Cet accord de libre-échange dont le 5e round des négociations s’est tenu jusqu’au 23 mai à Arlington, en Virginie, procède d’une volonté réciproque scellée, dès 1990, par la «déclaration transatlantique», puis par la création par les deux parties, en 2007, du Conseil économique transatlantique, sous l’impulsion et la volonté de la chancelière Angela Merkel, lors de sa présidence tournante de l’UE.
La Commission européenne mène ses négociations –du ressort de la politique commerciale commune[1]– en vertu du mandat qui lui a été donné par le Conseil et le Parlement européens. Elle est assistée dans sa tâche par le Comité 207 (du nom de l’article du Traité fondateur), groupe d’experts de haut niveau qu’a détaillé Kiergaard.
Le mandat «trade sensitive» donné à la Commission n’a pas encore été rendu public, mais on en connaît le contenu de ses 46 articles, puisqu’ils ont été traduits par Magali Pernin, du blog Contrelacour. C’est donc en se fondant sur une approche pragmatique et rationnelle que l’on a pu analyser leurs différentes conséquences.
Il convient de préciser que, malgré l’appellation «accord ou partenariat», il s’agit bien d’un traité qui se situera au-dessus des lois européennes. En outre, l’Union est une entité supérieure aux Etats membres, alors que la gouvernance étasunienne est organisée sous forme de fédéralisme[2]. C’est important à savoir lorsqu’il s’agit de parler d’échanges commerciaux avec les Etats-Unis car, considérés comme souverains, les Etats fédéraux vont tous devoir ratifier le traité.
De plus, le «Buy American Act»[3], issu de la dépression de 1933, leur impose l’achat –qui s’applique à tous les marchés– de 23% de produits manufacturiers produits aux Etats-Unis (y compris récemment les drapeaux).
Déjà, l’UE et les Etats-Unis sont le 1er partenaire commercial de l’autre (biens et services), soit un transit de 1,7 milliard d’euros par jour qui représente 40% du commerce mondial et 57% des Investissements directs étrangers (IDE). L’Union européenne dispose d’un excédent commercial de 125 milliards en direction des Etats-Unis (14,5 milliards d'euros en janvier-février 2014), dont l’Allemagne est la principale composante. Pour autant, le déficit commercial américain est, sur un an, en retrait de 200 millions de dollars.
Les retombées économiques annoncées par l’étude du CEPR[4] comme «une augmentation permanente du volume de richesses des économies respectives» sont estimées, chaque année, à 0,4% du PIB, soit 120 milliards d’euros. L’incidence attendue sur les flux commerciaux serait que les importations européennes en provenance des Etats-Unis augmenteraient, quant à elles, de 159 milliards d’euros, alors que la «crise» les avait fait régresser.
Cette augmentation exponentielle, alors que les importations européennes en provenance des Etats-Unis ont donc contribué à creuser le déficit commercial américain de 8 milliards, inquiète les consommateurs, par la possible arrivée sur nos tables du bœuf aux hormones, poulet chloré, porc à la ractopamine[5] et autres organismes génétiquement modifiés. L'on sait, en effet, que la Commission européenne a déjà autorisé l’acide lactique pour la décontamination de la surface des carcasses de bovins et celui d’un nouvel OGM, le mais TC1507 de Pioneer, en dépit de l’opposition majoritaire de dix neuf pays, dont la France.
Le «principe de précaution» qui s’applique à la mise sur le marché des produits alimentaires, n’a pas son équivalent aux Etats-Unis. Inscrit dans le marbre de la Constitution, une proposition de loi constitutionnelle, votée le 27 mai 2014 par le Sénat, préconise d’ouvrir la voie à un «principe d’innovation» destiné à «lever les règles qui sont pour les industriels une source de contraintes et de coûts» tout comme le feront la suppression des barrières non-tarifaires à l’ordre du jour des négociations du Tafta.
Ceci augure déjà d’un affaiblissement vers le bas de nos normes environnementales, sanitaires et phytosanitaires, et la fin de nos préférences collectives et communautaires. Et ce n’est pas, tel que le décrit François Hollande «une accumulation de peurs, de menaces, de crispations» mais bien une analyse rationnelle des risques qui anime les citoyens qui s’oppose à cette ratification car l’Europe a profondément intérêt à ce que les standards qu’elle défend ne soient pas remis en cause.
