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Oubliez le Joga bonito. Le Brésil a une arme secrète, et ce n'est pas beau à voir

Temps de lecture : 6 min

L'équipe brésilienne a mis au point une stratégie défensive cynique qu'elle exécute à merveille et qui utilise au maximum l'avantage de jouer à domicile.

Les Brésiliens Oscar, Neymar et Fred fêtent le but du premier contre l'Afrique du Sud à Johannesburg le 5 mars 2014, REUTERS/Siphiwe Sibeko
Les Brésiliens Oscar, Neymar et Fred fêtent le but du premier contre l'Afrique du Sud à Johannesburg le 5 mars 2014, REUTERS/Siphiwe Sibeko

Depuis longtemps, le football brésilien est synonyme de jeu offensif éblouissant. Les équipes brésiliennes ont par le passé joué l'un des footballs les plus magnifiques que le monde ait jamais vu, un football incarné par le «but parfait» de Carlos Alberto lors de la finale de 1970.

Mais l'équipe actuelle du Brésil, bien qu'elle ne soit pas dénuée de talent, est construite sur un jeu défensif robuste. Et cela va bien plus loin que le simple fait d'avoir des défenseurs de classe mondiale (et il faut reconnaître que le Brésil en a en abondance). Elle s'appuie aussi sur un élément tactique qui concerne toutes les lignes et que le Brésil exécute avec une efficacité chirurgicale.

Quand les Brésiliens ont pris d'assaut la Coupe des confédérations l'été dernier, la plupart des observateurs s'étaient concentrés, à raison, sur leur démonstration offensive qui les a vus marquer 14 buts en seulement cinq matchs. Neymar et Oscar ont été particulièrement impressionnants. La performance du premier lui a valu le titre de meilleur joueur et le second a éclipsé l'armada de meneurs de jeu géniaux de l'Espagne.

Mais la contribution défensive de ce duo a peut-être été encore plus importante que leurs efforts offensifs, et c'est là le secret du succès écrasant du Brésil dans le tournoi.

Champion du monde... des fautes

Etonnamment, Neymar (17) et Oscar (14) ont commis plus de fautes que n'importe quel autre joueur au cours du tournoi. Aucun des deux n'est du genre à faire des fautes sur les défenseurs adverses à la lutte pour le ballon sur des longues passes, comme pourrait l'être un avant-centre costaud.

Au lieu de cela, le gros de leurs fautes ont été le fruit d'une stratégie cruciale du sélectionneur Luis Felipe Scolari, les «fautes tactiques», qui ont joué un rôle essentiel dans l'excellent bilan défensif du Brésil avec seulement trois buts encaissés en cinq matchs.

Le but des fautes tactiques est simple: quand vous perdez le ballon dans la moitié de terrain adverse alors que beaucoup de vos joueurs se trouvent dans une position avancée sur la pelouse, faites une faute avant que l'adversaire ne puisse attaquer votre défense désordonnée. Les Brésiliens sont des maîtres absolus dans cet art (un art qui se traduit par le fait que les talentueux Neymar et Oscar soient les joueurs ayant commis le plus de fautes à la Coupe des confédérations), et c'est potentiellement le facteur le plus important dans leur quête du titre de champion du monde.

Scolari sait que sa défense de classe mondiale est quasiment impossible à battre quand elle est en place, et ordonne donc à ses joueurs de faire systématiquement faute dans la moitié de terrain adverse à la perte du ballon. Cela permet aux quatre défenseurs du Brésil ainsi qu'à ses deux milieux défensifs d'être pratiquement toujours en place quand l'adversaire pénètre dans leur moitié de terrain.

Comme au basket

De petites fautes rapides et inoffensives pour interrompre le jeu

Les fautes tactiques du Brésil ont la même fonction que le pressing tout-terrain utilisé par les équipes de basketball menées au score dans les dernières minutes d'un match. Comme au basket, le Brésil tente l'interception d'abord, ce qui peut occasionnellement marcher, entraînant des pertes de balles et des occasions de but faciles de l'autre côté du terrain.

Mais le plus souvent, comme au basket, les Brésiliens réalisent qu'ils ne peuvent pas reprendre le ballon à la régulière et s'en remettent donc à de petites fautes rapides et inoffensives pour interrompre le jeu. Et le meilleur dans tout ça, c'est qu'il n'y a pas de lancer-francs au football. Les fautes du Brésil lui permettent de casser le jeu et de se replacer en défense.

Pendant la Coupe des confédérations, cette stratégie a placé le Brésil loin devant les autres équipes au nombre de fautes. On aurait pu penser intuitivement qu'avec tous ses dribbleurs malicieux et son flot constant d'attaques dangereuses, le Brésil allait subir le plus de fautes. Au lieu de cela, il a fait plus de fautes que quatre de ses cinq adversaires dans un tournoi qui se tenait sur son propre sol.

Quand il a eu affaire à une opposition de haut niveau, le Brésil a intensifié sa stratégie avec 27 fautes à 18 contre l'Italie et 26 fautes à 16 contre l'Espagne. Chacun de ces matchs a été une démonstration à part entière. Contre l'Italie, les trois milieux offensifs du Brésil ont commis cinq fautes chacun, démontrant la régularité avec laquelle les attaquants brésiliens ont arrêté l'Italie haut sur le terrain.

