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Union européenne: la bataille d'Angleterre de David Cameron

Temps de lecture : 5 min

Le Premier ministre britannique militait pour que Jean-Claude Juncker ne soit pas désigné à la tête de la Commission, en agitant une sortie du Royaume-Uni de l'Europe.

David Cameron, le 27 juin 2014. REUTERS/Pascal Rossignol
David Cameron, le 27 juin 2014. REUTERS/Pascal Rossignol

David Cameron a perdu une bataille et s’il continue il va perdre la guerre. Pour contrer la progression des eurosceptiques, le Premier ministre britannique a annoncé un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne pour 2017. A condition bien sûr que son parti conservateur remporte les élections générales de l’année prochaine.

Contrairement à ce qu’une analyse simpliste pourrait le laisser penser, le référendum était pour David Cameron une manœuvre destinée à maintenir son pays dans l’UE. Il devait permettre d’arracher des concessions à ses partenaires –réforme des institutions européennes, rapatriement à Londres de prérogatives communautaires–, et de calmer les eurosceptiques chez les tories et les europhobes du Ukip (le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni), grand vainqueur des récentes élections européennes.

Mais le Premier ministre britannique a perdu la bataille qu’il menait contre la désignation de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission de Bruxelles. Au Conseil européen du 27 juin, il s’est retrouvé seul avec le Hongrois Viktor Orban à voter contre l’ancien chef du gouvernement luxembourgeois.

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A son retour à Londres, il a été célébré à la fois comme un héros et un martyr mais comme le titre le Financial Times, il n’en a pas moins subi une «humiliation». Ses plans sont compromis. Loin de lui avoir attiré les sympathies des adversaires de l’intégration européenne, son opposition à Juncker et sa défaite ont donné un coup de fouet aux europhobes. Les partisans du maintien dans l’UE, qui faisaient jeu égal avec les tenants d’une sortie –le Britxit (pour Britain exit)–, sont maintenant minoritaires dans les sondages.

David Cameron doit faire face à la perspective d’une défaite au référendum si tant est qu’il survive aux élections de 2015.

Il a dû constater que ses alliés potentiels comme les Suédois et les Néerlandais l’ont abandonné en cours de route pour finalement se prononcer pour Juncker. Il comptait sur le soutien d’Angela Merkel mais il a agacé la chancelière allemande en acceptant dans le groupe conservateur au Parlement européen les députés de AfD, l’Alternative pour l’Allemagne hostile à la monnaie unique et en faisant du chantage au départ de la Grande-Bretagne de l’UE en cas de nomination de Juncker. «On ne manie pas la menace dans l’Union», a déclaré publiquement Angela Merkel qui n’avait pourtant aucune sympathie pour le candidat officiel du Parti populaire européen.

Les avantages de la défaite

Le Premier ministre britannique peut-il rétablir sa situation? Paradoxalement, sa défaite dans la nomination du président de la Commission pourrait lui permettre d’obtenir des compensations de la part de ses partenaires, à la fois sur le programme des cinq prochaines années et sur la répartition des postes au sein de l’aéropage européen.

Londres voudrait un poste de commissaire économique avec des prérogatives étendues pour le marché intérieur, le secteur financier et les négociations commerciales. Pour ne pas renforcer les eurosceptiques britanniques, ses partenaires auront plus de mal à le lui refuser.

Car Angela Merkel est d’accord avec l’hebdomadaire The Economist, une «Britxit» serait «une double tragédie», pour la Grande-Bretagne et pour l’Union européenne. Contrairement à Michel Rocard qui a publié dans Le Monde une tribune intitulée: «Amis Anglais, sortez de l'Union européenne mais ne la faites pas mourir!». Qui a raison?

L’économie britannique a largement profité de l’Europe. La City a conforté son statut de grande place financière européenne. Les investisseurs étrangers, en particulier les Japonais, viennent en Grande-Bretagne parce qu’en tant que membre de l’UE, elle a une porte d’entrée vers un marché de 500 millions de consommateurs.

Politiquement aussi, Londres aurait tout à perdre d’une sortie de l’UE. Après la dissolution de l’empire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les «relations spéciales» avec les Etats-Unis ont donné aux Britanniques l’illusion qu’ils avaient encore un rôle international. Mais même ces «relations spéciales» se sont distendues. Margaret Thatcher, qui ne portait pourtant pas les institutions communautaires dans son cœur, n’a jamais envisagé de claquer la porte de l’Europe.

Elle s’est battue pour avoir un traitement spécial et elle a largement gagné. Elle a obtenu un chèque, qui continue à être payé et la Grande-Bretagne a bénéficié de la procédure de l’opting out pour échapper à l’euro et à la disparition des frontières prévue par Schengen. Entre autres. Ce n’est pas suffisant pour les europhobes qui veulent profiter des avantages du grand marché sans avoir les inconvénients d’institutions et de directives trop marquées à leur goût par les manies continentales.

Partir? Laisser partir?

C’est déjà beaucoup pour les partenaires de Londres qui ne sont pas disposés à tout accepter pour garder la Grande-Bretagne dans l’UE. Mais certains, une majorité sans doute, sont prêts à des concessions pour éviter une rupture. Jusqu’où? C’est toute la question qui dominera les tractations des prochains mois.

L’Allemagne et les Etats du nord veulent garder les Britanniques, considérés comme des parangons de libéralisme, des alliés pour les réformes de structure et des contrepoids indispensables face à d’autres «grands» pays de l’UE, comme la France par exemple.

Du côté français, le vieux fond gaulliste refait surface à l’occasion du débat sur la participation européenne de Londres. La Grande-Bretagne n’est plus le cheval de Troie de l’atlantisme que craignait le Général mais les Britanniques sont toujours vus comme les fourriers du néo-libéralisme.

Le bras de fer commence.
Il polluera la vie
de l'UE pour quelques années

Ils passent, non sans raison, pour des partisans d’une vaste zone de libre-échange sans contrainte politique. Théoriquement, leur départ de l’UE enlèverait un obstacle à la formation d’une Union politique, à condition que leurs réticences ne soient pas, en fait, un alibi pour d’autres Etats-membres.

Sans la Grande-Bretagne, une défense européenne à laquelle tiennent les dirigeants français perdrait une de ses composantes essentielles. Avec les Français, les Britanniques sont les seuls Européens encore capables de déployer des moyens militaires et disposés à le faire. Au cours de ces dernières années, la coopération militaire entre Paris et Londres s’est développée sur une base bilatérale. Elle pourrait continuer ainsi, si la Grande-Bretagne quittait l’UE mais ç’en serait fini de la défense européenne telle quelle est envisagée depuis des années.

Un bras de fer commence entre les Britanniques et leurs partenaires. Il polluera la vie de l’UE au cours des prochaines années alors que les priorités sont ailleurs, la crise économique et politique de l’Union étant loin d’être terminée. Le risque est que des deux côtés les émotions l’emportent sur les considérations rationnelles.

Quand, avant le tunnel, le mauvais temps paralysait le trafic trans-Manche, un adage anglais disait: «le continent est isolé». S’il n’obtient pas de résultats, David Cameron pourra-t-il tirer gloire d’être seul contre tous?

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