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Michel Platini n’a pas rendu le football européen plus égalitaire

Temps de lecture : 6 min

Alors que la Ligue des Champions est de retour, revisitons le bilan du Français à la tête de l’UEFA, plus de sept ans après son élection.

Michel Platini, le 28 août 2014, à Monaco. REUTERS/Éric Gaillard.
Michel Platini, le 28 août 2014, à Monaco. REUTERS/Éric Gaillard.

Lors de son élection, le 26 janvier 2007, à la tête de la puissante UEFA, après avoir renversé le président sortant, le Suédois Lennart Johansson, Michel Platini avait promis un vent de fraîcheur sur le football européen et sur son plus prestigieux «produit»: la Ligue des champions.

«Le football est un jeu avant d’être un produit, un sport avant d’être un marché et un spectacle avant d’être un business», avait déclaré l’ex-meneur de jeu des Bleus à la tribune du congrès de Düsseldorf devant les représentants des 54 fédérations, le jour de son élection.

Dans sa campagne vers les sommets du football européen, Michel Platini avait promis plus de places en phase finale de la Ligue des champions (C1) aux clubs issus des petites nations footballistiques. Une stratégie qui lui avait permis de s’attirer les votes des «sans-grades» du concert européen. L’ex-joueur de la Juventus avait également promis une meilleure redistribution des recettes entre désargentés et nantis et une accélération du programme Hat Trick, destiné à aider les petites fédérations sur le plan des infrastructures d’entraînement et dans le domaine de la formation de talents.

Que reste t-il de ses promesses, sept ans après l’arrivée de l’enfant de Jœuf à la tête de l’UEFA?

Les sans-grades au détriment de la middle class

Lors de son élection, Michel Platini avait annoncé vouloir réduire le nombre de clubs des principales ligues, le Big Four (Angleterre, Italie, Allemagne, Italie), en Ligue des champions. Les trois premières nations à l’indice UEFA (calculé sur cinq ans selon les performances des clubs des pays engagés en coupe d’Europe), qui sont, à peu de choses près, les mêmes depuis le début des années 2000, ont droit en effet à quatre clubs qualifiés pour la Ligue des champions, et les nations classées de la 4e à la 6e place à trois.

Pour offrir davantage de places aux «petites fédérations», Michel Platini a donc réformé les barrages, ces matchs éliminatoires qui permettent d’accéder à la phase de poules de la C1, laquelle réunit 32 équipes. Depuis la saison 2009/2010, une «voie des champions» offre ainsi cinq places qualificatives pour les clubs vainqueurs de leur championnat national au sein d’une fédération nationale classée au-delà de la 15e place à l’indice UEFA.

Cette réforme permettra par exemple, cette année, d’observer les Chypres de l’APOEL Nicosie affronter le grand FC Barcelone, où les Slovènes du NK Maribor se déplacer sur la pelouse du Chelsea de José Mourinho. Un peu d'exotisme, donc, comme le souhaitait Michel Platini, qui déclarait en 2007, «rêver de voir le Real Madrid se déplacer à Reykjavik», en Islande.

Mais le Français n’aura cependant tenu qu’une demi-promesse. S’il a fait un peu de places aux sans-culottes du football européen, les pays du Big Four ont toujours autant de clubs engagés en Ligue des champions: 14 représentants sur 32 équipes cette saison, contre 15 en 2007-08. En fait, ce sont les nations classées entre les 6e et 15e places qui ont fait les frais de cette réforme, avec davantage de matchs de barrages à franchir pour certains de leurs clubs qualifiés.

Le Big Four et les autres

De plus, ce système de places réservées aux petites nations en Ligue des champions n’a pas provoqué d’effet «boule de neige». En intégrant la phase de poule de la compétition, les clubs suédois, bulgares où encore chypriotes n’ont pas pu réduire le fossé sportif qui les sépare des mastodontes européens, qui squattent toujours la compétition à partir des huitièmes de finale.

En compilant les résultats de la C1 depuis la saison 2000-01, on observe ainsi, sur le graphique ci-dessousn qu’il n’y a pas plus de clubs des pays hors du Big Four qui ont accédé aux 8e de finale de la compétition entre 2000 et 2007 que depuis le début de l’ère Platini. 34 clubs de pays classés au-delà de la quatrième place de l’indice UEFA ont accédé au Top 16 européen entre 2000 et 2007, soit exactement le même nombre que lors du septennat suivant. Et 10 pays ont été représentés en huitièmes de finale sous les années Platini, contre 11 entre 2000 et 2007.

