Des plages de Normandie aux pelouses du Brésil: c'est le voyage que nous propose l'actualité ces jours-ci. Pour au moins un homme, ce voyage a été une réalité: il s'appelait Frank Borghi et gardait les buts des États-Unis lors de la Coupe du monde 1950, qui vit son équipe battre contre toute attente le favori anglais.
Stationné en Angleterre après s'être engagé dans l'US Army à l'âge de 19 ans, en 1944, il traversa la Manche le jour suivant le Débarquement pour arriver à Omaha Beach en tant qu'infirmier. Il participa ensuite à d'autres campagnes, notamment en Allemagne, qui lui valurent de nombreuses décorations.
Trente ans plus tard, le commentateur sportif Jack Buck eut la surprise de constater, lors d'un dîner organisé en hommage au joueur, qu'il l'avait croisé bien avant d'admirer ses exploits dans les cages:
«Nous étions assis à la même table et nous avons parlé de la 9e division d'infanterie. Je lui ai demandé à quel régiment il avait appartenu, et il m'a répondu: le 47e. Moi aussi. Je lui ai demandé à quelle compagnie il avait appartenu, et il m'a répondu: la K. Moi aussi.
Je lui ai demandé quelle était sa fonction, et il m'a répondu: infirmier. Je lui ai demandé combien d'infirmiers il restait dans la compagnie après que nous ayions traversé le pont de Remagen. Il m'a répondu qu'il était le dernier, car les autres avaient été blessés. Nous avons conclu qu'il était l'infirmier qui m'avait soigné le matin où j'avais été blessé. C'était incroyable.»
Revenu au pays à St. Louis (Missouri) après la guerre, Frank Borghi fit donc partie, cinq ans plus tard, des cinq joueurs amateurs de la ville envoyés disputer la Coupe du monde. «Deux d'entre eux avaient un autre point commun: Wallace avait passé plus d'un an dans un camp de prisonnier de guerre allemand après que son tank ait pris feu à Anzio et Borghi avait été décoré pour son travail comme infirmier au front au Normandie», écrit l'historien David Wangerin dans son livre consacré à l'épopée du soccer aux États-Unis.
Un résumé du match avec des témoignages d'époque.
Cette participation à la Coupe du monde déboucha sur une victoire totalement inattendue des Américains contre le favori anglais à Belo Horizonte lors de la phase de poule, le 29 juin 1950 (1-0). Une des plus grandes surprises de l'histoire de la compétition dont les deux principaux artisans furent un buteur haïtien naturalisé, Joe Gaetjens, qui mourut quinze ans plus tard exécuté par les milices de «Papa Doc» Duvalier, et Borghi.
«J'espérais les limiter à quelque buts», expliquait le gardien en 2009 au St. Louis Post Dispatch. «Peut-être quatre ou cinq.» Ce fut donc zéro, grâce à de très nombreuses parades, dont, explique le livre Unofficial World Champions, «trois arrêts très peu conventionnels du visage».
Après le match, les joueurs furent portés en triomphe par la foule. «Un type a essayé de me porter. Il avait un peu bu, donc je pense qu'il n'a pas ressenti la douleur», se souvient Borghi dans une interview que vient de publier le site de la chaîne ABC 30.
Le joueur, croque-mort dans le civil (il a conduit à leur dernière demeure plusieurs de ses coéquipiers), revint ensuite dans l'anonymat avec le reste de l'équipe aux États-Unis, où cet exploit fut très peu remarqué. Il est aujourd'hui, à 89 ans, un des deux derniers survivants de cette sélection pionnière.
Morte de honte après cette défaite, au point qu'elle ne porta plus jamais les maillots bleu nuit arborés ce jour-là, l'Angleterre, elle, retrouvera Belo Horizonte le 24 juin. Mais, heureusement pour elle, pas dans le même stade ni contre les États-Unis, mais le Costa Rica.