Le trio de milieux offensifs brésiliens n'a commis «que» sept fautes dans la finale contre l'Espagne, mais c'était toujours cinq de plus que Xavi, Andres Iniesta, Cesc Fabregas et David Silva réunis dans tout le tournoi.

Le tout sans prendre de carton

Le match contre l'Espagne a aussi illustré une autre dimension primordiale de la faute tactique: la capacité à ne par prendre de carton jaune. Sur les 26 fautes brésiliennes, aucune n'a été considérée comme valant un carton jaune.


Pendant ce temps, l'Espagne n'a commis que 16 fautes mais a écopé de deux cartons jaunes et d'un carton rouge. Le carton rouge de Gerard Piqué (ci-contre) est l'archétype de la contre-attaque que le Brésil essaie d'éviter, presque toujours avec succès, en faisant faute avant qu'une contre-attaque ne se développe.

Pour une équipe comme le Brésil, les bénéfices de la faute tactique sont nombreux, tandis que les inconvénients sont presque inexistants.

D'abord, cette stratégie permet au Brésil d'envoyer de nombreux joueurs vers l'avant sur les phases offensives sans le risque inhérent que prend habituellement une équipe qui part à l'abordage. Avec autant de joueurs dans la moitié de terrain adverse, le Brésil a presque tout le temps quelqu'un près du ballon pour faire une faute quand le ballon est perdu.

De l'avantage d'avoir David Luiz et Thiago Silva

Si les équipes essayent de contrer ces fautes agressives en jouant rapidement des ballons longs vers l'avant, les tours de contrôles que sont David Luiz et Thiago Silva attendent de pied ferme. Tous deux sont des athlètes exceptionnels aussi à l'aise avec les duels aériens près de la ligne médiane qu'avec les courses en retrait pour gérer les ballons joués au-dessus d'eux.

Le Brésil a le loisir d'effectuer ses fautes tactiques sans risque majeur de voir ses joueurs punis d'un carton jaune, encore moins d'un rouge

Si le Brésil avait des défenseurs centraux moins athlétiques comme Per Mertesacker et son manque de vitesse ou Javier Mascherano et son jeu aérien douteux, le système aurait une faille importante. Mais avec Luiz et Silva (et Dante sur le banc), les fautes tactiques du Brésil sont quasiment imbattables.

Qui plus est, le Brésil a le loisir d'effectuer ses fautes tactiques sans risque majeur de voir ses joueurs punis d'un carton jaune, encore moins d'un rouge comme Piqué l'a été pour l'Espagne. Les fautes étant commises dans des zones peu dangereuses du terrain, les arbitres ne les sanctionnent presque jamais d'un carton.

Bien sûr, les arbitres peuvent punir les fautes à répétition en mettant un carton à des joueurs pour «la faute de trop», mais c'est ici que cette équipe là peut (et va) vaincre le système en beauté.

L'arbitrage maison

Comme l'a expliqué Ted Knutson dans sa récente chronique, le Brésil jouit de l'avantage énorme de jouer cette Coupe du monde à domicile. Les rugissements de la foule et les conditions de jeu familières seront sympathiques, mais comme le montrent toutes les études depuis des années, l'arbitrage favorable est le facteur le plus crucial dans l'avantage que procure le fait de jouer à domicile. Pour une équipe qui a des chances de dominer le classement des fautes, l'importance de l'arbitrage avantageux sera disproportionnée.

Le Brésil peut essayer d'éviter complètement de faire des fautes, ça ne peut pas lui faire de mal, mais ce n'est pas ce qui lui sera le plus utile. Ce qui le servira le mieux, c'est la liberté de ses joueurs à commettre autant de fautes qu'ils veulent sans risquer le carton jaune, d'autant plus que ceux-ci prennent une importance supplémentaire avec les règles ridicules de la Fifa en la matière (prendre un carton jaune dans deux matchs différents vous oblige à rater le suivant, avec une remise à plat des cartons jaunes à la fin de la première phase).

Pendant la Coupe des confédérations, les joueurs brésiliens n'ont pris que deux cartons jaunes pour faute tactique (Neymar et Luis Gustavo, tous deux pour des tacles très cyniques contre l'Italie), et aucune pour accumulation de fautes, même contre l'Italie quand les trois milieux offensifs ont commis cinq fautes chacun. Regardez attentivement s'ils reçoivent le même traitement de faveur pendant la Coupe du monde.

Avec des athlètes incroyables à tous les postes et des talents de classe mondiale devant, le Brésil serait une équipe formidable dans n'importe quelle Coupe du monde, quel que soit le pays hôte, et avec n'importe quel système tactique. Combinez cet excès de talent à cet élément tactique génial qui est exceptionnellement bien adapté à l'utilisation maximale de l'avantage de jouer à domicile (avantage potentiellement historique), et vous avez la recette d'une équipe qui pourrait bien être injouable.

Cet article a d'abord été publié en anglais sur The Cauldron. Les intertitres sont de la rédaction de Slate.fr

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