La réforme ferroviaire, qui se joue actuellement, n’a pas d’autre but que de préparer l'ouverture totale à la concurrence à l'horizon 2020; perspective qui «crispe les syndicats qui redoutent les conséquences sociales de l'arrivée sur un marché délicat de rivaux industriels européens souvent plus compétitifs» et qui pourront donc facilement choisir des sites de production en fonction des coûts sociaux et salariaux.
Les multinationales auront d’ailleurs désormais accès aux marchés publics (procédures d’appels d’offres comprises) à tous les niveaux administratifs (national, régional et local) au titre «de l’égalité des chances, d’un traitement juste et équitable, de la protection de leurs investissements et de celle contre la discrimination».
En outre, on peut redouter, à plus d’un titre, le mécanisme d’arbitrage privé[6] qui se situera au-dessus de la justice étatique qui permettra aux investisseurs d’attaquer directement les Etats membres, de sorte que l’UE a déjà, «compte tenu des coûts importants ainsi que des frais afférents à la défense de telle ou telle affaire, réparti la responsabilité financière entre l’Union et l’Etat membre qui sera financièrement responsable dans l’hypothèse (plus que probable: NDLR) où une indemnisation devrait être versée»[7].
La crise ukrainienne a souligné notre dépendance énergétique et, alors que les Etats-Unis ont déjà levé les restrictions qui existaient sur leurs exportations énergétiques, l’article 37 du mandat de la Commission européenne révèle que les négociations «devraient viser à assurer un environnement commercial ouvert en matière d’énergie afin de garantir un accès libre et durable aux matières premières et aux ressources naturelles». Or, une différence fondamentale nous oppose aux Etats-Unis où le sous-sol reste la propriété des propriétaires de surface, alors que celui de la France est sous la responsabilité de l’Etat.
Il est important de conclure en précisant que le but des Etats-Unis est bien plutôt de contrer la croissance exponentielle de la Chine et d’isoler la Russie (lesquels Bric ont contribué à l’enlisement du cycle de Doha) et c’est d’ailleurs dans cette perspective qu’ils négocient le Trans-Pacific Partnership (TPP) malgré l’opposition du Japon sur la question de l’accès à son marché agricole (sucre, riz, blé, produits laitiers, viande de bœuf et de porc).
Le Tafta, dont François Hollande souhaite accélérer la signature avant la fin (octobre 2014) du mandat de José-Manuel Barroso, ne fera l’objet d’aucun référendum ainsi que l’a déjà annoncé Michel Sapin, et ne sera ratifié par le Parlement national que s’il est qualifié d'«accord mixte» comportant des mesures autres que spécifiquement commerciales.
1 — Conclusion d’accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services, à la politique d’exportation ainsi qu’aux «Investissements Directs Etrangers» (IDE) Retourner à l'article
2 — Partage de compétences constitutionnelles: législatives, juridictionnelles et administratives à des degrés différents Retourner à l'article
3 — Il existe aussi un «Buy American Act» qui concerne le secteur des transports publics et un «American Job Act» et Barack Obama avait même signé un «Monsanto Protection Act» pour une durée limitée avant que celui-ci ne soit pas renouvelé, en septembre 2013. Retourner à l'article
4 — Partenariat transatlantique de Commerce et d’investissement, coup de projecteur sur l’analyse économique, septembre 2013 par la Commission européenne fondé sur l’étude du Centre for Economic Policy Research (CEPR) Retourner à l'article
5 — Médicament utilisé comme additif aux porcs ou autres animaux élevés pour leur viande pour la rendre plus maigre et plus protéinée. Retourner à l'article
6 — Règlement des différends Investisseur-Etat (RDIE) Retourner à l'article
7 — Rapport Pawel Zalewski (A7-0124/2013) «Responsabilité financière liée aux tribunaux de règlement des différends investisseur-état mis en place par les accords internationaux auxquels l’UE est partie», voté par le Parlement européen le 16 avril 2014. Retourner à l'article