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Comment «Seven Nation Army» a conquis le monde du sport

Temps de lecture : 6 min

Cette chanson qui rappelle de mauvais souvenirs aux fans de l'équipe de France est encore présente au Mondial 2014, plus de dix ans après que des supporters belges l'ont pour la première fois chantée dans un stade.

Des supporters belges pendant le match Belgique-Corée du Sud, le 6 juin 2014 à Sao Paulo. REUTERS/Ivan Alvarado
Des supporters belges pendant le match Belgique-Corée du Sud, le 6 juin 2014 à Sao Paulo. REUTERS/Ivan Alvarado

La marche vers la domination musicale a commencé le 22 octobre 2003, dans un bar de Milan, à près de 7.000 kilomètres de Detroit. Ce jour-là, les supporters de Bruges sont en ville pour acclamer leur équipe, qui s'apprête à rencontrer les géants du Milan AC lors d'un match de Ligue des champions, et ils sont bien décidés à s'envoyer quelques bières avant le match. La radio se met alors à cracher sept notes: «Da... da-DA-da da DAAH DAAH», un riff emblématique, mais extrait de ce qui n'était alors qu'un petit tube venu des États-Unis.

En termes d'existence musicale, Seven Nation Army des White Stripes avait déjà atteint sa maturité. Sorti en mars de cette année-là, le single s'était hissé début juillet à la première place des charts alternatifs, pour y rester trois semaines et disparaître ensuite progressivement des esprits.

Mais ça, c'était avant que les membres de la Blue Army, un club de supporters de Bruges, se prennent de passion pour ce qu'ils entendent et se mettent à le chanter en chœur. «C'était une chanson vraiment très entraînante», se souvient Geert De Cang, le porte-parole de la Blue Army.

Dix ans après, ce riff devenu hymne planétaire est omniprésent, comme un passage obligé de la vie des stades, un élément organique d'une culture sportive internationale. Mais au départ, à Milan, tout part d'un mouvement spontané et local.

Quand l'heure du coup d'envoi se rapproche, les Belges en goguette rejoignent le centre-ville, toujours en chantant. Dans les tribunes de San Siro, ils hurlent encore à pleins poumons –«Oh ... oh-OH-oh oh OHH OHH»– au moment où, à la 33e minute, le buteur péruvien Andres Mendoza déjoue la défense milanaise et marque le but d'un étonnant 1-0 que l'équipe belge tiendra jusqu’au coup de sifflet final. Et quand le stade se vide, la chorale des supporters brugeois ne s'est toujours pas tue.

La chanson rejoint alors la Belgique et les tribunes se mettent à l'entonner à chaque match de l'équipe de Bruges. Tant et si bien que, dès qu'il y a but, le club décide de diffuser Seven Nation Army dans les haut-parleurs de son stade.

Hymne de la victoire italienne en 2006

Quelques jours plus tard, j'allais m'acheter un des albums du groupe.

Francesco Totti

Le 15 février 2006, Bruges accueille l'AS Rome lors d'un match d'Europa League. Les visiteurs l'emportent 2–1 et les supporters romains chapardent l'hymne de leurs hôtes.

«Avant d'arriver sur la pelouse de Bruges, je n'avais encore jamais entendu cette chanson, expliquera Francesco Totti, le capitaine de l'équipe romaine, dans un journal néerlandais. Mais après, c'était impossible de me sortir le "Po po po po po poo pooo" de la tête. C'était vraiment une mélodie géniale et le public l'a tout de suite adoptée. Quelques jours plus tard, j'allais m'acheter un des albums du groupe.»

Seven Nation Army est donc partie de Milan pour Bruges avant de reposer le pied en Italie et de s'y répandre instantanément. Pour les Italiens, la chanson s'appelle d'ailleurs «po po po po».

En juin 2006, lors du coup d'envoi de la Coupe du monde en Allemagne, elle est devenue l'hymne officieux de l'équipe d'Italie. Dans un article de Sports Illustrated, on peut apprendre que les supporters assaillent Totti de «po po po po» pendant le match de poule de l'Italie contre le Ghana. En finale, le 9 juillet, la Squadra Azzurra l'emporte contre la France et, durant les célébrations qui s'ensuivent, Seven Nation Army se clame à tue-tête dans les rues de Rome.

Le 11 juillet, à Milan, les stars du football italien, Alessandro Del Piero et Marco Materazzi –la victime du célèbre coup de tête de Zidane–, entonnent Seven Nation Army avec la foule lors d'un concert des Rolling Stones. Jack White ne tarde pas à y aller de son commentaire:

«Je suis honoré que les Italiens aient adopté cette chanson comme la leur. Rien n'est plus magnifique que de voir des gens s'emparer d'une mélodie et la faire entrer dans le panthéon de la musique populaire.»

L'hymne footballistique le plus indé?

