La machine propagandiste de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) bat à plein régime. En juin, elle avait déjà fait un usage remarqué des réseaux sociaux, en attirant l’attention sur ses faits d’armes, ses recrues occidentales et ses «martyrs» morts pour la cause islamiste, à travers le hashtag #AllEyesOnISIS. Vendredi 11 juillet, l’organisation terroriste a dévoilé une vidéo destinée à encourager les musulmans occidentaux à rejoindre le champ de bataille en Syrie, et à faire des dons à l’Etat islamique. Le narrateur est un jeune canadien en treillis, mitraillette à l’épaule, André Poulin, qui raconte comment il s’est converti au Djihad, et a rejoint EIIL en Syrie. A la fin de son monologue, on le voit prendre d’assaut un aéroport en Syrie, et mourir lors de l’opération, qui a eu lieu à l’été 2013, il avait 24 ans.
EIIL fait preuve d’une mécanique propagandiste rodée, aidée par Al-Hayat, organisation chargée de la discipline médiatique pour le groupe, qui a produit la vidéo. D’après le New York Times, c’est vraisemblablement la première fois qu’EIIL fait figurer un Américain s’adressant à ses spectateurs en anglais, dans une tentative flagrante de persuader d’autres occidentaux de rejoindre leurs rangs.
Mais, outre l’aspect posthume, spectaculaire et volontairement pathétique de cette vidéo, ce sont les images hyper-lissées du Canada, utilisées pour illustrer le monologue du narrateur originaire de l’Ontario, qui ont attirées l’attention d’un journaliste de Motherboard.
En quelques images d'Epinal la «quintessence» du Canada est résumée à la manière office de tourisme: un coucher de soleil sur un grand lac, des chutes de neige, un match de hockey sur glace, un gamin en train de pêcher à la mouche… Des images censées illustrer l'ennui du pays par opposition à l'«action» de la guerre au Moyen-Orient. Les prises de vue panoramiques sont irréprochables.
Et pour cause: «EIIL tire cela directement d’une vidéo de tourisme de l’Alberta [une province de l’Ouest du Canada, ndlr], qui avait vocation à convaincre des Canadien de l’Est du pays englués comme moi d’aller faire un tour dans l’arrière-pays pour les vacances», écrit le journaliste de Motherboard.
Et de le prouver en images:
Les buts des deux vidéos sont évidemment opposés, et la musique a été modifiée en conséquence, l’hymne djihadiste remplaçant le folk canadien. D’après Motherboard, cette vidéo est devenue «l’incarnation du pillage médiatique dans un monde YouTubesque. […] EIIL peut voler une vidéo YouTube de la même manière que n’importe quel occidental qui a une connexion à internet».
Paradoxalement, l’organisation terroriste la plus crainte du moment, et la plus résolument anti-occidentale, a donc eu recours à des images stylisées embellissant le monde qu’elle exècre. «La globalisation et l’accès facile aux images a conduit à faire confluer deux mondes qui n’auraient visuellement jamais dû se rencontrer», conclut Motherboard. Avant de soulever la question piège: «Si Al-Hayat veut être une agence d’information sérieuse, combien doit-elle à Travel Alberta en royalties?».