Dans les villes indiennes, il est très fréquent de voir des hommes uriner en public, souvent contre les murs. La pratique est tellement répandue que plusieurs campagnes de propreté ont été lancées: au printemps dernier, des militants masqués se sont mis à arroser les pisseurs de Bombay avec de gigantesques canons à eau.
Au Rajasthan, le gouvernement local a donné des récompenses aux résidents qui acceptent de troubler la tranquilité des urineurs à coups de tambours et sifflets. Mais depuis longtemps, les autorités et les associations de riverains ont recours à une approche plus subtile: placer des images de dieux contre les murs.
Les Indiens –qui sont très religieux– oseraient-ils faire pipi sur un carreau en céramique orné de Ganesh? Décideront-ils de se retenir s'ils sont confrontés à l'image d'un dieu? Il n'y a pas d'étude à ce sujet, mais dans de nombreux cas, les portions de murs décorées sont relativement épargnées. Selon la journaliste Ranjani Iyer Mohanty dans The Atlantic, le mécanisme psychologique de dissuasion «est probablement une combinaison de crainte de la colère de Dieu (particulièrement quand on a la braguette ouverte) et de volonté d'être religieusement correct».
Pour que tous les croyants se sentent concernés, ces carreaux ne représentent pas que des déités hindoues: il y a aussi des images de Jésus Christ et des symboles musulmans et sikhs.
L'écrivain bangladaise Taslima Nasreen, qui a dû quitter le Bangladesh en 1994 pour avoir critiqué l'islam, explique dans un blog que ces images sont «le seul usage valide des dieux». «Dieu est la seule chose qui puisse empêcher les hommes d'uriner en public. Je ne connais pas de meilleure utilisation de la religion.»
En 2008, le photographe Amit Madheshiya a fait un reportage sur toutes ces icônes gardiennes de propreté, et pour lui, cette juxtaposition de dieux différents dans l'espace public est un signe positif d'harmonie entre les religions.
Mais au fait, pourquoi les Indiens de toutes religions urinent-ils dans la rue? Près de la moitié des foyers indiens sont dépourvus de WC et les toilettes publiques ne sont pas toujours très accueillantes, mais cette pénurie ne permet pas entièrement d'expliquer l'omniprésence des urineurs. En effet, on ne voit presque jamais de femmes uriner en public, précise Ranjani Iyer Mohanty. C'est donc aussi une question d'habitude culturelle.