«Moi, j'ai toujours du mal à digérer», me dit au téléphone Ben Swank, un cadre de Third Man Records, la maison de disque de White, qui a ses bureaux à Nashville. Swank était là lors de la naissance de Seven Nation Army, en janvier 2002 –et l'homme est célèbre pour l'avoir considérée comme un non-événement.

Je sais pas, mec, je crois que tu peux faire mieux.

Ben Swank

«[I]l était avec nous lors de notre tournée en Australie quand j'ai écrit cette chanson lors d'un test son, expliquera White à Rolling Stone en 2009. J'étais en train de la jouer pour Meg et il passait par là. Je lui ai dit "Swank, écoute ce riff", et il a simplement répondu "Ouais, pas mal" [rires]

«En fait, bizarrement, ajoute Swank, je n'ai pas vraiment apprécié. Je lui ai dit "Je sais pas, mec, je crois que tu peux faire mieux".» Mais en entendant le produit fini comme titre d'ouverture de l'album Elephant, il a vu la lumière.

«Elle a quelque-chose de terriblement direct, de simple, dit-il. Et c'est d'ailleurs tout l'intérêt de ce groupe. C'est ce que je pense de toutes leurs chansons que je préfère. Ça joue davantage sur l'émotion que sur un truc pensé, planifié.»

Et ce qui distingue Seven Nation Army des autres hymnes de stade, c'est qu'elle mérite vraiment d'être écoutée et réécoutée. En février 2004, elle gagne le Grammy du meilleur titre rock. Les Grammys ne sont pas le baromètre du cool, mais je ne crois pas que Rico Suave ait jamais eu son gramophone doré.

Et la chanson n'est pas aussi sirupeuse que Sweet Caroline, ni aussi mélodramatique que We Are the Champions, et elle ne sent pas non plus autant la naphtaline que Rock and Roll Part II (qui est par ailleurs le fait d'une personne totalement haïssable). Voici quelques années, le Guardian se demandait s'il ne s'agissait pas de «l'hymne footballistique le plus indé de tous les temps».

«Parfaite pour une fanfare»

Seven Nation Army a ensuite débarqué dans le sport américain via la Pennsylvanie et son université d’État. Selon un article publié en 2006 dans le Harrisburg Patriot-News, le porte-parole de Penn State, Guido D'Elia, a entendu à la Public Radio International un reportage sur l'usage qu'avait fait l'AS Rome de la chanson. D'Elia, qui avait aussi présenté le désormais inévitable titre de techno allemande Kernkraft 400 aux supporters des Nittany Lions, trouve alors une astuce:

«D'Elia avait demandé à la fanfare de l'équipe, la Blue Band, d'essayer la chanson pendant les derniers matchs d'entraînement de l'équipe, d'ordinaire assez mornes. Et il avait préparé une version déjà doublée des sept notes de guitare de Jack White, en espérant que les étudiants la reprennent avec leurs propres "Wohhh-oh-oh-oh-oh-ohhh-ohhh". Si la sauce ne prenait pas, il n'allait pas insister. Mais dans le cas contraire, la chanson serait officiellement adoptée.»

Au milieu de la saison 2006, Seven Nation Army est désormais la star des tribunes du Beaver Stadium.

Parallèlement, à Nashville, les éditions musicales Arrangers Publishing se mettent à vendre des partitions de Seven Nation Army pour fanfare, en transformant le riff énervé et solitaire de guitare en musique orchestrale. Ce riff hypnotique –que White aurait conçu en testant une pédale pour sa guitare afin qu'elle sonne comme une basse– s'adapte totalement à ce nouvel arrangement. «Son côté un peu tragique, commente Swank, la rend parfaite pour une fanfare.»

NBA, NFL et Mondial brésilien

Aujourd'hui, les événements sportifs qui n'ont pas encore été terrassés par la chanson se comptent sur les doigts d'une main. Seven Nation Army est désormais endémique dans les universités d’État du Michigan comme de l'Ohio, et dans des établissements encore plus obscurs. Durant l'Euro 2008, elle a sans cesse été jouée et chantée dans les stades d'Autriche ou de Suisse.

A la Coupe du monde 2014, les supporters italiens, bien sûr, mais aussi allemands, néerlandais ou encore américains ont entonné l'hymne dans les stades du Brésil. Il a fait son apparition sur les parquets de la NBA et les stades de la NFL et concurrence des classiques comme Hells Bells, Welcome to the Jungle et Crazy Train.

Swank est toujours ébahi par le succès dévastateur du titre. L'ampleur du phénomène, il en a eu un aperçu en 2006, pendant la Coupe du monde.

Il se trouvait alors sur l'île de Formentera et, sur ce caillou de 83 km² perdu au beau milieu de la Méditerranée, il croise un groupe d'Italiens qui chante le riff que White avait composé lors d'un simple test son en Australie. «Sans le faire exprès, il a écrit une chanson populaire, ajoute Swank. Vous faites de votre mieux, mais c'est impossible de prévoir le destin d'une chanson.»

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