Sylvain Baize dirige le Centre national français de référence des fièvres hémorragiques virales. C’est aussi l’un des spécialiste de virologie qui connaît le mieux au monde la souche du virus Ebola à l’origine de l’épidémie qui progresse aujourd’hui dans quatre pays d’Afrique de l’Ouest. Il a dirigé l’équipe internationale qui a identifié et séquencé ce virus comme en témoigne sa position de premier signataire de l’article du New England Journal of Medicine daté du 16 avril.
Une première obtenue au terme d’une collaboration exemplaire entre spécialistes africains et européens. Alerte le 10 mars des services sanitaires de Guéckédou et Macenta. Deux jours plus tard, confirmation par une équipe de Médecins sans Frontières d’un cluster d’une maladie inconnue associant fièvre, diarrhées sévères et vomissements –tableau d’évolution souvent fatale. Nouvelles équipes et, dès le 18 mars, des échantillons sanguins prélevés sur des malades sont adressés, avec les plus grandes précautions aux laboratoires de haute sécurité (de niveau P4) de Lyon et de Hambourg. L’identification et le séquençage sont menés en parallèle.
Un mois plus tard, la célèbre revue américaine annonce la nouvelle: il s’agit bel et bien de l’émergence d’une épidémie d’Ebola. Pour la première fois depuis 1976 cet agent pathogène est retrouvé en Afrique de l’Ouest très loin de la zone où il a toujours sévit, au centre du continent africain.
Contraintes méthodologiques contre urgence
Les choses avancent vite. Le ministère des Affaires étrangères le charge d’une mission du 5 au 13 avril à Conakry dans le cadre de la réponse de la France, aux côtés des autorités de santé guinéennes, à l’épidémie de fièvre Ebola. Depuis, Sylvain Baize est en première ligne. Il est également très régulièrement sollicité par les médias grands publics où il fait preuve d’une grande pédagogie associée à une retenue souvent bienvenue. En juin, il estimait que la probabilité qu'une personne infectée apporte le virus en France était presque nulle, l’organisation des moyens sanitaires de l'Hexagone permettant de prendre en charge d'éventuelles personnes suspectes d’avoir importé le virus Ebola.
L’équation n’a guère varié, la progression de l’épidémie en Afrique de l’Ouest ne changeant rien à la donne pour ce qui est des pays occidentaux. Il n’en va pas de même sur le front thérapeutique. Il y eu d’abord le traitement, effectué au Libéria, de deux citoyens américains infectés par le ZMapp, une substance jamais expérimentée sur l’homme. Il y eut ensuite les déclarations officielles de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) laissant entendre qu’un vaccin préventif contre l’Ebola pourrait être disponible dès 2015. Dans les deux cas, la plus grande précaution s’impose. Et en dépit d’espérances largement médiatisées rien ne permet de penser que les populations africaines les plus exposées au risque infectieux pourront à moyen terme disposer de ces outils hypothétiques.
D’ores et déjà, parallèlement aux recherches vaccinales et pharmacologiques, un nouveau chapitre s’ouvre: celui des conditions éthiques de leurs expérimentations.
L’urgence justifie-t-elle que l’on ne respecte pas le cadre et les contraintes méthodologiques habituelles? Des contraintes qui font que la mise à disposition d’un vaccin ou d’un médicament se compte en années à partir des premiers essais cliniques de phase 1 sur l’homme. Poussé à le faire par trois spécialistes des maladies infectieuses l’OMS vient, en urgence, de réunir un comité d’éthique ad hoc pour plancher sur ces questions. Nul ne sait ce qui en sortira.
Des risques sans doute inutiles
Interrogé par Le Journal du Dimanche Sylvain Baize en appelle quant à lui à la prudence.
«Passer outre toutes les étapes d'une recherche clinique et tester en série sans essai préalable sur l'homme, faire courir des risques inutiles aux populations, pour moi, c'est dérangeant. Et si on ne fait rien, cela pourra être reproché. On est face à un vrai dilemme éthique. Le ZMapp est prometteur, mais on parle trop vite de remède miracle! Ce sont trois anticorps développés sur des souris qui ont été "humanisés" pour être tolérés par notre organisme. L'objectif est de neutraliser le virus en se fixant à ses parois pour l'empêcher d'infecter les cellules. Les études sur des primates montrent une bonne efficacité s'il est injecté tôt en phase d'incubation. Mais sur l'homme, tout reste à démontrer. [Les deux malades américains] vont survivre, mais est-ce grâce au ZMapp? Quarante pour cent des gens contrôlent spontanément l'infection avec leurs défenses naturelles. Pour le savoir, il faudrait mener un essai clinique dans les règles de l'art en comparant avec un placebo sur un grand nombre de participants.»
Or, qui acceptera de participer à un essai «contre placebo» en sachant qu’il est infecté par un virus tuant environ 70% de ceux qu’il contamine? Et qui acceptera de mettre sur pied un tel essai?
Sylvain Baise ajoute que le laboratoire californien propriétaire du ZMapp est incapable de produire des quantités importantes. Il ajoute que dans les années 1990 son équipe avait mis en évidence des marqueurs qui détermineraient, trois jours après l'apparition des symptômes, si les malades vont mourir ou non. En 2000 il avait, avec des chercheurs gabonais, allemands et français démontré dans The Lancet qu'une partie des personnes infectées ne développent pas la maladie. Faute d'intérêt, ces pistes n'ont pas été creusées.
Les mêmes questions se posent pour d’autres candidats-médicament. Comme le favipiravir (ou T-705), un anti-grippal de Toyama Chemical - Fujifilm ou le TKM-Ebola. Cette molécule est développée par la société canadienne Tekmira travaillant avec le ministère américain de la Défense. Jusqu’ici testée sur des singes elle vient d’être autorisée par la Food and Drug Administration américaine pour de premiers essais sur l’homme. D’autres viendront, élaborés par des start-up dont la survie repose sur un passage ultra-rapide et fortement médiatisé au stade des premiers essais cliniques.
Sur le front des candidats-vaccins, l’OMS est en discussion avec la multinationale britannique GlaxoSmithKline L'Institut national américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID/NIH) soutient la société biopharmaceutique américaine Crucell (Johnson & Johnson) qui développe un vaccin contre les virus Ebola/Marburg. Un nouvel essai clinique de phase 1 (tests sur volontaires sains) est prévu pour fin 2015 ou début 2016. Le NIAID finance également la société américaine Profectus Biosciences et travaille avec l'université Thomas Jefferson dans le cadre de vaccins contre l'Ebola élaborés sur la base d'un vaccin contre la rage, vaccin en phase d'essais sur l'animal.
«Le contexte d'urgence ne justifie pas de tester dans la précipitation n'importe quelle molécule, prévient Sylvain Baize. Si on ne fait rien cela pourra nous être reproché. Nous sommes face à un vrai dilemme éthique.»
Ce dilemme peut-être présent à l’émergence d’une nouvelle maladie infectieuse. Il n’a jamais pris la forme médiatisée que lui confère aujourd’hui la diffusion du virus Ebola en Afrique de l’Ouest.