En 1990, quand je suis entré au collège dans mes habits de l'école primaire, je regardais les 3e avec impatience et envie. Je les voyais avec leurs vêtements à la mode, leur scooter et leur air cool. Ils avaient des walkmans. Ils écoutaient sûrement des groupes dont je n'avais jamais entendu parler. Et ils embrassaient les filles les plus belles.
Ca avait l'air bien l'adolescence.
Ca ne l'était pas. Evidemment. Certes, en 1993, j'avais un walkman et je connaissais les Beastie Boys, Public Enemy et Nirvana. Mais les filles, elles, ne me connaissaient pas. La faute, peut-être, au look de nerd, à l'absence de scooter, à l'acné, à la timidité, à la voix flottante, aux hormones, à l'absence de capacités sportives significatives. Bref. Rappelez-vous de votre adolescence merdique. La même.
Les 80's, l'âge d'or du teen movie
Et pourtant. Les années 80 venaient de se terminer et elles avaient laissé dans leur sillon des alliés extrêmement fidèles. Mon agenda était plein de leurs photos. Je pouvais les voir quand je voulais. Je trouvais, à leur côté, conseils et réconforts. A eux, je pouvais m'identifier car ils étaient comme moi. Ils avaient les mêmes préoccupations, les mêmes doutes, les mêmes peurs, les mêmes désirs.
Eux, ce sont les teen movies.
Au tout début des années 80, quand Cameron Crowe, alors journaliste à Rolling Stone, commence à écrire le scénario de l’adaptation ciné de son livre, Fast Times At Ridgemont High, une étude de moeurs d’un lycée californien, il part d’une page blanche, comme il le raconte dans le livre de Susannah Gora You Couldn’t Ignore Me If You Tried:
«Les grands studios n’avaient aucune idée de la façon de procéder pour faire un film sur des adolescents d’un point de vue adolescent. Ils me disaient en permanence, quand on essayait de monter Fast Times, que personne n’irait le voir parce que les ados ne vont pas voir des films qui parlent d’eux. Pour faire un succès avec un film sur l’adolescence et le lycée, il faut que ce soit nostalgique, comme American Graffiti.»
Fast Times n’a pas fait de vagues à l’époque de sa sortie mais il a été un déclencheur, une petite révolution de la même façon que Slacker et Clerks avaient déclenché la révolution DIY du cinéma indépendant au début des années 90. Le ton était plutôt léger et fun (notamment grâce au surfeur Jeff Spicoli, incarné par un tout jeune Sean Penn dans son deuxième rôle au cinéma) mais il était vrai, réel, sans tabous, honnête. Il parlait de l’adolescence comme elle est vraiment: drôle, brutale, absurde et cruelle.
Cette adolescence, ce serait la mienne, un peu plus tard, peu importe qu'elle se déroule dans un lycée français de province et non dans un lycée californien.
Et John Hughes, ancien auteur de blagues pour magazines humoristiques, l'a bien saisi également. Avec 16 bougies pour Sam, l’histoire d’une ado dont la famille oublie le 16e anniversaire, le scénariste et réalisateur a, en 1984, grâce à un ton doux-amer, un savant mélange de réalisme, d’humour et de répliques à vous fracasser le cœur, compris mieux que personne comment parler aux adolescents de l'adolescence.
John Hughes avait «une oreille pour ce que nous essayions de dire», raconte Rob Sheffield dans son essai sur les années 80 Tomber les filles avec Duran Duran.
Un avis largement partagé par Carlin Glynn, qui incarnait la mère de Sam (Molly Ringwald) dans le film:
«John Hughes était lié à ces gamins comme s’il était l’un d’eux. Il savait exactement ce dont ils avaient besoin comme, par exemple, le boom box à fond dans la voiture les emmenant sur le plateau à 4 heures du matin. Il comprenait que c’était ce qu’ils voulaient. Il était à leur niveau, les comprenait parfaitement. Hughes filmait ses scènes du point de vue de l’émotion des adolescents.»

VBreakfast Club
Et cette marque de fabrique, elle est présente à la fois dans son chef d’oeuvre, Breakfast Club, réalisé un an après 16 bougies pour Sam mais aussi dans La Folle Journée de Ferris Bueller en 1986 et même les films qu’il s’est contenté d’écrire et de produire, Rose Bonbon et La Vie à l’envers.
Elle l'est aussi dans une bonne partie de la production teen de l'époque: Just One Of The Guys, Can’t Buy Me Love, Heathers, Karate Kid, Footloose, Valley Girl, Class, Risky Business, Girls Just Want To Have Fun, Better Off Dead, Vision Quest, Le Kid de la plage, The Legend Of Billie Jean, Garçon choc pour nana chic, Lucas, Pump Up The Volume, Un monde pour nous… La liste est très longue.