Un autre indicateur intéressant pour observer le blocage de ce qu’on pourrait appeler «l’ascenseur social footballistique» est la composition du Top 10 de l’indice UEFA lors des deux périodes en question. Entre 2000 et 2007, quatorze nations font leur apparition au moins une année dans les 10 premières places de l’indice UEFA. Là encore, le total est exactement le même entre 2007 et 2014. L’hégémonie est encore plus totale dans le Top 5, puisque seul six pays y font leur apparition entre 2007 et 2014, le Portugal piquant la place de la France en 2011.

Cette hégémonie sportive des grandes formations européennes tire ses racines du fossé économique entre elles et le reste de l’Europe. La meilleur redistribution des recettes prônée par Michel Platini à son arrivée à la tête de l’UEFA n’a jamais vu le jour.

Lors de la saison 2013-14, 904 millions d’euros ont été reversés aux 32 clubs engagés dans la compétition par l’UEFA. Si la prime de participation (8,6 millions d’euros) et la prime sportive, qui augmente en fonction des performances, sont les mêmes pour tout le monde, près de la moitié des revenus redistribués le sont au titre de ce que l’UEFA appelle le market pool. Le critère majeur retenu pour définir cette prime concerne les droits TV payés par les diffuseurs nationaux du club en question pour diffuser la Ligue des champions. Plus le championnat national est relevé, plus les droits TV seront élevés.

Un paramètre qui modifie considérablement le classement des revenus de la compétition par rapport aux résultats sportifs. La saison dernière, l’OM, qui a perdu tous ses matchs en Ligue des champions, n’a pas touché un euro de prime sportive, mais s’est tout de même classé 13e au classement des revenus, avec 32,415 millions d'euros. Ses revenus en provenance du market pool représentent plus de 73% de ses gains. À l’inverse, l’Olympiakos (Grèce) a atteint les huitièmes de finales de la Ligue des champions l’an dernier, mais n’émerge qu’à la 21e place de ce classement des revenus.

L’échec du fair-play financier

Lors de sa réélection en 2012 pour un nouveau mandat de cinq ans à la tête de l’institution européenne, Michel Platini faisait du fair-play financier son nouveau cheval de bataille. Depuis la saison 2013-14, les clubs doivent respecter les exigences relatives à l'équilibre financier, soit en principe ne pas dépenser plus qu'ils ne gagnent, avec une perte de 45 millions d’euros tolérée si celle-ci est entièrement couverte par une contribution ou un paiement direct du propriétaire du club.

Cette règle du fair-play financier, destinée à lutter contre l’endettement massif du football européen selon l’UEFA, n’a pour le moment pas atteint son objectif. En ne prenant pas en compte les dettes accumulées par les clubs lors des années précédents, le fair-play financier sanctionne d’abord les nouveaux investisseurs, comme les propriétaires qataris du PSG ou de Manchester City, qui ont dépensé des sommes faramineuses depuis quelques années pour se hisser au niveau des grands clubs historiques mais ont réduit l’endettement de leur club. À l’inverse du PSG cette saison, les clubs espagnols, pour la plupart surendettés, peuvent toujours recruter librement pour ne pas avoir dépensé plus que ce qu’ils n’ont gagné en 2013-14.

«Je ne sais pas si Michel Platini veut tuer le football français, mais le fair-play financier n'est pas juste», a récemment déclaré Nasser Al-Khelaïfi, le président qatari du club parisien, dans une interview au Parisien. Le principal impact des règles de l’UEFA sur les plus grands clubs européens pourrait en effet être la diminution du financement des clubs par les milliardaires. Si ces derniers, par leur immense pouvoir d’achat, s’accaparent les meilleurs joueurs dans leur effectif, ce qui peut-être critiquable d’un point de vue de l’éthique sportive, le déséquilibre entre recettes et dépenses qu’ils occasionnent ne se traduit pas par un recours au crédit, qui est pourtant la cible déclarée de l’UEFA.

Pour le moment, le fair-play financier freine donc l’arrivée de nouveaux investisseurs dans le football européen et renforce l’hégémonie des grands clubs historiques, qui se maintiennent au sommet de la hiérarchie grâce aux recettes tirées de leur chiffre d’affaires. Manchester United, 4e club le plus riche au monde en 2013 avec 423,8 millions d'euros de chiffre d'affaires selon le cabinet Deloitte, a par exemple affolé le marché des transferts cet été en dépensant 201 millions d’euros pour Di Maria, Falcao ou encore Herrera Aguera. Le PSG n’avait lui pas le droit de dépenser plus de 60 millions d’euros après les sanctions de l’UEFA.

Dans sa mission de rendre le football européen plus égalitaire, l’action de Michel Platini semble donc un échec. Dans le football, comme ailleurs, l’argent est le nerf de guerre et dans le monde très libéral du ballon rond, les réformes politiques n’ont qu’un impact très limité sur les acteurs du sport-roi business. La Ligue des champions, elle, est toujours un terrain de jeu réservé aux membres du Big Four.

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