Culture

Pourquoi n'y a t-il plus de tubes de l'été?

Temps de lecture : 4 min

Les chaînes de télévision ont cessé d'imposer leurs titres au public.

Tout l'été, la rédaction de Slate.fr part à l'assaut des grandes questions existentielles des vacances.

Franchement, qui est capable de citer le tube de l'été 2009? A priori, pas grand monde.

Il n'y a d'ailleurs pas de réponse ferme, juste quelques titres qui peuvent prétendre à une éventuelle postérité estivale: When loves takes over, de David Guetta, Ça m'énerve d'Helmut Fritz, I know you want me (calle ocho) de Pitbull ou Release Me d'Agnes. Mais rien d'absolument décisif, aucune chanson qui restera à jamais comme la carte postale de l'été 2009.

Où sont passés les vrais tubes de l'été? Dans les années 90, les tubes ensoleillés se sont enchaînés à un rythme soutenu, devenant un classique de l'été au même titre que les embouteillages ou le torse musclé des G.O.: la Lambada (1989), Soca Dance (1990), la Macarena (1996), Samba de Janeiro (1997), Yakalelo (1998), Mambo n°5 (1999) pour ne citer que les plus connus.

Première hypothèse: s'il n'y a plus de tubes de l'été, c'est parce qu'il n'y a plus de saisons. Mais cette théorie du déclin de la civilisation occidentale — propagée par les grand-mères — ne résiste pas à l'analyse des faits.

En fait, les tubes de l'été ont toujours existé, ils sont vieux comme la musique pop. Il y a d'ailleurs aussi des tubes de l'hiver mais seulement, personne ne les relèvent. Le «tube de l'été», comme on l'a connu dans les années 90, n'est qu'un habile storytelling, monté par les maisons de disques et les chaînes de télévision, associant l'achat d'un single au fait de passer des vacances festives.

L'invention de ce concept marketing date de 1989 quand TF1 réalise un coup magistral en inondant ses écrans estivaux avec le clip de la Lambada. L'opération est montée en collaboration avec le producteur Sony France et financée en partie par Orangina qui sponsorise le clip. Le single se vendra à 1.735.000 exemplaires et reste l'horizon indépassable en matière de tube de l'été.

Dès l'été 1990, TF1 retente le coup - avec un peu moins de succès - en programmant en boucle le clip de Soca Dance. Le cahier des charges du tube de l'été est maintenant écrit avec précision: collaboration entre une maison de disque et une chaîne télé, musique festive à tendance world, clip ensoleillé (si possible sur une plage) et chorégraphie simpliste. M6 va entrer brillamment dans la course avec le succès de la Macarena en 1996. Dès lors, tous les étés, TF1 et M6 s'affronteront par clips interposés.

Le dernier «tube de l'été» chimiquement pur est Las Ketchup en 2002, un tube mondial qu'avait récupéré TF1. Depuis, les succès estivaux n'ont plus grand chose à voir avec la formule miracle des années 90: Un monde parfait d'Ilona Mitrecey (2005), Hips don't lie de Shakira (2006), Umbrella de Rihanna (2007) ou American Boy d'Estelle (2008).

L'affrontement musical entre TF1 et M6 a maintenant lieu un peu plus tard dans l'année entre la Star Academy et la Nouvelle Star.

Le CSA siffle la fin de la récré

La première explication de ce déclin des tubes de l'été réside dans une décision du CSA rendue en 1999. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel fixe alors la durée minimale de diffusion des clips à 1 minute 30. Les chaînes, qui diffusaient de nombreux extraits de 20 ou 30 secondes de leurs tubes maison entre deux émissions, sont rattrapées par la patrouille. Le tube de l'été devient un programme trop long pour être bombardé toutes les heures. En se raréfiant sur les écrans, les tubes perdent leur principale source de promotion.

Moins d'argent pour la promotion

La crise de l'industrie du disque qui commence au début des années 2000 va progressivement restreindre les capacités financières des majors. Or, un tube de l'été, c'est avant tout un lourd investissement marketing. Un pari financier sur une chanson, sur laquelle une maison de disque va investir des centaines de milliers d'euros pour faire rentrer le titre dans toutes les têtes avec des pubs télé et radio.

Le format single en voie de disparition

Le tube de l'été ne sert qu'à vendre des singles (et éventuellement la boisson gazeuse qui s'associe à l'opération), et certainement pas des albums. Depuis que le téléchargement illégal s'est imposé comme la principale source musicale des adolescents, le single, qui était marketé pour capter l'argent de poche des jeunes, est en voie de disparition. Selon les estimations du site Infodisc, la meilleure vente de single en 2008 est Tired of being sorry d'Enrique Iglesias avec 286.200 exemplaires. A titre de comparaison, en 2002, le tube de l'été de Las Ketchup s'était arraché à 1.750.000 exemplaires.

Les ventes de MP3 sont très loin de compenser cette perte de chiffre d'affaires. Dans ce contexte, les maisons de disque ont davantage intérêt à se concentrer sur les albums, qu'il est encore possible de vendre en masse à un public adulte. En 2008, Francis Cabrel a écoulé 606 730 exemplaires de son Des roses et des orties.

Une segmentation des publics

Le succès d'un tube de l'été est fondé sur un rétrécissement de l'offre. Que vous allumiez votre télé ou votre radio, que vous alliez à la plage ou en discothèque, partout la même musique. Le tube est alors un rite social, le degré minimal de culture que l'on partage avec les voisins de camping.

Mais l'ère de l'Internet engendre au contraire un extraordinaire élargissement de l'offre. Aujourd'hui, on découvre moins la musique à la radio que sur YouTube. Ce ne sont donc plus les programmateurs qui font la pluie et le beau temps mais le consommateur, seul devant son ordinateur. Affranchi de cette tutelle uniformisatrice, le public a tendance à se replier vers ses goûts propres.

Conséquence: les chaînes de télé ne misent plus sur un seul poulain et préfèrent mettre en avant discrètement plusieurs chansons (par exemple un titre électro, un titre chanson française et un titre R'nB) pour être sûr de toucher le maximum de public. Chez M6, on ne parle d'ailleurs plus de «tube de l'été» mais de «titre de l'été», confiait en 2008 à Marianne la responsable artistique du label maison.

Vincent Glad

***

Remerciements à Roberto Ciurleo, directeur des programmes de NRJ entre 2000 et 2007 et fondateur de Goom Radio; Borey Sok, conseiller en «Musique 2.0»; et Benoît Sabatier, rédacteur en chef de Technikart et auteur du très conseillé Nous sommes jeunes, nous sommes fiers, la Culture jeune d'Elvis à MySpace. Et merci au blogueur Henry Michel qui a réalisé la playlist Spotify de cet article.

(illustration: capture d'écran du clip de The Ketchup Song de Las Ketchup)

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