Editorialiste aux Echos et déjà auteur de plusieurs ouvrages, Jean-Marc Vittori vient de publier Ecographiques. 50 graphiques pour regarder l'économie autrement. Nous publions ci-dessous, avec l'aimable autorisation des éditions Eyrolles, trois de ces graphiques portant sur le marché du travail français, ainsi que les commentaires qui les accompagnent.
La France championne de l’emploi stable!
Incroyable mais vrai: la France est tout en haut du palmarès de la stabilité de l’emploi (le Japon ne figure toutefois pas ici). Près de 60% de ses salariés sont chez le même employeur depuis au moins dix ans. C’est bien sûr davantage qu’aux États-Unis, où l’emploi valse (37% de stabilité de long terme) ou qu’au Royaume-Uni. C’est aussi plus que dans les pays nordiques ou en Allemagne! Le sociologue Jean Viard souligne que les Français passent en moyenne plus d’années avec leur employeur qu’avec leur conjoint.
On pourrait se réjouir de cette grande stabilité, sauf que l’histoire ne s’arrête pas là. Car la France est aussi un pays où l’emploi précaire est plus fréquent que dans la grande majorité des pays développés, d’où sa position plutôt à droite sur le graphique (tout en faisant moins pire que la Pologne, l’Espagne et la Corée du Sud). Et il y a un lien entre la stabilité des uns et la précarité des autres, comme le montre la droite figurant sur le graphique qui résume la tendance: plus il y a d’emplois hyper stables dans un pays, plus il y a aussi d’emplois fragiles. L’explication est simple: les entreprises ont besoin de souplesse, et l’économie avec elles. Quand des salariés très protégés restent longtemps en poste, les employeurs cherchent cette souplesse aux marges du système. Si on veut vraiment lutter contre la précarité du travail en France, il faudra paradoxalement réduire l’arsenal juridique qui protège les salariés en place.
La tentation des contrats aidés
Les Français en sont persuadés: pour lutter contre le chômage, le gouvernement doit créer des emplois. Voilà pourquoi les équipes au pouvoir, de droite ou de gauche, n’ont cessé depuis trois décennies d’inventer des emplois «aidés», ciblés le plus souvent sur les jeunes –l’aide consistant en une subvention financée par du bon vieil impôt. François Hollande a ainsi inventé les «emplois d’avenir» et relancé les «contrats uniques d’insertion».
Cette politique volontariste, sans équivalent dans d’autres économies avancées, vise bien sûr à réduire la douleur sociale créée par le chômage. Elle est donc à ce titre légitime. Mais elle a aussi d’autres buts moins avoués.
D’une part, à l’approche d’une élection nationale, le nombre de bénéficiaires de contrats aidés monte comme par hasard plus vite (1993, 1995) ou descend moins vite (2002, 2007). D’autre part, ces contrats servent de cache-misère. Il serait bien plus efficace, mais politiquement plus coûteux, de mieux former les jeunes ou d’agir sur le coût salarial en début de carrière (car nombre de débutants ne produisent pas l’équivalent du Smic qu’ils coûtent).
La politique des emplois aidés a enfin des effets injustes qui restent mal connus. Pour obtenir un emploi, les bénéficiaires d’un contrat aidé peuvent ensuite être mieux placés que ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir un contrat. À moins qu’une étiquette infamante leur colle au dos.
Le diplôme protège moins et mieux à la fois...
Faut-il vraiment se fatiguer à passer des diplômes? Il y a une génération, à peine un diplômé de l’université sur quarante était au chômage plusieurs années après la fin de ses études. Depuis, cette proportion a doublé. Le diplôme offre donc une garantie rabougrie sur le marché du travail. C’est parfaitement exact... mais la situation est bien pire parmi ceux qui n’ont pas le mérite ou la chance d’avoir poursuivi des études longues. Chez les bacheliers, le risque de se retrouver sans emploi au bout de quelques années de vie active a été multiplié par près de trois. Et pour les 150.000 jeunes qui sortent de l’école sans le moindre certificat (l’un des plus grands scandales de la République française), le risque a été presque multiplié par quatre.
Autre façon de compter: le risque d’être au chômage a progressé de plus de vingt points pour les sans-diplômes (8% à la fin des années 1970, 30% au début des années 2010), et de moins de trois points pour les plus gradés. Si le diplôme offre une moindre protection absolue que par le passé, il constitue une plus grande protection relative. L’écart est d’autant plus impressionnant que la proportion de jeunes passés par l’université a fortement progressé pendant ces trois décennies. Passe ton master d’abord!
Ecographiques. 50 graphiques pour regarder l'économie autrement.
par Jean-Marc Vittori. Éditions Eyrolles, 152 pages, 13,90 euros.