Convoqué par un pape jésuite et argentin qui a commencé de faire bouger les choses dans le monde catholique, un «mini-concile» va s’attaquer, à partir du dimanche 5 octobre au Vatican, à l’un des défis majeurs aujourd’hui posé à l’Eglise: le rejet de ses prises de position en matière de morale sexuelle, conjugale et familiale, jugées inadaptées aux demandes nouvelles de la société moderne et à la situation mouvante des couples.
Venus du monde entier, 300 cardinaux, évêques, experts, hommes et femmes mariés vont passer en revue tous les sujets de crispation: la cohabitation avant le mariage, la contraception, le divorce, l’avortement, les unions de même sexe, etc. La première session de cette assemblée appelée «synode» devrait durer jusqu’au 19 octobre. Une deuxième aura lieu à l’automne 2015, à l’issue de laquelle le pape François prendra des décisions. Le monde pourra alors juger de la réalité de sa volonté réformatrice, si nettement affichée depuis son élection de mars 2013.
Pour la première fois, sur une matière aussi sensible, le Vatican décide donc d’ouvrir ses placards. Il y a un an déjà, un questionnaire, précis et explosif, avait été distribué, par le canal des conférences nationales d’évêques, aux fidèles du monde entier. Malgré les consignes de secret, des réponses avaient été largement divulguées dans la presse de plusieurs pays, comme en Allemagne ou en France. Elles avaient paniqué les milieux conservateurs et confirmé le fossé croissant entre l’enseignement traditionnel des papes et la pratique courante des couples, y compris des couples catholiques pratiquants.
Pour une grande partie d’entre eux, les prescriptions du Vatican qui condamnent, depuis des décennies, les pratiques de contraception chimiques (pilule), les unions homosexuelles ou l’accès à la communion des divorcés civilement remariés sont jugées archaïques et dépassées. L’Eglise est invitée, y compris par les siens, à prendre davantage en compte les difficultés et les situations d‘échec rencontrées par les couples et les familles. Un changement radical est réclamé pour que sa position sur les sujets du sexe et de la vie conjugale ne soit plus aussi «éloignée de la vie réelle» et ne se réduise plus à «une morale de l’interdit».
Interdit des divorcés-remariés
C’est la situation faite par l’Eglise aux personnes divorcées et remariées qui va susciter, ces jours prochains à Rome, le plus de passion. Elle a déjà donné lieu à une controverse, étalée sur la place publique, entre cardinaux les plus conservateurs et libéraux, dans laquelle le pape François, jusqu’ici, s’est bien gardé d’intervenir. Une polémique totalement inédite au sommet de l’Eglise.
De quoi s’agit-il? Dans le droit catholique, un mariage religieux est strictement indissoluble. Il ne peut être effacé, sauf cas de déclarations de «nullité» du mariage par les tribunaux de l’Eglise (manque de maturité et de liberté au moment du consentement, union conjugale non consommée, etc). Aux yeux de l’Eglise, une personne religieusement mariée reste définitivement «mariée», même si elle divorce.
Elle ne peut donc plus se remarier dans une église. Et –double peine– si elle se remarie civilement, elle ne peut non plus accéder, si elle le désire, aux sacrements donnés par le prêtre. Cette interdiction du banc de la communion est vécue douloureusement par les divorcés-remariés croyants et fervents, notamment celles ou ceux qui ont été «victimes» du divorce (cas d’abandon conjugal) et celles et ceux qui ne se sentent pas capables de vivre dans les conditions de chasteté alors exigées par leur Eglise.
Le modèle familial «un homme, une femme, un enfant» auquel s’accroche
la Manif pour tous
a volé depuis longtemps en éclats, y compris dans les rangs catholiques.
Auteur si besoin
Cette situation injuste et discriminatoire divise, depuis longtemps, le monde catholique et ternit son image à l‘extérieur. Or, elle est de plus en plus fréquente: en effet, l’augmentation vertigineuse du nombre des divorces prononcés (133.000 en 2011, en France, soit 46,2 divorces pour 100 mariages) n’épargne pas les couples catholiques. Eux aussi connaissent les échecs, les séparations, les naissances hors mariages, la nécessité pour un conjoint séparé d’élever seul (ou seule) des enfants. Le modèle familial «un homme, une femme, un enfant» auquel s’accroche la Manif pour tous a volé depuis longtemps en éclats, y compris dans les rangs catholiques.
