L'illustration de cet article nous a été très aimablement fournie par @GuillaumeTC, auteur de la célèbre série des «Croisons-les». Il publie le 10 septembre un livre rassemblant ses meilleures créations chez Flammarion.
Valéry Giscard d’Estaing l’a appris à ses dépens, jamais un ancien président n’a réussi à revenir au pouvoir sous la Ve République. Pour devenir le premier à y parvenir, Nicolas Sarkozy semble justement avoir pris VGE comme anti-modèle. L’ancien président a soigneusement évité de prononcer une déclaration dramatique à la «Au revoir» au moment de quitter l’Elysée et, surtout, en prévoyant de se porter candidat à la présidence de l'UMP, refuse de revenir en politique par la petite porte, contrairement à Giscard qui s'était fait réélire simple conseiller général du Puy-de-Dôme en 1982.
C’est peut-être du côté d’un autre ancien président, américain celui là, auquel on l'a d'ailleurs déjà comparé, que Nicolas Sarkozy devrait chercher l’inspiration. En 1968, Richard Nixon réalise une prouesse dans l’histoire électorale des Etats-Unis: battu d'extrême justesse par John Fitzgerald Kennedy huit ans plus tôt, il entre enfin à la Maison Blanche en battant le démocrate Hubert Humphrey.
Aux États-Unis, une règle implicite voulait pourtant que les perdants n’aient pas le droit à une deuxième chance: avec Grover Cleveland, président à la fin du XIXe siècle, Nixon est le seul sortant (il était vice-président d'Eisenhower au moment de sa défaite contre JFK) qui ait été battu avant de reconquérir le pouvoir plus tard. Un exploit que résume le titre d'un livre sorti cet été aux États-Unis: Le plus grand des comebacks. Comment Nixon s'est remis de sa défaite pour créer une nouvelle majorité.
Celui dont le magazine Time avait prédit un peu hâtivement la mort politique après son échec à se faire élire gouverneur de Californie en 1962 –mort qu'il avait lui-même annoncée de manière acerbe à la presse: «Vous ne disposerez plus de Richard Nixon comme souffre-douleur car ceci, messieurs, est ma dernière conférence de presse»– n’a rien laissé au hasard pour prendre sa revanche. De quoi donner à Nicolas Sarkozy quelques leçons pour réussir lui aussi son comeback.
1.Devenir un homme nouveau
«J’avais la réputation qu’un homme politique doit le plus regretter, celle d’un perdant», a écrit, dans ses mémoires, Nixon de son image au début des années 60. L’enjeu est de s'en débarrasser. «On ne gagne pas une présidentielle en France ou aux Etats-Unis sur une revanche. Il faut montrer qu’on est un homme neuf», affirme le professeur d’histoire contemporaine Christian Delporte, auteur de Come back! ou l’art de revenir en politique:
«Nixon a une image d’homme expérimenté et compétent, mais il lui manque la proximité nécessaire qui donne envie de voter pour lui. C’est en mettant en oeuvre une campagne de communication millimétrée qu’il va y parvenir.»
Comme Kennedy quelques années plus tôt, Nixon est envoyé régulièrement par ses conseillers dans le sud du pays pour se débarrasser de son teint blafard. Un auteur comique est même recruté pour écrire au futur président les blagues qui le rendront enfin sympathiques auprès des électeurs.
Nicolas Sarkozy semble lui aussi avide de revenir en homme neuf, comme il le confiait à Paris Match en juillet:
«La question du retour, de la renaissance, est une question pour moi beaucoup plus importante que celle de la revanche. Pourquoi? Parce que je ne crois pas à la revanche. Je me méfie des sentiments qui sont inextinguibles et qui détruisent: je pense à l’amertume, à la haine, à la jalousie.»
Ou comment tenter de se poser en homme assagi, apaisé et fin lettré, dans un long entretien avec l’académicien Jean-Marie Rouart.
2.Constituer une nouvelle équipe
Un homme nouveau ne peut pas revenir avec la même équipe. Dans les années 1960, Nixon met à profit son retrait politique pour recruter de nouveaux conseillers. Temporairement reconverti comme avocat aux émoluments vertigineux à New York, il s’attache les conseils de jeunes hommes prometteurs comme Alan Greenspan, qui deviendra quelques décennies plus tard le président de la Réserve fédérale. Deux jeunes plumes sont peu à peu recrutées pour écrire ses discours. C’est aussi à cette période qu’il se rapproche de l’avocat d’affaires John Mitchell, qui sera l’un des hommes-clés de la campagne de 1968 avant d’être nommé à la tête du Département de la Justice, puis de tomber lors de l'affaire du Watergate.
Le renouvellement de son entourage est un enjeu important pour Nicolas Sarkozy. Sa nouvelle image d’homme apaisé est difficilement compatible avec les personnalités emblématiques de son précédent quinquennat, trop associées au bling bling ou aux excès de langage. Les sarkozystes historiques comme Brice Hortefeux et Nadine Morano sont délaissés. Nicolas Sarkozy préfère courtiser des élus plus jeunes afin de s’appuyer sur une nouvelle génération en 2017. D’où la réaction de dépit de Nadine Morano, qui a menacé, dans les colonnes de Marianne, de faire campagne contre lui.
3.Comprendre son époque
Richard Nixon et Nicolas Sarkozy se sont tous les deux retrouvés éloignés du pouvoir dans une période de bouleversements sociaux. Aux Etats-Unis, le «consensus libéral», au sens américain du terme, autour de l’Etat-Providence, héritage des années Franklin Roosevelt, vole en éclat. Les tensions sociales, les émeutes et la contestation de la guerre du Vietnam agitent le pays. «Cette ère arrive à bout de souffle car on considère qu’il y a des excès du libéralisme, que le balancier est allé trop loin, qu’il y a trop de protection sociale et que la guerre contre la pauvreté a été perdue», explique Antoine Coppolani, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Montpellier et auteur d’une récente biographie très fouillée de Richard Nixon.
