Cela fait peur, tout autant que cela fascine. Plusieurs expériences menées par des chercheurs arrivent à un résultat à peu près similaire: des générateurs automatiques d’histoire.
Le magazine britanique NewScientist propose un tour d’horizon des progammes informatique capables de générer automatiquement des histoires. Un des plus convaincant est Sheherazade, développé par Mark Riedl et ses collègues du Georgia Institute of Technology d’Atlanta. Cet outil demande simplement à son utilisateur d’entrer un certain nombre d’actions très soigneusement découpées (par exemple: «John ouvre la porte de la banque. John entre par la porte ouverte de la banque etc.») que Sheherazade partage auprès de plateformes de crowdsourcing comme Mechanical Turk. A la suite de quoi, le programme assemble les réponses collectées auprès des contributeurs pour en faire des histoires cohérentes.
Par ailleurs, le magazine scientifique fait aussi état des programmes Flux Capacitor de la University College Dublin et de The What-if-Machine développé par la Goldsmiths, Université de Londres. Grâce à ces deux logiciels particulièrement pointus, un ordinateur peut désormais d'une part, dessiner virtuellement des «character arc», c'est-à-dire tracer un liaison rationnelle entre deux éléments semblant antinomiques dans la vie d'un personnage, et d'autre part, faire des interversions entre différents types d'histoire. Par exemple, que ce passerait-il si l'on inversait les propriétés propres aux histoires Walt Disney avec celles de Kafka? Résultat: «Que se passerait-il si une femme se reveillait dans le ciel comme un oiseau, mais pouvait encore parler?»
Déjà en août dernier, The Guardian rapportait les propos de Margaret Sarlej, chercheuse de l’université de Nouvelle-Galles du Sud en Australie et conceptrice du programme Moral Storytelling System (logiciel de contes moraux, en français). Ce programme a la capacité, sur la base d’une des six morales présentes dans les fables d'Esope choisie par l’utilisateur, de générer aléatoirement des «séquences d’événements» (comprendre, des micro-contes). De plus, l’outil offre la possibilité de déterminer l’univers dans lequel l’utilisateur souhaite que son histoire s’inscrive.
Margaret Sarlej explique:
«Il peut parfois être difficile d’inciter un enfant à la lecture d’une histoire qui se déroule sous la mer si celui-ci ne s’intéresse qu’aux vaisseaux spatiaux et aux aliens, par exemple. Un système qui peut générer automatiquement des histoires avec une même morale avec des paramètres très variés qui peuvent coller spécifiquement à l’intérêt des enfants […] peut faciliter leur apprentissage.»
L’universitaire explique l’incroyable complexité que représente la construction d’une histoire pour une intelligence artificielle:
«Cela n’implique pas seulement des complications liées au codage de personnages, d’événements ou d’intrigues, mais surtout au “bon sens” propre aux humains. A titre d’exemple: si Bob donne une pomme à Alice, Alice aura la pomme, et Bob ne l’aura plus. Pour une personne, c’est naturel et ça ne requiert pas d’explication […] mais pour un ordinateur qui n’a pas de “bon sens”, il est impossible de tirer ce genre de conclusion. Dans un programme informatique, ce genre de détails doivent être explicitement précisés.»
Pour sa part, Margaret Sarlej a concentré son travail sur la fonction clé du conte: transmettre une morale, tout comme Esope en son temps, et espère pouvoir mettre son travail au service de l’enseignement.
Margaret Sarlej conclut:
«Je ne pense pas que les générateurs d’histoires doivent remplacer les écrivains et produire des chef-d’oeuvres, mais plutôt servir d’outils pour créer de nouvelles voies d’accès à l’expérience littéraire».
A quoi ressemble une histoire créée par ordinateur? Voici un exemple réalisé par le Moral Storytelling System:
«Il était une fois une licorne, un chevalier et une fée. La licorne aimait le chevalier. Un matin d’été, la fée vola l’épée du chevalier. Après quoi, le chevalier n’avait plus d’épée. Il paniqua parce qu’il n’avait plus d’épée. Le chevalier se sentit en colère envers la fée de lui avoir volé l’épée parce que désormais, il n’avait plus d’épée. La licorne et le chevalier se mirent à haïr la fée et le lendemain, ils la kidnappèrent. La fée n’était plus libre, et en souffrait.»
Pour le Goncourt, ce n'est pas encore gagné.