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Les Etats-Unis pensent avoir trouvé une solution aux inégalités scolaires: virer les mauvais profs

Temps de lecture : 6 min

Est-ce vraiment la solution aux problèmes?

Un bus scolaire abandonné dans l'Arkansas, en juin 2010. REUTERS/Shannon Stapleton
Un bus scolaire abandonné dans l'Arkansas, en juin 2010. REUTERS/Shannon Stapleton

Dans les écoles publiques de Los Angeles, les professeurs incompétents –ceux qui insultent les élèves, montrent des films à répétition ou s’endorment pendant les cours– peuvent être suspendus mais très difficilement licenciés. Pour se débarrasser d’eux, il faut engager des procédures administratives longues et coûteuses. Pendant que leur sort est décidé par divers comités, ces professeurs reçoivent leur salaire entier, soit pour exécuter de petites tâches administratives, soit pour ne rien faire.

En dix ans, le district scolaire de Los Angeles a ainsi dépensé 3,5 millions de dollars (notamment en avocats spécialisés) pour licencier sept enseignants inefficaces. C’est aussi le cas dans d’autres villes, comme à New York, connue pour ses kafkaïennes «salles de réaffectation», où des enseignants en attente de jugement se présentent chaque jour (parfois pendant des années), et où ils peuvent lire le journal toute la journée en continuant d’être salariés.

Des procès pour licencier les «mauvais profs»

Face à cette situation, plusieurs philanthropes se sont mis à financer le combat pour un licenciement plus facile des profs. En Californie, c’est David Welch, un milliardaire de la Silicon Valley, qui a payé l’équipe d’avocats qui vient de gagner le procès «Vergara contre Californie».

Beatriz Vergara est une lycéenne, qui avec huit autres élèves, attaque la Californie en justice, en arguant que les protections syndicales qui rendent difficile d’évincer les mauvais enseignants violent son droit à une bonne éducation. Un juge vient de lui donner raison, en affirmant que la situation était «moralement choquante» et que ces mauvais profs «affect(ai)ent les élèves pauvres et des minorités ethniques de manière disproportionnée».

Il y aura probablement appel, mais l’association de Welch est déterminée à étendre le combat à d’autres Etats. Il se présente comme un défenseur des élèves les plus défavorisés, en guerre contre des syndicats dogmatiques qui protègent leurs membres au détriment des jeunes. C’est aussi le récit qu’a retenu le juge.

Il y a certes un peu de vrai dans cette vision des choses, mais réduire la lutte pour une meilleure éducation à une attaque contre les mauvais profs est pour le moins simpliste.

Tout d’abord, des réformes sur la protection des professeurs titulaires sont déjà en cours depuis environ cinq ans aux Etats-Unis. Dans une dizaine d’Etats, les enseignants sont désormais évalués, notamment en fonction des progrès de leurs élèves, et si leurs notes sont trop mauvaises, ils peuvent être licenciés. Dans de nombreuses villes, il est aussi devenu plus difficile d’être titularisé, alors que c’était auparavant quasiment automatique.

Mark Zuckerberg,
la fondation Gates, Wallmart...
se mettent
à financer des «charters schools»

Cette évolution a été fortement encouragée par l'administration Obama, qui réserve des subventions supplémentaires aux Etats qui acceptent de rendre plus flexible la manière dont ils embauchent, salarient et licencient les enseignants. L’idée est d’insuffler du dynamisme en donnant plus d’autonomie aux proviseurs, et de créer des carrières plus stimulantes pour les meilleurs enseignants.

Il s'agit là du camp des «réformistes», qui sont favorables au modèle des écoles «à charte» (charter schools), publiques et gratuites, mais indépendantes des bureaucraties locales et des règles syndicales.

Les élèves y sont sélectionnés par tirage au sort, et les proviseurs recrutent et licencient les profs comme ils le souhaitent. Ils sont également plus libres au niveau pédagogique, et peuvent choisir des thèmes pour leurs écoles, comme l’informatique, la science ou les langues. De plus, comme ces établissements attirent parfois des subventions du privé, certains ont des locaux agréables et des équipements très modernes. Certaines écoles à charte ont de meilleurs résultats que les écoles publiques traditionnelles (notamment le réseau KIPP), d’autres sont catastrophiques et ferment après quelques années.

En bref, il s’agit d’une approche qui introduit des éléments du privé –notamment plus de compétition et des évaluations chiffrées– et qui divise les démocrates.

Le problème vient-il vraiment des profs?

