Culture

Le jazz vocal féminin, star des festivals de l'été

Temps de lecture : 2 min

Melody Gardot, Lisa Ekdahl ou Joss Stone ont conquis les spectateurs.

Le jazz ne se vend pas bien. Il a certes un public –très connaisseur– mais trop étroit au goût des managers comme des organisateurs de festival en quête de mécènes. Dans tous les cas, le «créneau» vraiment porteur, c’est ce que l’on appelle le jazz vocal. Il faudrait ajouter: le jazz féminin.

À Nice et à Juan-les Pins, ce ne sont pas moins d’une quinzaine de chanteuses qui se sont produites cette année, soit presque une par soirée. Nécessité commerciale ou reflet d’une tendance actuelle? La question est également de savoir si c’est bien de jazz qu’il s’agit. En effet, Priscilla Ahn, Erykah Badu, Carla Bley, Tracy Chapman, Gabriella Cilmi, Lisa Ekdahl, Melody Gardot, Leela James, Molly Johnson, Nneka, Madeleine Peyroux, Alice Russell, Joss Stone, Susan Tedeschi et Virginie Teychené, toutes présentes dans la pinède ou les arènes de Cimiez, ont des univers musicaux très différents et souvent éloignés du registre de leurs aînées.

Dans la concurrence vive qu’elles se livrent, il semble que deux atouts soient déterminants: le fait d’être auteur et compositeur, ou de jouer d’un instrument ; la présence scénique, surtout quand celle-ci s’appuie sur une personnalité originale. C’est assurément le cas de Mélody Gardot, qui passe sans difficulté du piano à la guitare, et impose immédiatement son univers. Pourquoi ce qui reste un peu lisse chez Madeleine Peyroux capte-t-il davantage l’attention chez Gardot? Il y a une explication, que l’on n’est pas forcée de connaître pour apprécier cette artiste, mais qui, assurément, explique la maturité d’une jeune femme qui n’a pourtant que 24 ans.

Quand elle arrive sur scène, c’est d’abord son allure qui fixe l’attention: chapeau ample et lunettes de soleil cachent déjà son visage. Son invraisemblable jupe blanche, qui semble tendue sur un arceau, ne semble pas la plus adéquate pour s’asseoir devant le piano. Puis elle se lève et fait quelques pas pour aller vers sa guitare. Tout le monde s’aperçoit alors qu’elle a besoin d’une canne pour se déplacer. La musique n’est pas seulement pour elle une passion, un métier. Renversée par une voiture à 19 ans, elle a subi un polytraumatisme avec des lésions cérébrales sévères, dont elle s’est progressivement remise en recourant à la musique comme thérapie.

Sa sophistication n’apparaît pas vaine, comme l’est celle de Lisa Ekdahl, car elle ne substitue pas à la musique, elle l’accompagne. C’est ainsi que, tout en étant concentrée sur son piano et ses chansons, Gardot sait s’entourer de musiciens qui s’accordent à son tempo et l’enrichissent de leur apport.

Dans un autre style, résolument Soul, Joss Stone a séduit le public de Juan par son énergie, sa grâce insolente, son sens du spectacle. Dans les coulisses, elle s’était mise tout le monde à dos lors de son arrivée, ne parlant à personne, n’assistant pas aux réglages de la balance l’après-midi, s’enfermant dans sa loge. Mais l’enfant gâtée a convaincu, et a même conclu son concert par une reprise audacieuse du «No woman, No cry» de Bob Marley.

Il en va ainsi de ces chanteuses de la nouvelle génération, parmi lesquelles se distinguent également Mina Agossi et Élisabeth Kaontomanu: elles semblent s’inscrire sans complexe dans l’histoire du jazz vocal en y ajoutant leurs propres compositions et en revisitant les standards avec insouciance. À un moment où celles, plus âgées, qui se sont fait connaître en prenant le risque de ne pas plaire d’emblée, comme Patricia Barber, avec son mode très original de chanter/parler, en lien avec une écriture pianistique rétive à la mélodie, vient d’enregistrer un «Cole Porter Mix» inattendu et assez réjouissant. Leur trait commun, c’est sans doute de prendre toujours un peu de distance par rapport à leur art, de ne pas s’exposer complètement. Ne pas se replier sur soi en plein concert, comme Nina Simone le faisait souvent au risque de devoir, devant son public, tenter de remonter à la surface.

Par Christian Delage

Photo Reuters/Valentin Flauraud, Mélody Gardot au festival de Montreux, le 17 juillet 2009

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