En 2011, le Wall Street journal avait rendu un verdict implacable: « les mères chinoises sont supérieures». L’article faisait référence à Amy Chua, diplômée de Harvard et professeur de droit à Yale, et auteur du très polémique «Battle Hymn of the Tiger Mother». Dans ce livre, cette mère de famille sino-américaine auto-proclamée «Mère tigre» décrivait l’éducation à la dure qu’elle donnait à ses deux filles: interdiction de jouer ou dormir chez un ami, interdiction de regarder la télévision ou de jouer sur l’ordinateur, traiter les enfants de «déchet» en cas de mauvaise note... Pour Amy Chua et le Wall Street journal, ce mode d’éducation garantissait la réussite scolaire des enfants. La preuve: la petite Sophia Chua lisait Sartre à 3 ans.
Réputées peu autoritaires, les mères occidentales et surtout européennes étaient censées en prendre de la graine. Raté. Les mères en question avaient surtout été horrifiées par la violence de ce modèle éducatif. Toujours dans le WSJ, Ayelet Waldman avait publié une «défense de la coupable, ambivalente, et préoccupée mère occidentale».
Trois après cette vive polémique, le combat entre Amy Chua et Ayelet Waldman est ressuscité par une étude à la méthodologie discutable.
Deux chercheurs de l’université de Stanford viennent de publier une étude sur l’efficacité respective de l’éducation à la dure et de l’éducation permissive. L’étude conclut que les deux styles peuvent l’un et l’autre être efficaces, mais tout dépend du rapport de l’enfant à sa mère.
L'efficacité en question est mesurée en termes de performances cognitives et de combativité, tandis que le rapport à la mère est analysé à travers les mots employés par l’enfant pour la décrire.
Les chercheurs ont demandé à 117 étudiants du secondaire de résoudre une énigme extrêmement compliquée puis leur ont demandé de décrire leurs mères. Après avoir donné leur description, les élèves ont été invités à résoudre une autre énigme.
Or, lorsque les étudiants américains d'origine asiatique ont pensé à leur mère, ils ont montré plus de motivation après avoir échoué à la première énigme. Les étudiants américano-européennes eux ont montré moins de motivation après avoir évoqué leurs mères.
Mais c’est surtout la manière dont les élèves ont parlé de leur mère qui ont suscité l’intérêt des chercheurs: quand ils parlent de leur mamans, les élèves sino-américains étaient plus enclins à parler de leur relation que des qualités personnelles de leurs mères. Ils ont également décrit l’implication de leur mère dans leur vie comme positive.
Nul ne s'est demandé s'il était possible d'être
à la fois cool
et autoritaire
A l’inverse, quand ils doivent parler de leur mère, les élèves d’origine européenne ne disent rien de la qualité de leur rapports mais se contentent de décrire sa personnalité. Ils affirment également voir toute intrusion de leur mère comme un manque de confiance et non comme une source de motivation.
Et c’est ce qui permet aux chercheurs de conclure que ça n’est pas tant le modèle éducatif qui compte, mais la manière dont la mère explique ses choix à l’enfant qui compte. Si une mère réussit à convaincre son enfant que sa réussite résulte d’un projet individuel, l’enfant apprendra à se motiver tout seul.
Si à l’inverse une mère tigre explique à sa progéniture qu’une mère intrusive est bon pour lui, il fera avec et s’adaptera.
En bref, peu importe l’éducation, tout est dans la manière dont on va refourguer notre projet éducatif à l’enfant. A ce stade, il faut préciser que les chercheurs n’ont pas cherché à savoir si les mères occidentales ont donné une éducation stricte, ou si les mères chinoises ont opté pour un éducation cool. Tant pis pour les stéréotypes.
Nul ne s’est non plus demandé s’il était possible d’être à la fois cool et autoritaire en fonction des enjeux et selon les jours.
Il convient également de constater que comme souvent une éducation réussie n’est évaluée qu’à travers le prisme de la réussite scolaire ou de la capacité de l’enfant à réussir une épreuve intellectuelle. Jamais ici, le bien-être ou l’équilibre ne sont considérés comme des indicateurs valables d’une bonne éducation.
Notons également que comme dans bien des études, le père n’est ni interrogé ni même mentionné dans le rôle qu’il peut jouer sur ses propres enfants. Voilà comment une étude censé apaiser les tensions entre deux types éducatifs entérine encore davantage les clichés : déterminisme culturel, mères surpuissantes et pères absents.