Ce type d'initiatives sont soutenues financièrement par des donateurs de Wall Street et de la Silicon Valley. En 2010, le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a donné 100 millions de dollars pour tenter de réformer les écoles catastrophiques de la ville de Newark dans le New Jersey. Parmi les changements mis en place, les professeurs pourront bénéficier d’un bonus de douze mille dollars s’ils ont de bonnes évaluations. A Washington, c’est la fondation des hypermarchés WalMart qui finance des initiatives similaires pour faire dépendre les salaires des évaluations. Même si cette fondation finance par ailleurs des écoles des quartiers pauvres qui ont de bons résultats, il est dérangeant de voir que WalMart, qui offre des conditions de travail particulièrement mauvaises à ses propres employés, utilise son argent pour combattre les syndicats de professeurs au nom de l’éducation pour tous.

Ceci dit, même les représentants politiques plutôt pro-syndicats, comme le nouveau maire de New York, ont commencé à mettre en place ce type de réformes.

A New York à partir de l’année prochaine, un professeur qui a de bonnes évaluations pourra décider d’exercer plus de responsabilités en échange d’un bonus financier pouvant aller jusqu’à 20.000 dollars par an (14.600 euros). L’idée est de casser le système selon lequel seule l’ancienneté permet d’obtenir des augmentations de salaire.

Les syndicats ont accepté de mettre en place ces changements, ce qui montre qu’ils ne sont pas toujours allergiques aux nouveautés, contrairement aux caricatures de leurs opposants.

Une autre stratégie, plus controversée, consiste à vouloir donner du pouvoir aux parents d’élèves dans la gestion des ressources humaines de l’école. Encore une fois, ce sont des fondations privées, dont celles de Bill Gates et de WalMart, qui ont soutenu l'élaboration de nouvelles lois qui permettent aux parents de lancer des pétitions pour faire licencier des proviseurs et des professeurs jugés incompétents.

Le groupe s’appelle «Parent Revolution», et une de leurs premières actions en Californie a été de faire renvoyer une proviseure pourtant appréciée par les professeurs et les élèves, à la suite d'une campagne de signatures qui a profondément divisé l’établissement. Après ce licenciement, tous les enseignants ont d’ailleurs quitté l’école en signe de solidarité.

Si vous inscrivez votre enfant à la loterie, c'est que son avenir scolaire vous intéresse déjà

De leur côté, les syndicats et leurs alliés présentent les réformistes comme des technocrates obsédés par les tests et ignorants des réalités de terrain.

Ils dénoncent également le fait que ces écoles à charte, quand elles sont efficaces, ne peuvent «sauver» qu’une petite partie des élèves. En effet, pour être sélectionné, il faut s’inscrire à une loterie. Or rien que le fait qu’un parent mette son enfant sur une liste indique un niveau d’implication et d’attention à l’éducation particulier. En bref, dans les ghettos des villes, ces écoles ont tendance à attirer les enfants des familles les plus stables.

Une chose est sûre, les mauvais profs ne sont qu’une infime partie du problème des inégalités en éducation.

Pourquoi ne pas dire que c’est la ségrégation raciale et socio-économique qui est anticonstitutionnelle, car elle viole le droit à une éducation de qualité pour tous? C’est la question que pose Richard Kahlenberg dans un article de Slate.com, où il explique que ce genre d’actions en justice sont possibles aux Etats-Unis.

En 1996, des parents de la ville de Hartford ont gagné un procès qui leur a permis d’obtenir la mise en place d’une politique de mixité socio-économique et raciale, avec les élèves des quartiers pauvres qui ont accès à des écoles des zones plus aisées. C’est aussi le cas d’un comté de Caroline du Nord –à Raleigh– où il est illégal qu’une école accueille plus de 40% d’élèves pauvres (un programme menacé par les nouveaux élus conservateurs). Il y a également une dizaine de procès en cours contre des Etats qui ne financent pas adéquatement leurs écoles.

Une bataille idéologique de plus

Quand on considère donc l’éventail possible d’actions en justice visant à réduire les inégalités, la décision de tout miser sur le licenciement des mauvais profs semble plutôt bornée et orientée idéologiquement.

Il y a du bon dans les efforts de réforme, qui ont permis plusieurs expérimentations réussies, et c'est sur cette approche que mise aujourd'hui l'administration Obama. Mais malheureusement, les deux camps ont souvent tendance à se diaboliser plutôt qu’à travailler ensemble.

Un groupe conservateur vient de subventionner une pleine page de publicité dans un quotidien national. On y voit l'image d'un jeune jeté à la poubelle, avec le message suivant:

«Les syndicats se fichent de vos enfants, ils préfèrent protéger les profs incompétents. Pour changer les choses, faites des procès!»

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