Économie

Etes-vous un «toxic handler», un de ces employés qui absorbent l’angoisse et la souffrance des autres au plus grand bonheur de l'entreprise?

Temps de lecture : 3 min

Elles connaissent crises et psychodrames, frôlent la faillite ou se font acheter, mais finissent toujours par rebondir: certaines entreprises font preuve d'une résilience remarquable. Elles ont un secret: en leur sein agissent des «toxic handlers».

Dusted meeting room / David Wall flickr CC License By

Disons-le tout de go: l'ouvrage dont nous allons parler ici (Empathie et compassion: des atouts pour l'entreprise durable) ne se lit pas comme un roman. Son auteur –Gilles Teneau, chercheur associé au Cnam et conseiller de recherche à l'ESC d'Amiens– est un adepte des textes bien structurés, ce qui rend l'ouvrage assez clair, mais plutôt froid. Un paradoxe puisqu'il traite justement de sentiments (et lesquels!: la compassion), vus comme un avantage compétitif dans les entreprises.

Empathie et compassion: des atouts pour l'entreprise durable

de Gilles Teneau

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Et ce sujet-là est, lui, vraiment intéressant. Gilles Teneau est, de plus, l'un des premiers à tenter de le populariser en France. Aux Etats-Unis, en revanche, le «compassion lab» de l'Université du Michigan a déjà une quinzaine d'années, Stanford a aussi son centre de recherche et d'éducation en compassion et en altruisme, et la convention wisdom 2.0, qui se réunit désormais tous les ans outre-Atlantique aura sa première européenne cette année.

La compassion accélérateur de bonheur

La compassion? Le terme semble un rien suranné, et intimement associé aux bonnes oeuvres religieuses. Et pourtant: la compassion –c'est-à-dire la capacité de souffrir avec quelqu'un– est, selon les chercheurs, un sentiment naturel de l'Homme. La preuve: il paraît que l'on augmente de façon significative sa dose de stress si l'on passe devant un mendiant/blessé/personne dans le besoin, en faisant mine de l'ignorer. Faire preuve d'une réelle écoute, au contraire, libèrerait d'importantes doses de dopamine, une molécule que le cerveau secrète lors d'expérientes plaisantes. Rien de plus normal, du reste, puisque la compassion est indispensable à la survie des sociétés humaines: c'est bien parce que, régulièrement, quelqu'un nous aide à sortir d'un mauvais pas que nous arrivons à subsister.

Voici pour le schéma global.

La compassion, clé de la résilience des entreprises

Mais bien évidemment, exprimer de la compassion dans nos sociétés individualistes relève parfois du challenge. Et il en va bien évidemment de même en entreprise.

Celles-ci, pourtant, gagneraient à mieux laisser s'exprimer de tels sentiments, voire à les encourager. C'est du moins ce qu'affirme l'ouvrage de Gilles Teneau. Car les entreprises ne sont, après tout, que des sociétés humaines, qui vivent de grandes réussites certes, mais font aussi souvent face à des défis inquiétants, et expérimentent parfois de véritables traumatismes (restructuration, acquisition, etc.). Sans compter que les individus qui les composent arrivent eux-aussi au travail avec leur bagage de joies et de souffrances.

Nier ces souffrances est totalement contre-productif. Les personnes concernées s'isolent, leur engagement et leur productivité sont inhibés quand elles ne se laissent pas submerger par une aigreur professionnellement dévastatrice.

Leur laisser le droit à l'expression, et, mieux, les écouter, les allège d'un fardeau, leur confère une certaine reconnaissance, et facilite leur réinvestissement dans le travail. Des capacités extrêmement précieuses en période de crise, lorsque chacun cherche à comprendre l'avenir de la société, craint les éventuelles réorganisations, et s'interroge sur la signification de son propre travail. La compassion est alors carrément indispensable pour que la crise ne vire pas au drame, humain et organisationnel.

Mais peut-on gérer une entreprise «avec compassion» sans la transformer en bureau des complaintes? C'est là qu'interviennent les toxic handlers, ce que l’on pourrait traduire par «absorbeurs d’angoisses».

Les trois types de toxic handlers

C'est bien simple, les toxic handlers sont de véritables héros. Rien a priori ne les distingue de leurs collègues, et surtout pas une fonction particulière dans l'organigramme.

Les toxic handlers sont juste mieux disposés que les autres à l'empathie, et souvent, ils ont eux-mêmes surmonté de graves épreuves. Mais dans les crises, ces toxic handlers-là font des miracles: ils savent repérer la détresse, l'écouter, mais aussi la déminer, par exemple en intervenant tout en douceur entre un employé et son supérieur, entre un service et son responsable, pour faire comprendre les préoccupations, aménager les directives. Des toxic handlers, Gilles Teneau en a repéré trois types:

1.Le porteur de confiance

Il repère la souffrance, l'écoute, mais là s'arrête souvent son intervention.

2.Le porteur de souffrance

Le deuxième type est le porteur de souffrance. Il fait preuve d'une vraie empathie, s'implique, au risque parfois d'y laisser ses propres ailes: burn-out, fatigue, maladie, etc. Ces toxic handlers déminent, aident, mais n'en sortent pas indemnes.

3.Le porteur de compassion

Le porteur de compassion, lui, peut prendre sur lui les souffrances et les évacuer.

Mais ce type de toxic handler est bien évidemment très rare, car il s'agit d'individus humainement assez exceptionnels. «D'où l'intérêt de repérer les toxic-handlers, et les aider à passer du type 1 ou 2 au type 3, qui leur permettra d'être efficaces pour l'organisation, sans se nuire à eux-mêmes», explique Gilles Teneau. La pleine conscience, notamment, semble favoriser la capacité à faire preuve de compassion sans soi-même souffrir. Mais les entreprises ont aussi leur part du travail: pour que la compassion facilite la résilience de l'organisation, encore faut-il que le management accepte de la voir s'exprimer.

En France, le sujet n'en est qu'à ses prémices. L'institut du burn-out, HEC, certaines grandes entreprises, commenceraient tout juste à s'y intéresser.

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