Il y a deux ans et demi, lors du débat de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle, François Hollande nous avait fait redécouvrir l'anaphore. (Nicolas Sarkozy n'avait pas été en reste en dégainant une épiphore.) Depuis, la presse traque les anaphores dans les discours présidentiels, et c'est un travail à plein temps.
Mais une autre figure de style récurrente frappe dans le discours présidentiel: l'habitude d'ajouter un pronom personnel juste après un sujet dans une phrase. Voici quelques exemples relevés notamment par l'AFP et Libération lors de la conférence de presse organisée ce jeudi 18 septembre:
«La France, elle va faire 50 milliards d’économie et ce n’est pas si facile. [...] La France, elle ne fera pas davantage parce que ce serait mettre en cause la croissance.»
«L’Europe, elle a besoin de la France parce que nous sommes la deuxième économie de l’Europe. [...] Alors la France, elle compte.»
«Les résultats, ils tardent à venir, je le sais, je le vois.»
«Le scepticisme, bien sûr qu'il est grand»
Sa récurrence (en juin, François Hollande lâchait, sur France Info: «La France, elle a des atouts, il faut montrer ce qu'est la France») peut irriter. En témoignent ces quelques tweets excédés, dont un signé de notre pointilleux collaborateur Laurent Bouvet.
#ConfPR La France, elle... La République, elle... L'Europe, elle... Donnez-lui un Bescherelle, quelqu'un.
— ghislain2f • ن (@ghislain2f) 18 Septembre 2014
"La France, elle parle... La France, elle va... L'Europe, elle a besoin..." Cette faute de français est devenu un tic de langage. #ConfPR
— Laurent Bouvet (@laurentbouvet) 18 Septembre 2014
La France elle La France elle La France elle Arrête ça tout de suite ces répétitions, je saigne des oreilles #ConfPR
— Dr Scratch ن (@DrScratch) 18 Septembre 2014
Amoureuse de la grammaire, la rédaction de Slate.fr a cherché à savoir à quelle figure de style correspondait cet emploi immodéré du double sujet: il s'agit d'une dislocation.
Voilà la définition qu'en donne le Bescherelle:
«La dislocation détache un élément et le reprend ou l'annonce par un pronom personnel ou démonstratif.»
Exemple:
«Marie, elle commence son stage de voile en août.»
Comme le pronom vient renforcer le sujet, donnant de l'emphase à la phrase, on parle d'une dislocation anaphorique (on y revient). Une tournure qu'il vaut mieux n'employer qu'à l'oral: le Bescherelle précise que «l'usage soigné évite les dislocations familières. On dit souvent, mais on évite d'écrire des phrases du type Pierre, il vous a déjà transmis les dossiers».
Le fait d'employer cette formulation en début de phrase est plus précisément qualifié de «dislocation à gauche», par opposition à la dislocation à droite, ou le sujet précis est rejeté en fin de phrase («Elle va faire 50 milliards d'économie, la France»).
Le président, il a une grammaire frondeuse.
Merci à Jean-Marc Proust et Philippe Bottini pour leur aide grammaticale