France

Faisons un rêve: une femme présidente du Sénat!

Temps de lecture : 6 min

Le fait de voir cette assemblée d'hommes choisir une femme pour le «plateau» a de grandes chances de n'être qu'une hypothèse d'école, mais la candidate existe. Elle s'appelle Nathalie Goulet, a moins de 65 ans, n'est pas encartée et prône la transparence.

Le Sénat pendant le débat sur le mariage pour tous, en avril 2013. REUTERS/Charles Platiau
Le Sénat pendant le débat sur le mariage pour tous, en avril 2013. REUTERS/Charles Platiau

Jamais dans son histoire, le Sénat n'a eu une femme à sa tête –pas plus, d'ailleurs, que l'Assemblée nationale. Et pour cause: pendant très longtemps, cette assemblée très masculine n'a pas vraiment été l'amie des femmes. Sans remonter aux calendes grecques, elle a même eu une tendance affirmée pour la misogynie.

Rien qu'entre les deux guerres mondiales, le Sénat a ignoré ou s'est opposé à six reprises au droit de vote des femmes, contre l'avis des députés qui avaient successivement adopté des propositions de loi ou des recommandations adressées au gouvernement allant dans ce sens. Et encore ne s'agissait-il pas toujours de textes permettant aux femmes de voter à toutes les élections! Alors, vous pensez, une femme au «plateau», l'équivalent pour les sénateurs du «perchoir» des députés...

Avant le renouvellement opéré ce dimanche 28 septembre, on comptait 23,3% de sénatrices, contre 27% de députées. Et cette fois encore, après le retour à droite annoncé de la majorité sénatoriale, c'est un homme qui succèdera au président sortant Jean-Pierre Bel, sénateur de l'Ariège qui ne sollicitait pas le renouvellement de son mandat. Si ce n'était pas le cas, ce serait un coup de tonnerre dans les salons feutrés d'un palais qui est moins connu pour ses éclats que pour l'épaisseur de sa moquette.

C'est donc à une rêverie que nous vous convions: celle de l'élection d'une femme, le 1er octobre, à la présidence du Sénat. Si l'hypothèse est d'école, la candidature, elle, est bien réelle. Nathalie Goulet, sénatrice (UDI-UC) de l'Orne, se soumettra (un terme qui ne lui sied guère) au suffrage de ses pairs. Pour les inciter à jouer avec des «balles neuves», selon son expression Avec l'espoir, au moins, de provoquer un second tour de scrutin. Ou de présider, ensuite, une commission sénatoriale prestigieuse.

Comme elle le dit elle-même, dans sa lettre aux sénateurs pour présenter sa candidature sur son site, Nathalie Goulet est «exactement à l’opposé du portrait-robot du prochain président du Sénat». Elle est une femme dans une assemblée largement dominée par les hommes depuis les origines. Sa désignation, toutefois, ne serait sûrement pas accueillie dans «une indifférence générale», comme ce fut le cas lors de l'entrée des 21 premières sénatrices dans l'hémicycle, le 24 décembre 1946. Dans son allocution introductive, le doyen d'âge, président de séance, n'en fit aucune mention. Pas même une petite allusion.

Nathalie Goulet a «un petit problème d’échine»

En plus d'être femme, Nathalie Goulet n'est pas cumularde. Elle ne détient aucun autre mandat électif en dehors de celui de sénatrice.

Avec le retour probable à droite de la majorité sénatoriale, la bataille du «plateau» va se jouer entre les trois candidats UMP qui disputeront une primaire interne à la veille de la vraie élection à la présidence. Or, tous les trois détiennent ou ont détenu des mandats locaux: Jean-Pierre Raffarin est conseiller régional de Poitou-Charentes, dont il fut président, et ancien adjoint au maire de Chasseneuil-du-Poitou; Gérard Larcher est conseiller de la communauté de communes Plaines et Forêts d'Yvelines et ex-maire de Rambouillet; Philippe Marini est maire de Compiègne, président de l'agglomération de la région de Compiègne et ancien conseiller général de l'Oise. Deux d'entre eux –Raffarin et Larcher– ont été ministre, et même chef du gouvernement pour le premier. La candidate centriste n'a jamais occupé aucune de ces fonctions.

Nathalie Goulet via Wikimedia Commons

Autre argument qu'elle arbore avec une certaine fierté provocatrice: son âge. Née en 1958, elle se présente comme étant la seule à avoir «moins de 65 ans». Quitte à vieillir un chouïa Philippe Marini, qui est né en 1950. Mais elle n'a pas tort pour les deux autres, puisque Jean-Pierre Raffarin et Gérard Larcher viennent respectivement de fêter leurs 66 et 65 ans. A leur décharge, si l'on peut dire, on peut remarquer que la moyenne d'âge des sénateurs renouvelables dans cette série du 28 septembre est justement supérieure à 65 ans. Mais, incontestablement, Nathalie Goulet figure parmi le petit quart des sénateurs qui a moins de 60 ans.

Last, but not least, cette sénatrice trouve le moyen de n'être encartée dans aucun parti.

