Culture

La BD franco-belge est indestructible

Temps de lecture : 4 min

La série «XIII» vient de fêter ses 30 ans. Avec «Blueberry» et «Les 7 vies de l’Epervier», elle fait partie des séries culte de la BD franco-belge.

Compilation de couvertures de la BD XIII, Dargaud
Compilation de couvertures de la BD XIII, Dargaud

C’est en novembre que Dargaud va faire paraître Le message du martyr, 23e album de la série XIII, à l’occasion son trentième anniversaire. La série est un tel succès depuis son lancement que, malgré sa fin officielle, l’éditeur continue de la décliner sous toutes les coutures, en faisant appel à d’autres scénaristes et dessinateurs.

XIII, très clairement inspiré de La mémoire dans la peau, le chef d’œuvre de Robert Ludlum, ainsi que de l’assassinat de John Kennedy, doit d’abord son succès à l’exceptionnel talent créatif et narratif de son scénariste Jean Van Hamme.

Elles ont résisté à tout

Ce belge est le digne héritier d’un autre monstre de la BD, Jean-Michel Charlier, qui a fait rêver dans les années 50-70 des générations d’enfants et d’adolescents avec, entre autres, Les belles histoires de l’oncle Paul –qui paraissait dans l’hebdomadaire Spirou–, Buck Danny, Barbe-Rouge, et Blueberry. Ces deux scénaristes sont les Alexandre Dumas de la BD, auteurs prolifiques capables de passer sans effort d’un genre à l’autre en concoctant des histoires à l’intrigue serrée et aux multiples rebondissements. Outre XIII, Van Hamme a à son actif deux autres séries à succès, Largo Winch et Thorgal. Il est également le scénariste de deux remarquables albums, SOS Bonheur (dessin de Griffo) et Histoire sans héros (dessin de Dany).

Avec Blueberry et Les 7 vies de l’Epervier, XIII fait partie des trois séries cultes les plus populaires de la BD. Des séries cultes, il y en a d’autres, bien sûr, à commencer par Tintin et Astérix. On pourrait aussi citer Blake et Mortimer (Jacobs), L’Incal (Jodorowsky), ou Le Triangle secret (Convard). Mais elles ne relèvent pas du même genre –l’aventure réaliste–, ou sont plus élitistes.

Blueberry a 50 ans, les deux autres 30 ans. Elles ont résisté à tout: à l’effondrement du marché du livre, à l’invasion des mangas et des comics, à l’engouement pour les jeux vidéo. Et même au tassement récent du marché de la bande dessinée. Après des années de croissance ininterrompue, celui-ci a en effet marqué le pas en 2013, et c’est grâce au dernier Astérix (Astérix chez les Pictes), vendu à plus de 1,6 millions d’exemplaires, qu’il n’a pas reculé. Mais dans le palmarès des meilleures ventes, XIII se situe en 5e position, devant tous les mangas.

Des séries qui ne se ressemblent pas

Ces trois séries s’inscrivent dans la tradition franco-belge –ou plutôt belgo-française– de la BD: un dessin réaliste, et des personnages «normaux», sans pouvoirs surhumains. On est loin de l’heroic fantasy, des super-héros marveliens, du fantastique japonais, ou de l’interactivité des jeux vidéo.

Au-delà des canons du genre, qui veulent qu’un héros de bande dessinée soit guidé par le sens de la justice, de la vérité et de l’honneur, on y retrouve les ingrédients des grands romans populaires qui en font le succès depuis Le comte de Monte-Cristo: une petite histoire dans la grande, un individu broyé par des forces plus puissantes que lui, des personnages machiavéliques, et le triomphe de la volonté.

Hormis ces points communs, ces trois séries ne se ressemblent pas du tout.

Ni par l’époque: l’une se passe dans la France d’Henri IV et de Louis XIII, l’autre dans l’Ouest américain au XIXe siècle, la troisième de nos jours sur toute la planète.

Ni par les thèmes: le destin d’une famille maudite (Les 7 vies de l’Epervier), la conquête de l’Ouest (Blueberry), l’espionnage et les complots d’Etat (XIII).

Ni par les héros: la première est une héroïne fragile et courageuse, soumise aux forces du destin (Ariane de Troïl), le deuxième est un mauvais garçon, joueur et rebelle, mais au grand coeur (Blueberry), le troisième un amnésique victime des jeux de pouvoir, qui cherche à reconstituer son passé (Jason Fly).

Ni par le graphisme: le dessin d’André Juillard (Les 7 vies de l’Epervier) est classique et élégant, celui de Jean Giraud (Blueberry) fouillé et d’apparence brouillonne, celui de William Vance (XIII) carré et précis. Juillard privilégie l’ambiance, le mouvement et la couleur, Giraud le foisonnement et le détail, Vance la mise en scène et la simultanéité des actions.

Le couple scénariste-dessinateur

Une BD, c’est une rencontre entre un scénariste et un dessinateur: c’est dans ce couple qu’il faut chercher la raison du succès. Dans les trois cas, l’imagination débordante du créateur a rencontré un talent graphique qui colle parfaitement à son univers. Celui de Patrick Cothias (Les 7 vies de l’Epervier) est tragique, et trouve un contrepoint harmonieux chez Juillard. Celui de Jean-Michel Charlier (Blueberry) est épique, et trouve dans le dessin de Giraud le désordre inhérent à l’épopée. Celui de Jean Van Hamme (XIII) est implacable, et trouve son illustration dans la froide précision de Vance.

Ces couples sont franco-belges: Charlier (disparu en 1989), était belge, et Giraud (disparu en 2012), français; Cothias et Juillard sont français; Van Hamme et Vance sont belges. Giraud est l’un des plus grands illustrateurs de BD, à la palette multiple et inattendue: sous le nom de Moebius, il a abordé la science-fiction (notamment avec L’Incal) et le psychédélisme, dans un style qui n’a rien à voir avec celui de Blueberry. Il a même fait une incursion dans XIII, en dessinant un album en 2007 (La version irlandaise). Comme tous les créateurs d’immense talent, c’était un homme modeste et délicieux. Quant à William Vance, il a de son côté fait des incursions chez Blueberry, en prenant en charge deux albums de Marshal Blueberry.

Si la BD survit encore, à l’heure de l’animation, elle le doit à ces talents exceptionnels. Ils ne sont pas les seuls: dans tous ses genres, elle reste un réservoir de dessinateurs et de scénaristes très doués. C’est le refuge de la diversité artistique. C’est pourquoi elle a de beaux jours devant elle.

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