Nous en avons tous au moins un. Un site qui suscite à coup sûr chez nous un mélange subtil de rage, de détestation, d'attente et de rires, tant le contenu (et/ou son auteur) nous exaspère. Un site sur lequel on revient pourtant, encore et encore. Et dont on ressort, comme le note le site américain Jezebel, avec la même impression mi-confortable, mi-écoeurante, qu'on ressent après s'être envoyé un gros pot de popcorn «avant même que le film ne commence».
Cette étrange pratique a un nom: le «hate-reading», qui n'a pas vraiment d'équivalent en français, si ce n'est qu'il s'agit d'une lecture qui déclenche l'énervement. Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement de lecture: écoute de musique, suivi d'une émission télé... tout est susceptible de déclencher ce même torrent de violence addictif.
Mais pourquoi nous y vautrons-nous aussi régulièrement? S'il n'y a évidemment pas de réponses toutes faites, répond le site du New York Mag, certains envisagent quelques raisons très simple.
D'un point de vue politique par exemple, le fait d'aller voir l'opinion de son pire adversaire permet d'alimenter l'engagement politique lui-même, estime Sarah Sobieraj, «co-auteur d'un livre sur ce qu'on appelle les médias d'indignation (outrage media)», explique le New York Mag:
«Cette opposition est centrale dans la manière dont fonctionne l'activisme. [...] Dans le cas de la gauche et de la droite, l'un aurait bien du mal à exister sans l'autre.»
En étudiant ses propres penchants, qui consistent à régulièrement écouter des émissions d'extrême droite à la radio lors de longs trajets en voiture, le journaliste du New York Mag se demande si les activités de hate n'ont pas quelque chose à voir avec la passion.
Sans vouloir extrapoler à l'extrême cette expérience, il s'appuie notamment sur des conclusions en date de 2008 de chercheurs, Semir Zeki et John Paul Romaya, qui avaient observé que le circuit cérébral associé à la haine étaient similaires à ceux activés par «la passion, le romantisme et l'amour».
Et en effet, écouter ces émissions de radio qu'il déteste a le don, explique le journaliste, de «réduire l'univers [...], de rendre les choses simples» –un peu comme quand on est amoureux.
Une conclusion qui rejoint celle que tirent les nombreux médias américains qui se sont déjà penchés sur la hate-reading: ce plaisir coupable est addictif parce qu'il nous rassure.
«Si je décide ce qui craint, je décide aussi de ce qui relève du cool, parce que je suis cool», réalise ainsi une autre journaliste, du site Jezebel, qui avoue s'être plongée dans l'univers «des blogueuses parfaites, toutes ces filles façon Zooey Deschanel avec des compétences adorables et intimidantes, telles que la coiffure, le vélo ou la fabrication de macaron».
Et de citer une étude de Stanford relayée en 2011 sur Slate, qui établissait que les gens seuls se sentaient encore plus seuls face à leur fil d'actualité Facebook qui expose à longeur de temps des vies supposément plus accomplies. «La hate-reading est le parfait antidote pour ce sentiment.»
Autre incidence intéressante de l'attrait de ce genre de lecture: l'impact qu'il peut avoir sur le trafic des sites Internet. Ce phénomène est en effet amplifié par le réseau, comme le note justement The Daily Dot. Sur Internet, facile de consulter un très large bouquet d'opinions, des experts médiatiques aux avis personnels, des plus mesurées aux plus radicales, et de s'en offusquer –la colère se diffusant en plus mieux que l'enthousiasme sur les réseaux sociaux.
Une tendance que certains essayent de contourner: The Daily Dot cite ainsi l'exemple de ce Tumblr intitulé «Hate Read», et qui offre de «lire cet article que vous ne voulez pas lire en leur donnant des pages vues».
Difficile néanmoins d'échapper à la tentation du hate-reading. Surtout pour ceux qui travaillent sur Internet, et qui ont besoin de relayer l'article qui détonne dans le «flot d'ennui» et de «journalisme pas mauvais, mais jetable», explique un journaliste de Wired, derrière le compte Hate Reads sur Twitter, à The Daily Dot.