De plus en plus de voix s’élèvent donc pour réformer cette «discipline» de l’Eglise romaine qui s’appuie sur la règle, absolue et intransigeante, de l’indissolubilité du mariage, qui aurait été voulue, selon les Evangiles, par le Christ lui-même. Cette discipline correspond de moins en moins à l’esprit de charité et de miséricorde qu’un pape comme François recommande chaque jour au monde et à ses fidèles. Elle est, en outre, de moins en moins appliquée: des prêtres ferment les yeux au moment de donner la communion à des fidèles divorcés qu’ils savent civilement remariés.
Indissolubilité du mariage
Lors d’une réunion de cardinaux, en février dernier, le pape avait confié au cardinal allemand Walter Kasper, ancien préfet à la Curie romaine, réputé libéral et ouvert, le soin de tester les réactions à une éventuelle libéralisation de la situation des divorcés-remariés. Ce cardinal prestigieux, célèbre acteur du rapprochement œcuménique avec les autres chrétiens protestants, anglicans et orthodoxes, avait déjà combattu, au début des années 1990, l’interdiction de distribuer la communion aux divorcés-remariés, en expliquant que c’était un concept dépassé et, en outre, mal compris des fidèles et dans les autres Eglises. Mais, à l’époque, il avait été vaincu et réduit au silence par le pape Jean-Paul II, raide sur la morale, et par son bras droit, le cardinal Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI.
Il n’a pas renoncé en plaidant devant ses confrères, en février dernier au Vatican, pour un «changement de paradigme» afin de «considérer la situation de ceux qui souffrent et demandent de l’aide». Il a souhaité que la permission, sous conditions, soit enfin donnée aux divorcés-remariés d’approcher les sacrements, notamment à l’issue de ce qu’il a appelé un «chemin de pénitence» qui ressemble fort à une pratique de l’Eglise unie des premiers siècles. Les chrétiens orthodoxes ont gardé cette tradition et leur clergé autorise pour les divorcés des «secondes noces», qui ne sont pas équivalentes à un sacrement.
Le pape François avait alors qualifié de «profonde et sereine» cette idée du cardinal Kasper. Mais celle-ci a provoqué une tempête dans les milieux conservateurs. En juillet, le cardinal Gerhard Müller –lui aussi allemand–, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, c’est-à-dire le gardien de l’orthodoxie romaine auprès du pape, a sorti un ouvrage dans lequel il prend l’exact contre-pied de son confrère. Il condamne les théories «radicalement erronées» qui remettent en cause l'indissolubilité du mariage et banalisent les divorces. «On ne peut pas déclarer qu’un mariage est éteint sous prétexte que l’amour entre les époux est mort, écrit-il. L'indissolubilité du mariage ne dépend pas des sentiments humains, permanents ou transitoires. Cette propriété du mariage a été voulue par Dieu lui-même.»
Depuis, d’autres cardinaux conservateurs sont montés au créneau, comme Raymond Burke, Walter Brandmüller (Curie), Carlo Caffarra (archevêque de Bologne), Velasio De Paolis (Curie), qui ont écrit un ouvrage collectif pour défendre la doctrine traditionnelle de l'Eglise. D’autres poids lourds du collège cardinalice figurent dans le camp des résistants à tout changement: Timothy Dolan (New-York), Marc Ouellet et George Pell, hautes personnalités de la Curie, Angelo Scola (Milan), et même un homme progressiste comme le cardinal Christoph Schönborn (Vienne).
Ce n’est pas un problème abstrait, doctrinal, mais une question brûlante
qui touche beaucoup
de familles
Le cardinal Walter Kasper
Toutes ces personnalités vont se retrouver lors de ce synode d’octobre au Vatican et affronter, sans épargner leurs coups, le cardinal Kasper et ses soutiens. Celui-ci, surpris par la puissance des attaques qui le visent, se défend de vouloir porter atteinte à la doctrine catholique sur l’indissolubilité du mariage. Dans plusieurs interviews, il a dit ne pas craindre l’affrontement prévisible entre partisans et adversaires d’une évolution. «Ce n’est pas un problème abstrait, doctrinal, dit-il, mais une question brûlante qui touche beaucoup de familles, beaucoup de couples remariés civilement. On ne peut pas changer la doctrine, mais on doit l’adapter à des situations complexes.»
Au cours de cette polémique, le pape François a gardé le silence. Il a souhaité une discussion ouverte, un échange d’expériences concrètes entre les évêques et les couples laïcs mariés invités à ce synode, y compris sur les points qui divisent le plus, comme cette question de savoir s’il faut ou non donner la communion aux catholiques divorcés-remariés. Mais un étalage de profondes fractures au sommet de l’Eglise serait du plus mauvais effet.