Les années 80 étaient les années de l'adolescence au cinéma. Son âge d'or. Elles ont inventées un langage, un ton, qui ne parlerait plus de nostalgie mais de réalité, parfois avec humour, parfois avec tendresse, parfois avec cynisme, parfois avec naïveté, parfois avec âpreté ou avec ironie, parfois même avec un peu tout en même temps.
L'abandon des teens
Mais comme il l'avait ouvert en 1982, Cameron Crowe a refermé la porte de cet âge d'or en 1989 avec Un monde pour nous. Désormais réalisateur (et trentenaire), il a préféré, avec les années 90, s'intéresser aux jeunes adultes, ouvrant avec Singles une nouvelle ère de films sur le passage de l'adolescence à la vie d'adulte (Génération 90, Clerks, Kicking & Screaming, Before Sunrise…). Somme toute une évolution logique. John Hughes, lui, a fait l'inverse, devenant l'architecte du film familial (Maman j'ai raté l'avion, Beethoven, Denis la Malice…)
Bref tout le monde était passé à autre chose. Pour ce qui me concernait, c'était bon. Je pouvais m'identifier aux années 80. Elles étaient proches. J'avais grandi dans les années 80. Mais les «surdoués», les «athlètes», les «filles à papa» et les «délinquants» qui sont venus après moi, qu'avaient-ils? Ceux nés cinq ans, dix ans, quinze ans après moi? Devaient-ils revenir, encore et toujours, à John Hughes et Cameron Crowe? Aussi intemporels que soient ces films, devaient-ils toujours se contenter de new-wave et des joues roses de Molly Ringwald pour les aider et trouver un peu de réconfort dans ce chaos adolescent?
C'est vrai, ils ont bien eu leurs teen-movies. Ils ont eu leurs «films adaptés de la littérature classique version modernisée» à la fin des années 90 (Clueless d’après Jane Austen, Romeo + Juliette et 10 bonnes raisons de te larguer d’après Shakespeare, Sexe Intentions d’après Choderlos de Laclos), leurs «slashers post-modernes ironiques» à la même époque (Scream, Mrs Tingle, Urban Legend, The Faculty, Souviens-toi l’été dernier…) ou leurs «films de filles» du milieu des années 2000 (Lolita Malgré Moi, Quatre Filles et un jean, American Girls, Crossroads…).
Mais tout ça n'était que des épiphénomènes, des modes passagères dictées par le succès-surprise d'un film du même style. Surtout, ils leur manquaient, pour la plupart, l'emprise sur le réel. Résultat: en 2010, quand Emma Stone, adolescente victime des rumeurs de son lycée dans Easy Girl, tente de se réconforter, c'est à des films bien particuliers qu'elle pense:
«J’aimerais que John Cusack se tienne devant ma fenêtre avec un boombox. J’aimerais que Patrick Dempsey me fasse voyager sur une tondeuse à gazon. J’aimerais que Jake de 16 Bougies Pour Sam m’attende à la sortie de l’église. J’aimerais que Judd Nelson lève son poing en l’air parce qu’il sait qu’il m’a conquise. Juste une fois, j’aimerais que ma vie ressemble à un film des années 80.»
Idem, en 2012, dans The Hit Girls quand le seul moyen pour Anna Kendricks de trouver refuge à son chagrin est de regarder… The Breakfast Club.
Pas vraiment des films de leur âge.
Car cette génération passée au Y, pour voir des congénères au cinéma, outre quelques rares films comme Juno ou Supergrave, doit accepter qu'ils soient non seulement des adolescents mais aussi (et surtout) des vampires, des sorcièr(e)s, des demi-dieux, des loup-garous, des guerrier(e)s ou des aliens. Bref, pour le réalisme, on repassera.
Des centres commerciaux aux forêts dystopiques
Avec le succès phénoménal de Twilight à partir de 2008 qui a généré plus de 3 milliards de dollars de recettes dans le monde grâce à la seule exploitation cinématographique de cinq films modestement budgétés, Hollywood s'est ainsi engouffré dans la brèche des adaptations ciné de littérature fantastique dite Young Adult.
Percy Jackson, Numéro Quatre, 16 lunes (sous le titre Sublimes Créatures), La Stratégie Ender, Soeurs de Sang (sous le titre Vampire Academy), La Cité des Ténèbres, Beastly (sous le titre Sortilège), Les Ames Vagabondes, Maintenant c’est ma vie, Divergente, Hunger Games et bientôt The Giver et Le Labyrinthe. Depuis cinq ans, on n'est plus du tout dans l'épiphénomène.
