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Une tournée dans les bars gay du West Village à New York, aux sources du combat pour les droits civiques

Temps de lecture : 5 min

Quelques lieux mythiques.

Au Stonewall Inn, le 26 juin 2013. La Cour suprême des Etats-Unis vient de rendre une décision sécurisant le mariage homosexuel en Californie. REUTERS/Brendan McDermid
Au Stonewall Inn, le 26 juin 2013. La Cour suprême des Etats-Unis vient de rendre une décision sécurisant le mariage homosexuel en Californie. REUTERS/Brendan McDermid

Une tournée des bars gay du West Village à New York commence souvent par le Stonewall Inn devenu le symbole de la naissance du Gay Power dans les années 1970.

Le 28 juin 1969, un énième raid de la police déclenchait des émeutes qui allaient devenir l’événement fondateur du mouvement gay. Dès l’année suivante, elles donnèrent naissance à la première gay pride à New York. La bataille pour les droits civiques gay aurait donc commencé dans un bar de Greenwich Village, le jour où les clients exaspérés de ne pas pouvoir danser entre hommes ou entre femmes auraient décidé de ne plus se laisser faire. Même que la mort de Judy Garland quelques jors auparavant en aurait été le déclencheur.

Peut-être, mais les premières qui ont eu le courage de jeter des briques sur les voitures des flics du 6e district du New York Police Department étaient majoritairement des flame queens, des scare queens, des lesbiennes butch et surtout des ados qui vivaient et faisaient le tapin dans les rues du West Village.

Et des rixes avec la police, il y en avait eu avant Stonewall, sur la côte Ouest, dès 1966, à San Francisco dans le quartier des putes du Tenderloin, comme le rappelle le documentaire de Susan Stryker et Victor Silvermann, Screaming Queens, The Riot at Compton Cafeteria.

On sait maintenant grâce au travail de l’historien Dave Carter que le raid de la police du 28 juin n’était pas était une opération de harcèlement anti-gay. Dans son bouquin paru en 2004, Stonewall, The riots that sparked the gay revolution, Carter en révèle le vrai motif: arrêter le patron du bar, Ed Murphy, impliqué dans la mafia et une affaire de chantage.

A l’époque, le chantage au outing était monnaie courante. En échange de son silence, Murphy obligeait des employés gay de Wall Street à voler des bons du trésor négociables en Europe.

La véritable histoire de Stonewall va être adaptée au cinéma par Roland Emmerich, le réalisateur d’Independance Day et de Godzilla dans un film qu’il tourne actuellement à Montréal. Jonathan Rhys Meyers (Henry VIII dans Les Tudors) et Ron Perlman (Hellboy et Sons of Anarchy dans le rôle de Murphy seront de la partie.

Avant le Stonewall Inn

En attendant, les touristes qui se pressent à l’entrée du Stonewall Inn ce soir font chou blanc. Nous sommes jeudi et le bar est désert. A la différence du Julius’ situé à un block de là. Le plus ancien bar gay de New York après le Candle Bar situé au 309 sur Amsterdam dans le Upper East Side qui a ouvert ses portes en 1965. Le Candle Lounge (ancien nom du Candle Bar) accueillait une clientèle gay depuis les années 1950 sans discrimination.

Ce n’était pas le cas du Julius’ pourtant fréquenté par les gays. Raison pour laquelle il fut l’une des cibles du «sip in» organisé en 1966 par la cellule groupe new-yorkais de la Mattachine Society, l’une des premières organisations homosexuelles homophiles de l’époque.

Les militants invitèrent quatre journalistes à les suivre dans une tournée des bars et des restaurants du Village pour qu’ils dénoncent les consignes de la New York Liquor Authority. Celle-ci interdisait aux établissements de vendre de l’alcool et de servir les homosexuels qui affichaient parfois un panneau où l’on pouvait lire:

«Si vous êtes gay, allez vous en s’il vous plaît.»

A la suite de la parution d’un article dans le New York Times et après une bataille juridique menée par la Mattachine Society, cette mesure fut supprimée.

Installée au bout du long comptoir en bois devant une bière, dans la pénombre typique des bars de new-yorkais, j’attends Dane, qui m’a proposé de faire la tournée des bars du Village.

Ce professeur de littérature française fraîchement nommé dans une université de Long Island est un habitué du Julius’, où il vient boire ses bourbon on the rocks + bière. Il connaît l’histoire du lieu sur le bout des doigts. Le barman a «la peau la plus salée qu’il lui ait jamais été donné de goûter» et il peut tenir dix minutes sur la place de l’apostrophe: «Avant ou après le S de Julius?»

Aux murs, toutes les couvertures de la revue de la Mattachine Society. Dane m’apprend que tous les mois, Cameron Mitchell, le réalisateur de Shortbus (2003) qui vit dans le East Village, y organise une soirée «Mattachine». Le Julius’ a sa liste de clients célèbres, de Truman Capote à Tennesse Williams en passant par Noureev.

Mais Mittchell est un amoureux du lieu et de la subculture sexuelle queer du Village qui est d’ailleurs le sujet de Shortbus. Bien des fesses anonymes qui figurent dans la scène d’orgie finale du film avec Justin Bond en maîtresse de cérémonie sont celles des habitants du quartier qui furent tous conviés à une parade dans les rues lors de sa sortie. Shortbus célèbre ce New York «où tout le monde vient pour baiser et se faire pardonner» comme y rappelle un vieux monsieur dans le film.

Pas de révolution gay sans perruques

Nous quittons Julius’ pour Boots and Saddle sur Christopher Street. Il est trop tard pour le show drag queen. Tant pis. Direction le Marie’s Crisis Cafe sur Grove Street où se situe également The Monster qui a ouvert au début des années 1970 à Fire Island, la plage gay de New York depuis les années 1930 et que n’ont pas oublié les Village People dans leur répertoire.

Mais il faut bien faire des choix, et notre première envie n’est pas de rencontrer Chloé Sévigny ou James Franco qui y ont leurs habitudes. Ou Terry Richardson, le photographe de Lady Gaga qui y a donné une soirée fa-bu-leuse comme le précise bien le site du club qui s’enorgueillit d’avoir servi de décor pour Sex in the City et Enquêtes très spéciales.

Une petite foule qu’éclairent les guirlandes rainbow qui tapissent le plafond se presse devant le piano et reprend en coeur Wig in the box, la chanson culte d’Hedwig and the Angry Inch, l’adaptation qu’a fait... Cameron Mitchell de la comédie musicale du même nom sur une chanteuse de rock transsexuelle imaginaire.

«I put on some make-up

Turn on the tape deck

And put the wig back on my head.

Suddenly I'm Miss Midwest. Midnight checkout queen.

I put on some make-up

And turn up the eight-track

I'm pulling the wig down from the shelf

Suddenly I'm Miss Farrah Fawcett

From TV

Until I wake up

And turn back to myself»

Encore lui, encore elle. Cameron Mitchell, radical faerie à ses heures, est décidément la bonne fée du Village et veille sur lui. L’ambiance est tendre et heureuse comme dans Shortbus tendre, heureux et sexuel.

Les perruques des drag queen sont de sortie, renouant avec leurs consoeurs des émeutes de Stonewall qui savaient manier le talon contre la police, dans un drôle de karaoké à leur mémoire. Comme pour rappeler qu’une bonne révolution ne se fait pas sans perruques.

Les investisseurs qui songent à patrimonialiser les bars gays du Village en pleine gentrification le seront peut-être moins. Et quand Julius’ sera devenu une pièce de musée, la bière n’y coûtera plus 3 dollars.

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