Passion, est entre autres inspiré par le Lou Reed de la fin des seventies: «Lou Reed, c’est l’oncle sympa qui te laisse tester tout ce que tes parents t’empêchent de faire. Il a renforcé l’idée que la simplicité était la voie royale du songwriting», nous explique Brandon Welchez. «Ses chansons sont faciles à jouer et à chanter mais elles ne perdent en rien leur pouvoir. J’aime toute sa discographie, du milieu des années 60 aux années 80. Plus je vieillis, plus j’apprécie ses disques récents. Je ne serai pas surpris si je me révélais dans quelques années être fan de son album avec Metallica!»

7.MorrisseyPour le Lou Reed de Satellite of Love


En 2011, l’ex-chanteur des Smiths enregistre à Las Vegas sa propre version de Satellite of Love, chanson qui, lorsqu’on y pense, lui va à ravir: une grandiloquence orchestrale, des textes à la fois simples et émotifs, des envolées quasi lyriques… Tous les ingrédients chers à Morrissey s’y retrouvent.

Si d’autres disques de Lou Reed, tels que Metal Machine Music ou Street Hassle, ne sont pas assez mélodiques ou, tout simplement, trop expérimentaux pour s’inscrire dans le cahier des charges d’un Morrissey, ce dernier ne cache pas l’immense influence de celui qu’il considère avant tout comme un poète: «À l’âge de 12 ans, je suis allé voir Lou Reed en concert, tout seul. À la réflexion, c’est assez extraordinaire d’imaginer un gamin de 12 ou 13 se rendre seul à un concert voir Lou Reed qui, à l’époque, parlait exclusivement de transsexualité, d’héroïne, de mort, de la beauté de la mort et de l’impossibilité de vivre.»

À la mort de Lou Reed, il est dévasté. Paru à l’été 2014, World Peace is None Of Your Business est un disque 100% Morrissey mais qui, même dans des titres a priori très éloignés de l’univers reedien, partage avec lui un usage mordant de l’ironie, que l’on trouve dans Staircase At The University, par exemple.

8.Parquet CourtsPour le Lou Reed de Romeo Had Juliette


Texans exilés à Brooklyn, les Parquet Courts excellent dans le registre du rock abrupt new-yorkais, à la fois performant et nonchalant. Ils adorent leur ville d’adoption, refusent de rentrer dans le cirque attendu des rappels lors de leurs concerts, boudent les réseaux sociaux, composent des titres électrisants et sans fioritures.

Leur troisième et dernier opus en date, Sunbathing Animal, doit beaucoup au Velvet Underground, certes, mais aussi aux solos de Lou Reed tels que New York. S’ils rechignent aujourd’hui à parler de «ce qui est ancien», ils avaient conclu leur concert du 27 octobre 2013 à l’AB Club de Bruxelles par une reprise de What Goes On du Velvet.

Actuellement, deux des membres du groupe veillent respectivement à leurs études et leur progéniture. Les deux autres se sont investis dans un side project nommé… Parquay Quarts, dont l’album Content Nausea (à paraitre le 8 décembre) convoque allègrement White Light/White Heat comme Transformer. Des héritiers tout trouvés, mais qui ne s’en vantent guère…

9.Emmanuelle SeignerPour le Lou Reed de Caroline Says


Non seulement l’actrice-chanteuse assume totalement ses inspirations velvet undergroundiennes, omniprésentes dans ses disques avec le duo de rock français Ultra Orange, mais elle peut également se targuer de les avoir interprétées avec la bénédiction du maître. Via un écran vidéo, c’est elle qui tenait le rôle de Caroline dans le concert de Berlin version 2.0, filmé en 2007 par Julian Schnabel et tiré de l’album du même nom. Une nouvelle Nico, autre influence évidente? En tout cas, Lou Reed ne s’y est pas trompé.

Plus récemment, elle tenait le rôle principal dans La Vénus à la Fourrure, réalisé par son mari Roman Polanski, inspiré du roman de Leopold von Sadoch-Masoch dont le Velvet avait tiré son Venus In Furs. Un titre sulfureux qu’elle reprend dans son dernier album en date, Distant Lover: «J'ai appris sa mort en arrivant à New York pour enregistrer cette chanson. C'était vraiment troublant», racontait-elle en avril dernier. La boucle est bouclée.

10Mac DeMarcoPour le Lou Reed de Coney Island Baby


Né Vernor Winfield McBriare Smith IV en Colombie britannique, Mac DeMarco est vite éloigné d’un père toxicomane et reprend le nom de sa mère alors qu’il est encore au biberon. Après avoir égrené nombre de formations rock à Vancouver, il tente sa chance à Montréal en cumulant petits boulots et sessions en studio. Quelques années de tournées effrénées plus tard, le songwriter canadien a déjà trois albums en poche à 24 ans.

Le dernier en date, Salad Days, lui a valu une révélation fracassante auprès d’un public plus large. Bien que ses compositions de pop DIY assez troublante se placent avant tout sous l’égide de Jonathan Richman, il suffit de l’entendre chanter pour comprendre le lien indiscutable qui l’unit au leader du Velvet Underground. Quelques mois avant sa mort, qui l’affecta profondément, il déclarait: «J’adore Lou Reed. Ma chanson préférée: Satellite of Love

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