Arrivée depuis une semaine à Montréal en pleines festivités de la Fierté, je me demandais pourquoi je me sentais tout chose: quintes de toux, extinction de voix persistante. Ennuyeux pour les manifs et autres défilés.
Je n’avais pas fait le lien avec mon visionnage, sitôt débarquée de l’avion, des huit épisodes de la websérie Féminin/Féminin, réalisée par Chloé Robichaud. Un projet lourdement marketé par Florence Gagnon, présidente et fondatrice de la plate-forme web LSTW (Lez Spread The Word), «la référence lesbienne» autoproclamée.
J’étais loin de penser que l’acronyme LSTW, tel un monogramme Vuitton pour lesbiennes chic, était le nom de code d’un nouveau virus et que j’en serais la patiente zéro. Regardez Féminin/Féminin, voire adoptez le style de vie de la lesbienne type de cette série «plate», comme on dit en québecois, et vous mourrez d’ennui à coup sûr.
La série raconte les histoires d’une bande de jeunes lesbiennes d’à peine plus de 20 ans et qui n’ont que le couple comme horizon dans la vie. Bon, ça arrive, et de plus en plus tôt, mais avec le vrai-faux documentaire inséré dans les maigres épisodes de dix minutes, où Chloé Robichaud interviewe des lesbiennes au sujet de l’homosexualité féminine, Féminin/Féminin n’y va pas avec le dos de la cuillère.
Ces «confessions» sont un hymne à la conjugalité —même pas (surtout pas?) homosexuelle: un couple homo, «c’est comme un couple hétérosexuel avec des hauts et des bas, ça va, ça vient au gré du vent», dixit la lesbienne en couple depuis 4 ans. Une butch (lesbienne masculine) qui, cela va sans dire, arbore l’indispensable mèche brushée féminisante, à l’instar de Shane dans la série The L Word, pourtant coiffeuse de son état. Quel drôle de message en direction des jeunes lesbiennes, que de les enjoindre à faire leur coming out pour ensuite affirmer qu’elles sont exactement comme les hétéros…
Monogamie et pelotage en soutien-gorge
Les gays et les lesbiennes qui se marient épousent aussi la différence sexuelle biologiquement définie. Bye Bye le gender fucking et la richesse des identités de genres caractéristiques des subcultures gay et lesbiennes. Le dernier épisode, en forme de conclusion, en remet une couche au cas où. Les lesbiennes interviewées en micro-trottoir sont toutes en couple ou pro-couple. Et qui dit couple dit progéniture, sujet abordé dès l’épisode 2, mais nous voilà rassurées, un épisode plus tard, avec l’apparition de la chanteuse québécoise lesbienne et out Ariane Moffat. En mode docu, face caméra, elle déclare réussir à concilier travail et vie de famille.
Tout ceci simplifie le «chart» de la vie sexuelle et affective lesbienne, réduit à sa plus simple expression dans Féminin/Féminin, limite monogame. Imaginez la tête d’Alice Pieszecki de The L World devant dessiner un mapping des interactions sexuelles à huit branches. Jamais elle n’aurait tenu six saisons.
Dès le pilote, je me suis sentie aussi déprimée que les héroïnes fatiguées de la série. Il faut dire qu’elles n’ont pas la vie lesbienne drôle. Le répertoire de leurs pratiques sexuelles se résume au frenching (roulage de pelles). Il n’y a donc que du pelotage à se mettre sous la dent, et encore, sous conditions: toute habillée ou en soutif. Pour l'ambiance torride de The L Word, on repassera. D'ailleurs, la série a carrément des relents hygiénistes: gare aux émanations de «fumée secondaire», nous rappelle un personnage qui vapote dans l’épisode 4.
Lesbonormativité et dissolution des codes
On en vient donc à s’interroger sur les intentions de la série québécoise à promouvoir la lesbienne insipide — et forcément blanche: la seule noire, à qui l'on diagnostique un cancer du sein, disparaît après l'épisode 3 pour ne revenir qu'à l’enterrement du chat, à la toute fin. Féminin/Féminin est un bon exemple de la rencontre de deux logiques convergentes, caractéristiques de la fraction lesbienne et gay assimilationniste de la communauté LGBT actuelle.
La première est politique et culturelle. Elle relève de la lesbonormativité, c’est-à-dire de ce moment où la revendication des droits tels que le mariage, l’adoption ou la procréation lesbienne se fait et doit se faire au détriment de l’affirmation identitaire ou culturelle lesbienne. Grâce à la valorisation de la lesbienne féminine, propre, prête à s’intégrer, par le biais d’une politique de la non différence. En oubliant les autres: les butchs, les lesbiennes défavorisées, racialisées, les trans, les queer et autres freaks.
La seconde est économique: pour capturer le marché lesbien, il faut faire du kitsch industriel, comme disait le philosophe de la communication et spécialiste du kitsch Abraham Moles. Ebarber soigneusement la lesbienne de toutes ses aspérités pour une vente en série. Dans Féminin/Féminin, on assiste à la dissolution de ses codes sociaux, sexuels, corporels, vestimentaires, de son univers de références et de sa culture politique, y compris féministe. Au point que la lesbienne LSTW ne resssemble plus à rien. Elle est construite uniquement par défaut: rature de ses identifications masculines et butchophobie, car parce que les lesbiennes sont des femmes comme les autres et certainement pas des dissidentes du genre. Même le générique, qui montre des lesbiennes ultra-féminines en goguette nous ferait regretter The Killing of Sister George, de Robert Aldrich (1968), qui montre la culture de bar lesbienne avec de vraies butchs.
En outre, la propension de Chloé Robichaud à cultiver le non-dit ou le mystère sur l’orientation sexuelle de ses héroïnes ajoute à cet évidement progressif de la lesbienne. On en avait eu un avant-goût dans Sarah préfère la course, son long métrage atone et tautologique, réalisé en 2013 et présenté à Cannes dans la sélection Un Certain Regard. Sarah préfère la course parce que Chloé Robichaud n’arrive pas à lui faire dire qu’elle préfère les filles. Quant à nous, on préférera (re)voir The L Word, Orange is the New Black ou encore Unité 9, de Danielle Trottier, diffusé sur ICI Radio-Canada Télé.
Alors don’t spread le virus LSTW si vous ne voulez pas désespérer la lesbienne et contribuer à l’extinction de sa culture sponsorisée par la Banque Laurentienne, les pizzas FF et Weight Watchers.