France

À l’UMP, on va «chasser en meute» contre Sarkozy

Temps de lecture : 7 min

L'ancien chef de l'État est désormais coincé par sa propre stratégie des «cartes postales»: pensée comme gagnante, la stratégie de l’homme providentiel présent-absent s’est subitement transformée, avec l'affaire Bygmalion et les dossiers non soldés de la campagne 2012, en machine à détruire celui qui l’avait conçu.

Nicolas Sarkozy, le 10 mars 2014. REUTERS/Eric Gaillard.
Nicolas Sarkozy, le 10 mars 2014. REUTERS/Eric Gaillard.

Les choses sérieuses vont-elles enfin commencer pour Nicolas Sarkozy? Début juillet, il avait lui-même fixé l’échéance –«fin août, début septembre»- de son hypothétique retour sur l’avant-scène politique. Au lendemain de sa mise en examen, notamment pour trafic d’influence et corruption, l’ancien président de la République et membre du Conseil constitutionnel à vie avait indiqué, dans un long plaidoyer pro domo télévisuel, qu’il aurait «à décider», au sortir des vacances d’été, s’il briguait ou non la présidence de l’UMP.

Et comme pour répondre par anticipation à l’interrogation –assez peu mystérieuse– qu’il laissait planer, il avait ajouté: «La question de savoir si on renonce à revenir en politique ne se pose pas pour moi.» Mais histoire de patiner d’un peu d’humilité solennelle cette affirmation bravache, il avait glissé que «vis-à-vis de son pays, on a des devoirs, pas des droits».

Si la question de revenir sur la scène ne se pose pas pour lui, sa décision –qui en doute vraiment?– est donc déjà prise. Elle est même probablement arrêtée depuis longtemps. Peut-être même depuis le soir de sa défaite, le 6 mai 2012.

Et ce en dépit de déclarations, main sur le cœur, assurant que tout cela était bel et bien terminé, qu’il avait «fait le job» et son temps, qu’il avait d’autres ambitions et qu’il voulait, comme il s’en cachait à peine, gagner de l’argent. Il en a effectivement gagné, et même beaucoup, grâce à ses conférences internationales richement dotées et grâce à son cabinet d’avocat retrouvé.

Mais personne n’a cru qu’il avait déserté le terrain. Il a même tout fait, depuis un peu plus de deux ans, pour ne jamais se faire oublier, pour être présent par procuration ou pour faire lui-même l’actualité. Parfois à son corps défendant à travers les différentes affaires où son nom est chuchoté, murmuré, susurré, voire explicitement cité.

Mais le temps dit des «cartes postales» –ces interventions directes ou indirectes de l’ancien président dans le débat public pour ne pas se faire oublier– est maintenant révolu. Il va falloir se jeter à l’eau, sans gilet de sauvetage, ou renoncer définitivement à jouer l’Arlésienne, au grand dam de supporteurs énamourés.

Sarkozy est désormais coincé par sa propre stratégie. Au lieu de reprendre immédiatement les rênes du parti après son échec présidentiel, de s’atteler à un examen critique de son quinquennat avant d’engager le fer avec François Hollande pour se rendre incontournable, il a préféré se retirer sur l’Aventin, façon observateur et sage. Cette posture lui allant comme des bas de contention à un coq, tout le monde a vu en lui, à tort ou à raison, le deus ex machina qui allait faire et défaire les princes consorts de passage.

L’enchaînement meurtrier de l'affaire Bygmalion

De fait, Sarkozy et le club de ses amis n’ont eu de cesse, jusqu’à la mi-2014, de développer une stratégie d’empêchement. Il s’agissait, en polarisant en permanence l’attention du peuple de droite sur la personne de l’ex-chef de l’Etat, d’imposer l’évidence qu’il était irremplaçable de ce côté de l’échiquier et, par voie de conséquence, de contrarier l’idée que d’autres pouvaient être en situation de le remplacer. Mais plus encore, cette stratégie a gelé, pendant de nombreux mois, toute réflexion autour d’un projet politique alternatif.

Il faut reconnaître que ce plan n’a pas mal fonctionné, ou plutôt n’aurait pas mal fonctionné si un enchaînement infernal et cataclysmique ne s’était mis en route avec la bataille Copé-Fillon pour la présidence de l’UMP, qui a conduit à l’affaire Bygmalion, à la chute de Copé et aux soupçons de financement suspect de la campagne présidentielle.

Cet enchaînement meurtrier a provoqué un retournement de situation et a libéré les énergies ou les ambitions dans les rangs du premier parti de l’opposition parlementaire. Pensée comme gagnante, la stratégie de l’homme providentiel présent-absent s’est subitement transformée en machine à détruire celui qui l’avait conçu. Ou à tout le moins, machine à contrecarrer les plans qui devaient littéralement porter Sarkozy dans un fauteuil jusqu’à la présidentielle 2017… sans passer préalablement par la case primaire.

Indéniablement, la stratégie initiale a échoué et ce ne sont pas les efforts rhétoriques de ses amis qui feront gober le contraire. Comme l’homme est un battant et qu’il a de la ressource, il a vite fait de passer cet échec par profits et pertes. Mais le rapport des forces n’est plus exactement le même à l’UMP, et plus largement au sein de la droite.