La Sherman Oaks Galleria, centre commercial culte de Fast Times At Ridgemont High, Valley Girl ou Retour Vers Le Futur II, et la banlieue nord de Chicago, où se déroule presque tous les films de John Hughes, ont été remplacés par des mondes en reconstruction après des guerres nucléaires et autres univers futuro-dystopiques.
L'idée: parler aux adolescents, non plus en leur tendant un miroir, mais en les emmenant à la fête foraine, chaque attraction représentant une parabole (plus ou moins subtile) sur leur vie amoureuse ou leur relation à la société qui les entoure.
Confère, par exemple, Robert Pattison, qui, en 2009, disait au journal australien Herald Sun: «Twilight est une métaphore de l’abstinence sexuelle.» Ou le Los Angeles Times qui voyait en 2012 un lien très clair entre Hunger Games et le mouvement Occupy Wall Street.
Une radio, ou un arc

Shailene Woodley et Ansel Elgort dans Divergente
Bref, hier, Christian Slater tentait d’alerter son lycée face à l’autoritarisme des parents et des professeurs, grâce à sa radio pirate dans Pump Up The Volume. Aujourd’hui, Jennifer Lawrence fait la même chose avec son arc et ses flèches pour dénoncer un gouvernement qui force sa jeunesse à s’entretuer pour le plaisir des élites. Hier, dans Rose Bonbon, Molly Ringwald devait faire un choix entre son meilleur ami issu de la même classe sociale ouvrière et un riche playboy. Aujourd'hui, Shailene Woodley doit faire un choix entre sa famille Altruiste ou son cœur Audacieux dans le Chicago post-apocalyptique de Divergente.
Mêmes combats. Différentes perspectives.
Des perspectives qui semblent d'ailleurs parfaitement aller à Hollywood, vu son rythme soutenu à enchaîner ces adaptations YA. Un problème toutefois: hormis les deux poids lourds Hunger Games et Divergente, toutes les autres tentatives se sont soldées par des échecs à la fois critiques et commerciaux. L'apparente machine à cash (ces films, sans grandes stars dites de la A-List, sont rarement très lourdement budgétés) est un peu rouillée.
Puiser dans les livres
Alors Hollywood se rabat aujourd'hui sur une machine à cash potentiellement plus efficace. L'idée: utiliser ce qui a fait le succès des adaptations YA, à savoir les fanbases très dévoués aux livres, en faisant encore baisser les budgets. Et comment s'y prennent-ils?
En adaptant l'autre volet, encore «vierge», de la littérature YA: les romans «réalistes», ceux qui n'ont pas besoin de très couteux effets spéciaux car ils ne parlent pas de vampires, de guerrier(e)s, de demi-dieux, de mondes post-apocalyptiques ou de sorcières.
Ils parlent d'adolescents comme les autres, des adolescents amoureux ou en quête d'eux-mêmes. Ils s'appellent Le Monde De Charlie, It's Kind of A Funny Story, The Spectacular Now et bien sûr Nos Etoiles Contraires qui frise le million d'entrées en France et dépasse les 300 millions de dollars de recettes dans le monde (pour un budget de seulement 12 millions de dollars!).
Et ils amorcent un retour en grâce du teen movie comme on pouvait l'envisager dans les années 80: un teen movie réaliste.
Les nouveaux John Hugues
«Ils écrivent des personnages qui ne répondent à aucun stéréotypes. Leurs scénarios émettent un signal très puissant qui dit: c’est authentique et drôle aussi.»
Eux, c’est Scott Neustadter and Michael H. Weber, le duo de scénaristes à qui l’on doit les scripts de deux de ces teen movies: The Spectacular Now et Nos Etoiles Contraires. Quant à l’auteur de cet éloge, il s’agit de Cameron Crowe. Un éloge qui ressemblerait presque à un adoubement tant il pourrait s’appliquer à son auteur. Pour citer le New York Times qui leur a consacré un portrait en mai dernier:
«La liste d’excellents scénaristes qui ont essayé et échoué à devenir les nouveaux Cameron Crowe ou John Hughes est longue mais beaucoup croient que Mr Neustadter et Mr Weber ont leur chance.»
En effet. La liste de leurs projets dans le registre teen est, elle aussi, très longue. Il y aura une nouvelle adaptation de John Green, l’auteur de Nos Etoiles Contraires, La Face Cachée de Margo, suivi de Rosaline, une version contemporaine de Roméo et Juliette centrée sur la nièce Capulet qui avait les faveurs de Roméo avant qu’il ne croise le regard de Juliette. Et ensuite, il y aura l’adaptation de Where’d You Go, Bernadette? un livre pour adultes mais sur la quête d’une ado pour retrouver sa mère disparue.
