«Je ne sais pas exactement ce que sera le chiffre, mais voyez, par rapport à ces 60 supposés cas, cela fait déjà 94% des parlementaires qui n’ont pas de problème.» Claude Bartolone, qui répondait à France Info, a tenté de relativiser les chiffres dévoilés par le Canard Enchaîné mercredi 22 octobre: le journal satirique explique que de «nouveaux Thévenoud inquiètent le gouvernement», faisant référence à l’ex-secrétaire d’Etat remercié pour cause de problèmes fiscaux, et ajoute qu'«une soixantaine de députés et de sénateurs seraient en délicatesse avec le fisc».
Mais que signifie exactement «être en délicatesse avec le fisc»? Cette expression recouvre en réalité des situations très différentes, comme l'explique le Canard enchaîné en parlant d'un éventail allant «du petit différend au gros redressement»: le fisc ne peut pas prendre des sanctions contre un contribuable n'importe comment, et de nombreuses étapes existent et visent à éviter tout conflit majeur ou poursuites.
Pour les parlementaires comme pour chaque contribuable français, le processus administratif reste le même et commence avec des opérations de relance. Dans son dernier rapport d’activité, la Direction générale des finances publiques (DGFIP) a comptabilisé au total presque 10 millions d’opérations de ce genre en 2013, allant de la lettre de rappel à la mise en demeure de payer.
Un chiffre en apparence impressionnant puisqu'il correspond à environ un quart des 36,7 millions de déclarations de revenus remplies, dont la moitié ne débouchent sur aucune imposition. Mais cela ne signifie pas que 27% des contribuables français sont en «délicatesse avec le fisc», puisqu'un même contribuable négligent peut faire l'objet de plusieurs relances. Celles-ci constituent des démarches de bases et ne pointent pas forcément des fraudeurs: si la loi exige de remplir sa déclaration à l’euro près, une lettre de relance ou de rappel ne signifie pas obligatoirement que le fisc compte sanctionner le contribuable.
Comme le montre le rapport de la DGFIP, plusieurs étapes de recouvrement existent dès l’instant où le règlement des impôts n’est pas respecté. Après les premières lettres de rappel ou de relance, le fisc peut menacer de poursuites avec une «mise en demeure de payer», par exemple, également envoyée par courrier. Cette mise en demeure ne constitue pas une poursuite et fait plus souvent office de moyen d'incitation à la régularisation volontaire.
En revanche, si ces différents niveaux de rappel n’ont pas suffi, les choses se compliquent. Des mesures plus graves peuvent être prises comme l’action en recouvrement forcé, à savoir «l’avis à tiers détenteur». La plupart du temps, il s’agit de faire appel à la banque de la personne en question pour demander le paiement de ce qui est dû. En 2013, plus de 5 millions d'avis en ce sens ont été émis.
Plus rare encore, des recouvrements forcés, comme des actions lourdes de «reconstitution de patrimoine» (qui concernent la succession) ou de «saisie immobilière», peuvent être mises en place si l'avis à tiers détenteur ne suffit toujours pas. Un peu plus de 500 opérations de ce genre ont été effectuées en 2013 selon le rapport d'activité de la DGFIP, soit l'équivalent de 0,001% des déclarations d'impôts sur le revenu.
Enfin, les actions en justice concernent des faits graves: on en comptait un peu plus de 2.400 en 2013 envers des particuliers devant les différentes juridictions. A titre d'exemple, l'ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac a été mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale et déclaration mensongère de patrimoine, et pourrait être renvoyé devant le tribunal correctionnel en 2015. Notons en revanche que Thomas Thévenoud n'a pas fait l'objet de poursuites judiciaires.
Les démarches mises en place par l'administration sont donc graduelles et les mesures extrêmes sont rares. Le Canard Enchaîné estime d’ailleurs que «après les régulations en cours, [les parlementaires mis en cause] pourraient n’être plus qu’une grosse poignée». Ces «nouveaux Thévenoud» sont donc potentiellement dans la même situation que des millions de Français: des personnes en retard sur le paiement de leurs impôts ou en désaccord avec le fisc, pas forcément des délinquants. Reste alors la question de l'exemplarité de la classe politique, qui risque, avec cette affaire, d'être à nouveau mise à mal.
L'explication remercie Vincent Drezet, secrétaire général du syndicat Solidarité-Finances publiques.
Retrouvez tous nos articles de la rubrique L'explication ici. Vous vous posez une question sur l'actualité? Envoyez un mail à explication @ slate.fr