France

C’est la survie même de l’idée socialiste qui est en jeu

Temps de lecture : 5 min

L'alternative qui se pose aujourd’hui au PS au pouvoir passe entre un abandon de la référence au socialisme et une reformulation radicale de celle-ci, permettant la survie de son message d’émancipation individuelle et collective.

Place de la Bastille à Paris, le 6 mai 2012. REUTERS/Charles Platiau.
Place de la Bastille à Paris, le 6 mai 2012. REUTERS/Charles Platiau.

Le débat public est coutumier de comparaisons en trompe-l’œil. Récemment, des esprits aussi imaginatifs que cultivés ont cru percevoir dans les désaccords qui secouent le PS une nouvelle manifestation de l’antique «guerre des gauches». La contestation de la ligne «social-libérale» du gouvernement Valls ne ferait que ressusciter la colère de la «gauche étatiste», éternellement archaïque, contre la «gauche réformiste», moderne depuis les origines.

Laurent Joffrin est allé jusqu’à écrire que, dans les siècles antérieurs, «Manuel Valls se serait appelé Eduard Bernstein», au motif que ce dernier était «"révisionniste", comme on est aujourd’hui "social-libéral"». C’est oublier que le dirigeant et théoricien socialiste allemand (1850-1932), s’il militait assurément pour l’abandon de l’option révolutionnaire, était résolu à parvenir au socialisme par la voie réformiste.

On ne sache pas que les «réformes structurelles», prisées par Berlin, qu’entend conduire Valls poursuivent précisément cet objectif. Le chef du gouvernement a certes eu le culot de déclarer que Jean Jaurès aurait «sans doute, au nom même de la responsabilité», voté le «pacte de responsabilité» qui divise aujourd’hui la gauche. Il n’en demeure pas moins délicat d’enrôler les figures historiques du socialisme français derrière une politique toute entière tournée vers la «compétitivité». Rappelons, au passage, que Léon Blum était partisan de la «dictature du prolétariat».

Rupture avec le socialisme

Tout cela est assurément fort loin de nous. Ces références historiques aussi hasardeuses que trompeuses n’en sont pas innocentes pour autant. Elles ont pour objet d’obscurcir une réalité: la question concrète qui se pose aujourd’hui au PS est bel et bien celle d’un abandon de la référence socialiste.

Le socialisme est un courant d’idées, devenu mouvement social et politique, né au XIXe siècle, qui n’a aucune raison de se perpétuer jusqu’à la nuit des temps. Il n’existe pas dans nombre de pays, comme les États-Unis, et a disparu dans d’autres contrées, comme au Japon. En Italie, berceau d’un puissant parti communiste au XXe siècle, le socialisme n’est plus aujourd’hui qu’une référence marginale.

A l’aune des mutations du monde, Manuel Valls avait ainsi quelques raisons de souhaiter, en 2009, que le PS change de nom «parce que le mot socialisme est sans doute dépassé». Sa conviction profonde n’a certainement pas changé au cours de la dernière période. Et son action est un parfait révélateur. Tous ses choix relèvent d’une logique qui n’a rien à voir avec un quelconque réformisme socialiste.

Logiques libérales

Le raisonnement qui sous-tend l’actuelle politique gouvernementale est clairement «libéral»: «libérer les énergies», «baisser le coût du travail», assouplir le droit du travail (repos dominical ou seuils sociaux), etc. Tout cela est fait au nom de l’emploi mais force est de constater que la droite, depuis de longues années, préconise la même démarche.

François Hollande, Michel Sapin et Emmanuel Macron, le 27 août 2014 à la sortie de l'Élysée. REUTERS/Philippe Wojazer.


Fin politique et habile communicant, Valls a su trouver les mots qui plaisent aux socialistes («égalité», «discriminations») dans son discours de La Rochelle. La gauche française a toujours été excessivement sensible au verbe. On n’a jamais vendu une politique de droite avec un discours de droite, comme l’avait magistralement démontré l’éco-sociologue Albert Hirschmann. Se souvient-on que Nicolas Sarkozy se déclarait «héritier de Jaurès» en 2007?

C’est ici que l’on retrouve Emmanuel Macron. Il est injuste de ne considérer le nouveau ministre de l’Économie que comme un ancien banquier de chez Rothschild, virtuose en fusions-acquisitions peu respectueuses des «doublons» en matière d’emplois. Cet homme brillant est aussi capable d’une réflexion politique qui a le mérite d’avouer franchement que les certitudes historiques de la gauche sont des «étoiles mortes».