Mais ils ne sont pas les seuls à redonner des couleurs au teen movie «réaliste». Ces deux-trois dernières années sont en effet sortis The Kings Of Summer, The First Time, Cet été-là, Le Jour où je l’ai rencontrée, Palo Alto, Laggies ou Very Good Girls, tous très influencés, à leur façon, par John Hughes et Cameron Crowe. Et si, contrairement à ces films indépendants qui préfèrent les histoires originales, Hollywood se rassure en adaptant des best-sellers, tant mieux! Chacun son style.
Le Brat Pack de la génération Y
Car dans les line-up des studios, les projets se multiplient ces derniers mois. Outre ceux de Neustadter et Weber, il y a par exemple l’adaptation du génial Eleonor & Park en projet chez Dreamworks, et deux autres adaptations de John Green, Qui es-tu Alaska?, cette fois par Sarah Polley pour Paramount, et Flocons d’amour (co-écrit avec Maureen Johnson et Lauren Myracle) chez Universal.
S'apprête-t-on à revivre un nouvel âge d'or du teen movie? Peut-être bien. Les parallèles sont en tous cas flagrants. Car si la génération Y a trouvé ses propres John Hughes et Cameron Crowe, elle a peut-être aussi trouvé son Brat Pack, du nom de cette «troupe» de jeunes acteurs ainsi affublés par le journaliste David Blum dans son article légendaire de 1985 pour le New York Magazine. A l'époque, le journaliste racontait, à travers une virée dans les bars et restaurants de Los Angeles, comment tous, héros des teen movies des années 80, étaient à la fois amis dans leurs films et dans la vie. Il y avait Emilio Estevez, Molly Ringwald, Rob Lowe, Ally Sheedy, Judd Nelson, Andrew McCarthy, Demi Moore et, dans un cercles plus élargi, Tom Cruise, Robert Downey Jr, John Cusack, Nicolas Cage, Eric Stolz, Sean Penn...

Miles Teller et Shailene Woodley pendant la promotion de The Spectacular Now en Californie, le 29 juillet 2013. REUTERS/Danny Moloshok
Aujourd'hui, presque trente ans jour pour jour, ce même New York Magazine raconte les virées dans les marchés bios et les randonnées de Shailene Woodley et Brie Larson, amies dans la vie et toutes les deux à l'affiche de The Spectacular Now écrit par… Scott Neudstadter et Michael H. Weber.
Impossible d'ignorer non plus que Shailene Woodley a aussi joué dans Divergente et Nos Etoiles Contraires, deux films dans lesquels jouait Ansel Elgort. On peut également parler de Miles Teller qui jouait à la fois dans Divergente et The Spectacular Now avec Shailene Woodley entretenant avec cette dernière une relation d'amitié très forte comme elle l'a raconté au Hollywood Reporter. Et il y a Nat Wolff qui jouait dans Palo Alto et sera bientôt le héros de La Face Cachée de Margo, du même auteur que Nos Etoiles Contraires dont il était également un personnage central.
Joyeux anniversaire au dernier grand teen movie des 80's
Mais peut-être que je m'emballe. Peut-être que mes visionnages répétés de The Breakfast Club me font voir des choses qui n'existeraient que dans le cœur de trentenaires nostalgiques des joues roses de Molly Ringwald, de la tignasse brune d'Ally Sheedy et du point en l'air de Judd Nelson. Peut-être.
Mais cette année 2014 marque les 25 ans de Un monde pour nous de Cameron Crowe, le dernier grand teen movie 80's. Et 25 ans, c'est justement, d'après Wikipedia, le temps d'une génération, le temps qu'il faut à une population adulte pour se renouveler. Il serait donc normal (et logique) que la Génération Y ait enfin droit à ses propres films, qu'elle invente ses propres codes, ses propres idoles pour apprendre un peu de la vie comme moi j'avais appris de Joel Goodsen et Brian Johnson.
Ainsi, les trentenaires de 2030 pourront se souvenir, avec le même sentiment ému, de la sensation d’infini de Charlie comme je me se souviens du poing levé de John Bender. Ils pourront se souvenir, avec les mêmes frissons, du premier baiser d’Hazel et de Gus comme je me souviens de celui de Sam et Jake.
Et la seule différence, c'est qu'ils le découvriront, non plus en exhumant du grenier de leurs parents leur agenda plein de photos de magazines mais en retrouvant dans une archive de leur vieux smartphone un URL vers leur Tumblr plein de gifs animés.