Boire & manger / Société

On a volé la Joconde du malt: la bouteille de Balvenie à 23.000 euros dérobée au fond de l’épicerie

Temps de lecture : 4 min

Le rarissime whisky de 50 ans d’âge qui trônait dans une petite boutique du Xe arrondissement parisien a été volé. D’où venait ce flacon maudit de Balvenie numéroté du chiffre 13?

Telle Mona Lisa derrière son verre blindé, elle reposait bouclée à double tour dans une petite vitrine au fond de l’épicerie. Cela n’a pas découragé le voleur qui, profitant de quelques secondes d’inattention du vendeur, a prestement crocheté la serrure avant de filer, en plein milieu d’après-midi, la bouteille planquée sous le manteau replié sur son bras. Du boulot de pro.

On a volé la Joconde. On a dérobé la Mona Lisa du malt, la bouteille de Balvenie 50 ans numérotée du chiffre 13, un nectar dont seuls 88 flacons furent remplis. On a volé cinquante ans d’histoire, et une partie des illusions émerveillées de son propriétaire, toutes choses qui valaient tellement plus qu’une somme d’argent, fût-elle colossale.

La bouteille, comme ses voisines dans la vitrine, n’affichait pas son prix, mais le voleur en connaissait toute la valeur: c’est elle, la plus chère, et elle seule qu’il a escamotée, laissant Nicolas Julhès désemparé.

«Se dire que quelqu’un en avait envie à ce point, coûte que coûte, jusqu’à l’obtenir par des moyens répréhensibles… Le whisky est-il donc passé dans un autre univers, comme les œuvres d’art qu’on cambriole simplement pour les posséder et non pour les partager? Je suis déçu, blessé qu’un amateur de beaux flacons ait pu franchir ce cap. Chaque goutte de cette bouteille maudite sera dégustée avec de mauvaises raisons, en violation de toutes les valeurs qui nous font aimer le whisky.»

L’histoire, celle dont on fait des livres, retiendra que La Joconde, la vraie, volée au Louvre en 1911, réapparut deux ans plus tard quand son barboteur tenta de la revendre. En attendant que la bouteille n°13, appelée à devenir aussi célèbre que la première de la série, ressurgisse (peut-être) un jour, voici ce que nous écrivions il y a tout juste un an quand elle franchit la porte de l’épicerie:

Dans l’univers du whisky, pour vous situer les choses, David Stewart incarne un peu ce que Yoda est à La Guerre des étoiles. Un immense maître (de chais) qui lit dans l’avenir des fûts, un sage à la voix douce et bienveillante, dont la modestie n’a d’égale que le talent exceptionnel.

Celui qui a créé les grands classiques de Glenfiddich et The Balvenie a mis fin en septembre 2012 à une love story entamée en 1962 avec sa princesse Leia à lui: le petit fût n°5576, escamoté à son embauche à la distillerie, à l’âge de 17 ans, et rempli trois mois auparavant.

Après cinq décennies passées à veiller sur la barrique de chêne espagnol, sans doute un fût de deuxième ou troisième remplissage, le malt master s’est dit que l’heure était venue d’embouteiller cinq décennies d’histoire et de refermer le bouchon par dessus.

Un single malt unique

Un Balvenie de 50 ans, donc. Un single malt unique –ou presque: il en existe 88 bouteilles, dont 6 réservées à la France, vendues... 23.400 euros pièce. D'ordinaire, ce sont les palaces 5 étoiles et les cavistes à la clientèle griffée Vuitton qui acquièrent ces flacons d'exception très convoités. Seulement voilà. Une petite épicerie parisienne du Xe arrondissement en a acheté un. Vous avez dit bizarre?

Chez Julhès, on tient l’épicerie en famille, les parents et les deux fils, et on partage son temps entre les boutiques des faubourgs Saint-Denis, Saint-Martin et Poissonnière. Vins et spiritueux, fromages et charcutaille, pain et conserves fines… On taille les sandwichs sur mesure à l’heure du déjeuner sur le pouce, et la réputation de cette maison de goût a depuis longtemps dépassé le quartier. Surtout auprès des amateurs de whisky, à qui la cave offre de bien beaux rêves éveillés.

Nicolas, l’un des deux frangins, grand connaisseur du monde des spiritueux, la remplit au gré de ses passions et de ses partages. Ici, les bouteilles sont ouvertes à la dégustation, on goûte, on se fait raconter la magie des terroirs et la complexité des arômes, on apprend le plaisir, on goûte autre chose, on achète –ou pas– et on revient.

Il y a une dizaine d’années, Julhès a entrepris d’initier les amateurs au food pairing, l’art de marier gastronomie et whisky, et fini par rassembler autour de l’épicerie toute une communauté de passionnés qui se retrouvent au gré des événements. L’arrivée du quinquagénaire de Balvenie en était un, à n’en pas douter.

Mais il fallait ne rien connaître à cette adresse pour s’étonner que la rarissime bouteille en verre soufflé, présentée dans un coffret d’ébéniste façonné à la main, y côtoie désormais les flacons de bon rapport qualité/prix et les promo friendly.

«C’est une bouteille qui a du sens, justifie Nicolas Julhès. Elle n’est pas bling, elle n’est pas dans le luxe ostentatoire: elle parle le langage universel de la passion. Et la passion n’a pas de limites.»

En septembre 2012, David Stewart présentait le fruit de cette passion sans bornes à un petit cénacle réuni à Paris. Un moment inoubliable où l’assemblée crut croquer dans la Joconde. Le jus d’or pâle délicatement cuivré, à la fois riche et étonnamment fougueux pour son âge (44,1°), floral et épicé, invitait à tutoyer les anges.

Quand soudain, une pensée fulgurante et affreusement terre à terre interrompit les grattements de lyre: à 600 euros la gorgée, mieux valait la garder en bouche le plus longtemps possible, et noter mentalement une bonne fois pour toutes le flot des impressions et des saveurs.

David Stewart

Pour prolonger le plaisir à sa façon, Nicolas Julhès a préféré refuser l’offre d’un acheteur qui se manifestait trop tôt, espérant garder sa Joconde en vitrine au moins une année si possible.

«Quand je la vendrai, ce sera un adieu définitif, il me sera impossible d’en commander une autre, vous comprenez, s’excuse-t-il. C’est une pièce de collection.»

Lui qui pourtant avait déjà acquis un précieux Glenfiddich de 50 ans (12.500 € seulement), lui qui possède un rhum «d’avant Fidel Castro» ou encore un cognac «qui date de Napoléon à Sainte-Hélène», n’a jamais eu l’âme d’un collectionneur.

«Les bouteilles ne me fascinent pas tant qu’elles ne sont pas ouvertes. La moitié du plaisir en goûtant un whisky, c’est de voir la gifle que prend la personne avec qui vous le partagez quand tout un univers s’ouvre soudain à elle.»

Bien chanceux seront ceux qui recevront la baffe quand le Balvenie 50 ans pour eux on débouchera, aurait dit maître Yoda.

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