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Les think tanks de Washington fonctionnent plus comme des lobbys que comme des centres de recherche indépendants

Temps de lecture : 2 min

A Washington, janvier 2010. REUTERS/Kevin Lamarque
A Washington, janvier 2010. REUTERS/Kevin Lamarque

Officiellement, les think tanks prestigieux de Washington sont des centres de recherche indépendants qui produisent des analyses sérieuses lues par les membres du Congrès et le gouvernement américain. Mais une enquête du New York Times vient de révéler que certains pays financent ces organisations dans l’espoir explicite que les chercheurs de ces instituts pourront influencer la politique étrangère américaine d’une manière qui leur est favorable.

«La frontière entre recherche et lobbying est parfois très floue», expliquent les journalistes, qui ont enquêté sur trois think tanks en particulier, la Brookings Institution, le Center for Strategic and International Studies et l’Atlantic Council. «Plusieurs chercheurs ont indiqué avoir été contraints de parvenir à des conclusions favorables au gouvernement du pays qui finançait leur travail», écrivent les trois auteurs de l'enquête, Eric Lipton, Brooke Williams et Nicholas Confessore.

Le problème, c'est que les membres du Congrès, qui utilisent le travail des think tanks pour prendre des décisions sur un pays en particulier, ignorent souvent que la recherche qu’ils lisent a été financée par le gouvernement de ce même pays.

Le Qatar, par exemple, a fait une donation de 14,8 millions de dollars sur quatre ans à l’institut Brookings, notamment pour créer un centre de recherche à Doha. Selon Saleem Ali, un des chercheurs qui a travaillé dans ce centre, il était clairement spécifié que ses analyses ne devaient pas critiquer le gouvernement quatari.

Au moins 64 gouvernements ont financé 28 think tanks depuis 2011. Toutes les donations ne sont pas rendues publiques, mais la somme totale est d’au moins 92 millions de dollars. Dans les contrats et documents internes obtenus par le New York Times, les gouvernements étrangers sont souvent très directs quant à leurs attentes vis-à-vis des think tanks.

Plusieurs avocats qui ont examiné les documents indiquent que ce type d’arrangement avec un pays étranger pourrait être une violation d’une loi de 1938 selon laquelle un groupe payé par un gouvernement étranger pour influencer la politique publique devrait être déclaré comme «agent étranger» auprès du Département d’Etat.

Le think tank Center for Strategic and International Studies, qui a publié un rapport favorable à un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et le Japon, emploie des chercheurs qui font eux-mêmes partie de certains ministères et organisations commerciales japonaises.

Certains pays utilisent ces think tanks comme de véritables agences de communication. Les Emirats Arabes Unis, qui ont beaucoup donné au Center for Strategic and International Studies ont obtenu que l'institut organise des débats, rencontres et visites de diplomates pour améliorer leur image.

En quatre ans, le gouvernement norvégien a donné 24 millions de dollars à plusieurs think tanks. Les centres de recherche qui ont reçu ces fonds ont soutenu un rôle plus important de la Norvège à l'OTAN, ainsi que la volonté norvégienne d'extraire du pétrole dans l'Arctique et leur politique de lutte contre le réchauffement climatique.

En général, les directeurs des think tanks rétorquent que leurs chercheurs soutiennent certaines politiques parce ce que c’est le resultat de leurs recherches personnelles, pas parce qu’ils doivent faire plaisir aux pays qui les financent.

Mais quelques universitaires employés par ces centres de réflexion ont confirmé l'existence d'auto-censure et de pressions.

Lorsqu'un chercheur de Brookings a critiqué le gouvernement turc, un donateur lié à ce pays a cessé de donner de l'argent à l'institut, et une directrice de l'Atlantic Council a quité l'organisation quelques mois après avoir défendu des positions sur l'Egypte contraires à celle de leurs donateurs libanais.

Suite à la création d'un institut Brookings à Doha, le ministère des affaires étrangères du Quatar avait annoncé sur son site Internet: «ce centre permettra de donner une bonne image du Quatar dans la presse internationale, et particulièrement dans les médias américains.»

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