Dans les années 1980, l’exercice physique aux Etats-Unis avait un visage sympathique: Jane Fonda et ses acolytes souriants faisaient de l’aérobic en justaucorps sur fond de musique insipide. Les enchaînements n’étaient pas toujours faciles, mais l’idée était de s’amuser au moins un peu, de mettre des jambières oranges et de danser devant la télé du salon.
Dans un article du New York Times Magazine, la chroniqueuse Heather Havrilesky note que trente ans plus tard, avec l'arrivée du phénomène CrossFit, l'inspiration n’est plus la discothèque, mais le camp d’entraînement militaire (le «boot camp»).
Dans une salle CrossFit (il y en a 6.000 aux Etats-Unis et une dizaine en France), un groupe d'adhérents est supervisé par un coach qui leur fait faire un mélange d'activités intenses: lever d'haltères, barres de traction, montée à la corde, enchaînement de pompes et d'abdos, etc. Plus exotique, un des exercices consiste à taper sur un pneu avec un marteau géant.
«Les gens sont prêts à payer pour une séance de gym inspirée par le labeur physique intense d’un ouvrier de chantier», explique Heather Havrilesky, qui compare cette pratique à une forme de culte religieux.
Sur le site Internet, on peut lire la philosophie assez mystérieuse du CrossFit, fondé en 2000 par un ancien gymnaste:
«Nous avons cherché à créer un entraînement qui prépare ceux qui le pratiquent à n’importe quelle éventualité physique –pas seulement l’inconnu, mais aussi l’inconnaissable.»
Leur slogan souligne aussi le caractère ultra compétitif de la pratique:
«Nous forgeons l'élite du fitness.»
Ce type d'entraînement physique est tellement intense que les adhérents en viennent souvent à vomir. D'ailleurs, la mascotte officielle de CrossFit s'appelle Pukey the Clown, que l'on pourrait traduire par Gerbos le Clown.
Pour les membres de la communauté CrossFit, faire du sport jusqu'à en vomir est le symbole ultime du dépassement de soi.
Plusieurs cas de rhabdomyolyse, une dégradation des muscles qui peut se compliquer en insuffisance rénale, ont aussi été diagnostiqués chez les adeptes de CrossFit. Mais comme les fanatiques célèbrent leur douleur comme un signe de force, la rhabdomyolyse est tout simplement surnommée Oncle Rhabdo (c'est aussi une mascotte).
L'approche CrossFit est ouvertement militaire. Certains enchaînements particulièrement difficiles sont nommés en mémoire d'un soldat adepte du CrossFit qui est mort en action. L'idée –assez bizarre– est de faire ses 100 pompes pour honorer leur sacrifice. Dans un long article sur cette pratique sportive, l'auteur Eric Lemay écrivait récemment sur Salon:
«Lors de ces exercices, notre coach nous disait souvent de penser au fait que nous n'étions pas morts.»