Une vieille opposition existe entre les chercheurs estimés par leurs pairs pour leurs recherches publiées dans des revues à faible tirage et les chercheurs plus «médiatiques» qui peuvent être très populaires au-delà de leur discipline.
Pour savoir si cette popularité d’un scientifique est exagérée en regard de l’évaluation de ses travaux, le biologiste Neil Hall vient de publier dans la sérieuse Revue Genome Biology un article farceur sur le fond bien que scrupuleux dans sa forme, proposant pour dégonfler ces bulles médiatiques de calculer l’écart entre un profil de chercheur sur les réseaux sociaux et son autorité dans les revues spécialisées. Il l’a baptisé «l’indice Kardashian», en référence à Kim Kardashian, célébrissime héroïne de téléréalité bien qu’elle n’ait pas de réalisation majeure à son actif. Comme il l'écrit:
«Je suis inquiet du fait qu'un phénomène similaire à celui de Kim Kardashian puisse exister également dans la communauté scientifique. Je pense qu'il est possible que certains individus soient célèbres pour être célèbres (ou, pour employer le jargon scientifique, renommés pour être renommés).»
S’il reconnaît que les réseaux sociaux sont «des outils de valeur pour le rayonnement et le partage des idées», il estime aussi qu'«il existe un danger que cette forme de communication soit trop valorisée et que nous perdions de vue des mesures clés de la valeur scientifique».
Pour obtenir l'indice Kardashian ou K Index d’un scientifique, il suffit de diviser le nombre total de followers sur Twitter par le nombre de citations dans les revues, ce dernier chiffre étant souvent considéré comme un critère d’influence au sein de la communauté scientifique (bien qu’il fasse aussi l’objet de critiques).
Un K index élevé indiquera que le chercheur X a pu construire sa notoriété sur des fondations peu solides, considère Neil Hall, alors qu’un indice peu élevé prouvera que ce chercheur est sous-estimé.
L’auteur de l’article propose que les intéressés indiquent dans leur biographie Twitter leur K index, explique le Daily Dot, et que ceux qui ont un indice supérieur à 5 soient considérés comme des «Kardashian de la science».
La formule du K index de Neil Hall. Genome Biology
Selon les résultats du petit échantillon de 40 chercheurs étudié par l’auteur, les chercheuses ont tendance à avoir moins de followers que les chercheurs, ce qui lui fait dire que «la plupart des Kardashians sont des hommes».
La satire de Hall n’a pas été très bien reçue par certains confrères et certaines consoeurs: en particulier celles et ceux qui avaient un K index élevé!
Mais pas tous: l'auteur du blog BrainFacts, lui-même un Kardashian, justifie sa présence et son activisme sur les réseaux sociaux:
«Les scientifiques populaires sur Twitter ont une recette qui les a menés au succès: la consistance, le partage de bonnes recherches évaluées par leurs pairs, des interventions honnêtes et une information de grande qualité. Ce sont exactement les caractéristiques que l'on attendrait pour embaucher un maître de conférences ou un professeur.»
Le problème posé par Neil Hall est donc inversé puisque les intellectuels qui enseignent, font de la recherche et partagent leurs idées dans l'espace public au bénéfice de leur audience ne sont pas récompensés pour cette contribution sociale par le milieu académique.
D'autres ont assumé le fait d'être un «Kardashian» de la science, comme ce chercheur en neurosciences suivi par plus de 17.000 personnes sur Twitter:
Twitter follow plotted against science citations. Here's where I am. Proud to be a Kardashian. #science #neuroscience pic.twitter.com/3fpevWRnD4
— J.-François Gariépy (@JFGariepy) July 30, 2014
Neil Hall, l'auteur de l'article, trouvera en tout cas dans la propre histoire de son article très retweeté une illustration de sa théorie: le Kardashian index a suscité la création d'un hashtag autour des mesures alternatives de la notorité scientifique sur Twitter... Et a propulsé l'auteur au rang de Kardashian.