Nixon et ses conseillers, inspirés par des études d’opinion, bâtissent une campagne autour des divisions du pays. Le candidat se pose en défenseur de la loi et de l’ordre, il s’attaque à l’élitisme libéral des démocrates. Le discours fait mouche.
L’enjeu pour Nicolas Sarkozy est, comme Nixon a su le faire en 1968, de trouver le positionnement idéologique qui rassurera les Français dans une période de crise économique et de tensions communautaires. «Il y a quelque chose à trouver entre une opinion qui est persuadée –en grande partie parce qu’on l’a persuadée– que l’Etat-providence, c’est terminé, mais qui ne veut pas se donner au libéralisme», au sens français du terme cette fois, estime Christian Delporte.
4.Parfaire sa stature internationale
Pendant sa traversée du désert, le citoyen Nixon enchaîne les longs voyages à l’étranger, où son aura d’ancien vice-président lui assure d’être toujours reçu comme un haut dignitaire. Une stratégie payante dans le contexte troublé des années 1960. «D’habitude, les électeurs américains votent sur des questions de politique intérieure –la loi, l’ordre, les impôts, l’économie– sauf quand il y a la guerre», explique Antoine Coppolani. «Or, en 1968, les Etats-Unis sont doublement en guerre [la guerre du Vietnam et la Guerre froide, ndlr]. L’élection de 1968 se joue en grande partie sur des questions de politique étrangère.»
Les préoccupations des Français sont aujourd’hui plus tournées vers la crise économique que la situation internationale, mais Nicolas Sarkozy n’oublie pas de leur envoyer des cartes postales diplomatiques en compagnie des principaux dirigeants internationaux. Depuis son départ de l’Elysée, il a été reçu en «simple citoyen» par Vladimir Poutine, Dilma Rousseff, David Cameron, Angela Merkel ou Mariano Rajoy, autant de piqûres de rappel qui réaffirment sa stature d’homme d’Etat.
5.Pousser son adversaire à la faute
Les relations internationales sont le sujet qui va permettre à Nixon de marquer des points face au président sortant, Lyndon Johnson, même si celui-ci ne se représentera finalement pas. A la veille des élections de mi-mandat de 1966, le futur candidat publie dans le New York Times une tribune qui éreinte la politique de Johnson au Vietnam.
Piqué au vif, le président ne lui répond pas sur le fond mais lui lance de violentes attaques personnelles lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche. Le bénéfice est double pour Nixon: non seulement le président le place à son niveau en lui répondant directement, mais en plus, la violence de sa réponse place le républicain en position de victime. Plus que jamais, le voilà dans la peau du concurrent le plus sérieux pour 1968.
Voilà peut-être un filon à exploiter pour Nicolas Sarkozy, d’autant que François Hollande a manifestement envie d’en découdre avec lui. Dans la dernière interview accordée par le président de la République au Monde, le 20 août, le chef de l'État avait enchaîné les tacles plus ou moins discrets contre son ancien adversaire. Mais sans prononcer son nom, et sans verser dans les attaques personnelles.
6.Se réconcilier avec les médias
Après leur défaite, Richard Nixon comme Nicolas Sarkozy nourrissent une certaine aigreur à l’égard des médias, comme l'atteste, dans le cas de l'Américain, sa diatribe surréaliste de 1962 contre la presse.
Cinquante ans plus tard, ces attaques trouveront un écho dans les diatribes de Nicolas Sarkozy contre les journalistes à la fin de la campagne présidentielle de 2012. Deux jours avant sa défaite, le président sortant fait huer un journaliste de TF1 en plein meeting aux Sables d’Olonne, avant de reprocher aux médias de le traiter moins bien que Marine Le Pen.
La campagne est aussi très mal vécue par son épouse Carla Bruni, qui ne manque pas une occasion d’exprimer sa haine des journalistes politiques. D’après un article du Point de juillet dernier, elle les accuserait encore de vouloir «faire la peau» à son époux.
Malgré sa haine de la presse, Nixon a su faire des efforts pour rétablir de bonnes relations avec les médias avant son élection. C’était indispensable pour véhiculer sa nouvelle image d’un candidat détendu, souriant et donc patient avec les journalistes. «Entre 1965 et 1968, il entretient une lune de miel avec la presse. Il est tout le temps en voyage, ses avions prennent même du retard pour attendre un reporter qui se serait égaré. Mais une fois le pouvoir atteint, il les aurait plus volontiers jetés par le hublot!», sourit Antoine Coppolani.
Reste à faire un effort équivalent pour Nicolas Sarkozy. «Comme il y a eu le nouveau Nixon, il faut le nouveau Sarkozy. La presse ne sera intéressée que par le nouveau», analyse Christian Delporte.
Ces comparaisons entre les retours de Nicolas Sarkozy et Richard Nixon restent évidemment limitées. L’Américain a pu choisir le timing de son retour, en pleine débâcle des démocrates au pouvoir, et sans réelle concurrence dans le parti républicain. Sans oublier qu’il n’était pas –encore– englué dans des affaires judiciaires en 1968. Alors que Nicolas Sarkozy, lui, ne souhaitait pas revenir avant fin 2015 ou début 2016, et se fait dicter le calendrier de son retour anticipé par les crises internes de la droite... Aura-t-il l'occasion, en mai 2017, de clamer comme Richard Nixon en 1968 «J'ai perdu une élection serrée puis gagné une élection serrée. Je peux vous dire que gagner est bien plus amusant»?