«Un petit problème d'échine», confie-t-elle. Membre du groupe de l'Union des démocrates et indépendants-Union centriste (UDI-UC), qui comptait 31 unités à la veille du 28 septembre, elle n'est adhérente ni de l'UDI ni du Modem, dont elle est proche puisqu'elle a soutenu la candidature de François Bayrou au premier tour de la présidentielle de 2012... avant de montrer une certaine déception à son endroit en raison de son «absence totale de vision internationale». Et c'est «sans état d'âme» qu'elle avait accordé sa voix à François Hollande au second tour, tant son opposition à Nicolas Sarkozy était farouche, notamment en matière fiscale.

Deux ans après, si elle admet, dans un euphémisme, que son vote est loin d'avoir comblé ses espoirs, elle n'en demeure pas moins toujours aussi hostile à l'ancien président de la République. Au point de revendiquer elle-même l'appellation «anti-sarkozyste primaire», en affichant un franc-parler roboratif. Elle le laisse éclater sur Twitter, ici et . Ou bien encore dans le blog qu'elle tient sur Médiapart...

Personnage atypique sur la scène politique, Nathalie Goulet l'est tout autant, sinon plus encore, dans sa vie professionnelle et dans sa vie privée. Il serait du reste plus approprié de mettre cette observation au passé.

«Oui, j’ai connu des accidents de vie, oui, j’ai commis des erreurs professionnelles dans le passé, oui j’en ai payé le prix fort, avant le début de ma vie parlementaire», écrit-elle sur son site dans sa «lettre aux sénateurs». Celle qui réclame un «droit à l'oubli» sur la Toile évoque d'elle-même et assume sa vie antérieure, décortiquée dans sa fiche Wikipédia ou qui était racontée par le menu dans un article du Monde de 2007.

Cette avocate, qui ne tire aucun revenu de cette activité, selon sa déclaration d'intérêts et d'activités remplie après son élection au Sénat en 2011, a demandé son omission (désinscription) du barreau de Paris par le Conseil de l'ordre en décembre de la même année. Cette mise en retrait volontaire est intervenue après une longue procédure judiciaire pour des «manquements déontologiques graves» qui s'est achevée devant la Cour de cassation.

De Détective au «plateau», ça ferait une saga

Sa vie d'avant, c'était aussi sa vie avec le sénateur Daniel Goulet, dont elle fut successivement la collaboratrice, la maîtresse, la femme puis la veuve avant de lui succéder au Sénat car elle était aussi sa remplaçante (suppléante). Leur histoire heureuse a fini tragiquement –elle s'est achevée par la mort du sénateur, emporté par un accident vasculaire cérébral à Abou Dhabi en février 2007–, avant de sombrer dans un sordide «règlement de compte» polico-familial. En effet, les deux filles d'un premier mariage du sénateur, entrées en opposition politique avec lui après l'avoir assisté dans sa carrière, avaient estimé que sa mort était suspecte: elles avaient déposé une plainte contre X visant leur belle-mère, implicitement accusée d'assassinat. Pas moins! Après enquête et autopsie, l'affaire s'était conclue par un non-lieu... et les filles de l'ancien sénateur avaient été renvoyées en correctionnelle pour dénonciation calomnieuse. De Détective au «plateau» du Sénat, ça ferait effectivement une sacrée saga.

A dire vrai, Nathalie Goulet préfèrerait quand même qu'on s'intéresse surtout à sa vie d'après. C'est-à-dire la vie de maintenant, quoi. Sa vie de sénatrice assidue en séance publique. Sa vie de candidate à la présidence du Sénat. Son programme pour «dépoussiérer» la chambre haute, qui «n'est pas une maison de retraite à ciel ouvert».

Devenue militante de la transparence et de l'éthique, elle souhaite la création d'une «délégation permanente à l'évasion et la fraude fiscale». Elle s'inquiète de la gestion de la réserve parlementaire, particulièrement celle du président du Sénat. Elle s'élève contre l'opacité de l'indemnité de représentation et de frais de mandat (IRFM), une enveloppe défiscalisée sans justificatif dont bénéficie chaque parlementaire, sénateur ou député:

«Ce ne sera pas tenable encore longtemps... Pas tenable tout court.»

Elle veut rendre efficaces les «groupes d'amitié», qui «rendent rarement des rapports de mission», «ne font l'objet d'aucun suivi»... et servent souvent pour des «voyages d'agrément».

Membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées, elle affiche un intérêt marqué pour le Proche-Orient et le Moyen-Orient et elle s'investit énormément dans les questions liées au terrorisme. Persuadée que «l'international est la clé du développement de demain», elle voudrait faire du Sénat «le fer de lance d'une coopération décentralisée» entre les régions étrangères. Et se désole d'une «absence de coordination» sur ces questions au sein même de la maison. «C’est à ces tâches que je me consacrerai si vous me choisissez le 1er octobre prochain», conclut-elle son adresse à ses collègues sénateurs. Fin de la rêverie!

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