La troisième élection au suffrage universel d’un président indonésien, attendue le 9 juillet, a pris une étrange tournure. L’espoir soulevé par la candidature d’un populaire nouveau venu, Jokowi, s’est dissipé avec l’étonnante remontée d’un candidat d’ancien régime, Prabowo Subianto.
Quel que soit le résultat, la victoire se fera à l’arraché, les coups bas de la campagne électorale laisseront des traces durables et l’Indonésie versera dans la déprime.
Voilà trois mois, Jokowi, de son vrai nom Joko Widodo, survolait les sondages.
Son ascension semblait irrésistible: réélu maire de Solo en 2010 avec 91% des suffrages, élu gouverneur de Jakarta en 2012 (54% des voix) contre le favori du pouvoir jugé indéboulonnable. Même Megawati Sukarnoputri, fille aînée du père de l’indépendance et elle-même un temps chef de l’Etat (2001-2004), s’était retirée pour soutenir la candidature de l’affable Jokowi, dont la popularité s’appuyait sur un solide sens du contact et une indéniable capacité à faire avancer les dossiers.
Et puis, une machine redoutablement efficace s’est mise en place. Face à ce candidat qui n’appartenait pas à l’élite, une coalition d’intérêts a choisi de soutenir Prabowo Subianto, ancien gendre de Suharto qui a dirigé le vaste archipel d’une main de fer pendant plus de trois décennies (1966-1998).
Ancien chef des forces spéciales, Prabowo est un personnage controversé. Il a été vidé de l’armée –avec épaulettes arrachées en public– pour avoir fait kidnapper des militants de l’opposition en 1998. Auparavant, jeune officier, il aurait été l’auteur d’abus lors de l’occupation par l’armée indonésienne du territoire alors portugais de Timor Est.

Prabowo Subianto, le 3 juillet à Bandoung. REUTERS.
Ses démentis répétés n’ont jamais convaincu. Les Etats-Unis lui ont refusé l’accès de leur territoire en dépit des liens étroits qu’ils avaient tissé avec un officier formé dans leurs académies militaires.
Prabowo est, en outre, connu pour s’emporter facilement et pour sa préférence pour un régime autoritaire.
Mais il appartient à une grande famille de Java et son frère est milliardaire. La coalition de magnats qui finance sa candidature contrôle la majorité des médias et il a lui-même mené une campagne efficace.
Devant les dizaines de milliers de gens réunis pour l’écouter, cet orateur populiste a dénoncé les manoeuvres d’intérêts étrangers qui entendent avaler l’Indonésie, quitte à affirmer le contraire lors de banquets d’investisseurs.
Contre Jokowi, les coups bas ont plu. Dans un pays qui compte plus de 200 millions de musulmans, soit plus de 85% de la population, et à l’islam plutôt conservateur, il a même été contraint de démentir qu’il était un chrétien d’origine chinoise déguisé en musulman.
Enfin, le deuxième et dernier mandat du président Susilo Bambang Yudhoyono s’est terminé de façon assez pitoyable. L’économie s’essouffle. Des scandales de corruption, affectant la direction du parti du président sortant et même ses ministres, ont contribué à créer une atmosphère délétère. Réélu avec 60% des suffrages en 2009 sur un programme de lutte contre la corruption, Yudhoyono a choisi l’immobilisme et a fini par se rallier, tardivement il est vrai, à la coalition d’affaires soutenant Prabowo.
Jokowi, un moment la coqueluche des foules, avait fait ce qu’il fallait pour aboutir à un compromis avec l’élite en place en acceptant Megawati comme marraine. Mais le système ne lui a réservé que des gifles. Les Indonésiens n’ont guère de raisons de se réjouir.