La chasse aux étoiles mortes

Prenant acte des mutations sociales et économiques imposées par la mondialisation, Macron décrète que la «société statutaire» va «inexorablement disparaître». Il faudrait cesser de concevoir la gauche comme vecteur d’une «extension des droits» dés lors que «la contrainte financière, européenne et politico-sociale nous comprime de toutes parts».

La notion de programme politique [...] n'est plus adaptée

Emmanuel Macron, en 2011, à la revue Esprit

Cette soumission à l’air du temps s’exprime aussi par une vision désabusée des jeux démocratiques. «La notion de programme politique [...] n'est plus adaptée», expliquait Macron dans la revue Esprit en 2011. Que voulez-vous, le monde bouge trop vite, un froid pragmatisme s’impose à des décideurs qui ne peuvent décidément plus être prisonniers des vaines promesses faites devant ces benêts d’électeurs.

A l’aune de cette philosophie, on comprend que Macron souhaite, à l’opposé du discours porté par François Hollande en 2012, «libérer les énergies pour créer de l'activité», ce qui passe pêle mêle par une remise en cause des 35 heures, des «seuils sociaux» et autres rigidités du marché du travail.

Là encore, des réformes libérales sont habillées d’une argumentation de gauche. «Là où être socialiste consistait à étendre les droits formels des travailleurs, la réalité nous invite à réfléchir aux droits réels de tous, y compris et surtout de ceux qui n'ont pas d'emplois», professait le nouveau ministre à la veille d’être nommé. C’est toujours au nom des plus défavorisés que l’on s’attaque aux droits des salariés...

La guerre des mots

La logique politique progressivement définie par François Hollande, fermement pratiquée par Manuel Valls et crûment avouée par Emmanuel Macron, a sans nul doute le mérite de la cohérence –même si son efficacité demeure encore sujette à caution. Elle rend en tous cas dérisoire la guerre des mots dans laquelle s’épuise une gauche qui a toujours cédé au péché du nominalisme.

Le PS est-il socialiste, social-démocrate ou social-libéral? Dans les années soixante-dix, ce débat faisait rage et il avait encore du sens: les socialistes français prétendaient alors porter une transformation sociale plus ambitieuse que leurs partenaires sociaux-démocrates européens. On sait ce qu’il en est advenu.

Aujourd’hui, la référence social-démocrate s’est vidée de sens dés lors qu’elle suppose un rapport de force entre le capital et le travail équilibré et un partage des fruits de la croissance qui ont tous deux disparu.

Le PS est-il devenu «social-libéral»? Cette étiquette, parfois jugée infamante, n’a guère plus de sens

Le PS réellement existant est-il pour autant devenu «social-libéral»? Cette étiquette, parfois jugée infamante, n’a guère plus de sens. Le blairisme a disparu et des esprits facétieux peineraient à trouver la trace du «social» dans la politique actuellement menée. A tout prendre, le pouvoir rose de 2014 est plutôt «sociétal-libéral», pimentant son ralliement aux thèses néolibérales de timides avancées sociétales (7.000 mariages homosexuels célébrés en 2013).

Redéfinition identitaire

Le PS se laissera-t-il dissoudre dans une aventure gouvernementale qui l’éloigne de ses bases idéologiques et qui risque, au demeurant, de fort mal se terminer? C’est visiblement l’angoisse de Jean-Christophe Cambadélis. Le premier secrétaire du PS s’efforce, dans la mesure de ses moyens, de sublimer les contradictions politiques de la période en appelant son parti à redéfinir son identité.

L’objectif est louable, même si la vérité d’un mouvement politique au pouvoir se joue rarement dans les discussions et dans les textes. Au nom du pragmatisme, le PS renoncera-t-il définitivement à toute transformation sociale cohérente avec ses valeurs historiques? Saura-t-il, au rebours, réinventer un «nouveau progressisme» qui le libèrerait non seulement des naïveté marxistes, mais aussi de sa soumission impensée aux postulats du productivisme et du consumérisme?

La survie du socialisme est moins affaire de fidélité à un héritage historique, au demeurant contradictoire, que d'une capacité à reformuler radicalement le message d’émancipation individuelle et collective porté par ses pionniers.

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