Au bout du compte, l’UMP n’a strictement rien gagné au terme de ses deux premières années d’opposition: direction explosée, remplacée par le triumvirat provisoire Fillon-Juppé-Raffarin, projet politique inexistant pour l’opinion, finances exsangues et soupçons de malversations examinées par la justice, rivalités souterraines de chefs qui risquent, à tout moment, de rallumer des conflits ouverts. Et pour couronner le tout, un champion déchu qui reste, malgré les affaires qui planent au-dessus de sa tête, le patron dans le cœur de la majorité des militants.

Mais en deux ans, son étoile a pâli. Si les sondages le donnent largement vainqueur de l’élection à la présidence du parti, le 29 novembre, il n’écrase plus le scrutin comme ce fut le cas auparavant.

Tous les blocages passés vont remonter à la surface

Son principal concurrent, le député de l'Eure Bruno Le Maire, assure qu’il veut reconstruire «un parti digne et crédible». Hervé Mariton, député de la Drôme, un des fers de lance de la droite dans la bataille parlementaire contre «le mariage pour tous», estime, pour sa part, que la candidature de Sarkozy «n’a pas beaucoup de sens».

Il est très probable que d’autres candidats et candidates vont se dévoiler avant la fin septembre. Le double enjeu, pour ces prétendants, sera non seulement de faire entendre leur différence mais aussi de tenter d’imposer un second tour à l’ancien président, qui avait pris la tête de l’UMP, en novembre 2004, avec un score de 85,09%.

Si Sarkozy se lance dans la reconquête de l’UMP, son chemin, il le sait, ne va pas être parsemé de pétales de roses. En plus de ses concurrents dans la bataille pour la présidence du parti, il devra aussi affronter… tous ceux qui ne prendront pas part à cette joute afin de se réserver pour la suivante: la primaire présidentielle. Et comme les rancoeurs, les comptes à régler, les vengeances, les monnaies de la pièce et autres inventaires se mesurent à la tonne, il est probable que la campagne interne va réserver quelques surprises et joyeusetés dont les gaullistes, néo-gaullistes et descendants variés ont le secret. Avec en exergue une devise popularisée par Chirac: «chasser en meute». Mais cette fois, ce sera tous contre Sarkozy. Enfin, tous ceux qui comptent!

Tout ce que l’ancien chef de l’Etat s’est évertué à bloquer, ou à faire bloquer par ses amis pendant deux années, va irrémédiablement remonter à la surface. Les petites humiliations du quinquennat, les choix politiques non-aboutis, la dérive ultra-droitière de la campagne présidentielle, l’absence de réel inventaire, les mystères du financement électoral… Toutes les munitions sont réunies pour assurer un pilonnage d’artillerie dévastateur. Sans compter l’attention que plusieurs juges portent à des dossiers qu’ils ont la charge d’instruire. De quoi remplir deux mois de campagne virile!

Hollande, lui non plus, ne lui laissera pas d’espace

Dès le mois de juillet, François Fillon a donné le ton dans un entretien au Monde en déclarant, à propos de celui qui l’avait rangé au rang de «collaborateur» alors qu’il était son Premier ministre:

«Plutôt que d’une candidature qui verrouille le débat, l’UMP a besoin d’une candidature d’apaisement, qui ramène de la sérénité et permette d’organiser la primaire dans un climat de confiance, de façon à aboutir à une compétition maîtrisée.»

Verrouillage, apaisement, sérénité, confiance, compétition maîtrisée: en quelques termes bien choisis, il a donné son sentiment –défavorable– sur la candidature de Sarkozy à la présidence de l’UMP. Car pour l’ancien chef du gouvernement, il ne faut pas courir deux lièvres à la fois.

Avec cette entrée en matière, ces deux mois de campagne ne seront sûrement qu’un aperçu de la suite. Car bien évidemment, la prise de l’UMP pour s’assurer la mainmise sur l’appareil et le contrôle des troupes ne sera qu’un pâle prologue de l’étape suivante conduisant vers la conquête de l’Elysée.

De ce point de vue, Alain Juppé a pris une longueur d’avance en annonçant sur son blog, le 20 août, sa candidature à la primaire présidentielle que, «bon sens» aidant, il voudrait voir organisée au printemps 2016. En choisissant cette date qui jouxte, en le précédant, le «fin août, début septembre» de Sarkozy, l’ancien Premier ministre a damé le pion, à dessein, à l’ancien chef de l’Etat. En privilégiant son blog, c’est-à-dire les réseaux sociaux, pour sa discrète annonce, Juppé rend un peu ridicule une hypothétique intervention télévisée tonitruante de Sarkozy pour lancer une simple candidature à la présidence d’un parti. Une manière de lui montrer qu’il pourrait se contenter de Facebook.

Si ses «compagnons» n’ont pas l’intention de lui laisser beaucoup d’espace, il va en aller de même du président de la République. Pris dans une mauvaise conjoncture économique, Hollande a ouvert une nouvelle séquence de son quinquennat avec le spectaculaire remaniement du 26 août: celle d’une réaffirmation de ses choix et de son cap face aux critiques dont il est l’objet dans son propre camp, chez les écologistes et à la gauche de la gauche.

Le calendrier des annonces qu’il a prévu de faire va venir bousculer celui de Sarkozy. Habitué à maitriser le timing, l’ex-président va devoir apprendre à s’adapter à celui de tous ses concurrents et opposants. Une nouveauté pour lui.

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